Maladie d’Alzheimer

Une maladie neurocognitive complexe de mieux en mieux comprise

La maladie d’Alzheimer est le résultat d’une lente dégénérescence des neurones qui débute le plus souvent au niveau d’une structure cérébrale essentielle pour la mémoire – l’hippocampe – avant de s’étendre au reste du cerveau. Ses différents symptômes (troubles de la mémoire récente, des fonctions exécutives, de l’orientation dans le temps et l’espace...) progressent peu à peu et le malade perd graduellement ses facultés cognitives et son autonomie. Grâce aux progrès des connaissances relatives aux facteurs de risque et aux mécanismes de progression de la maladie, de premiers traitements qui ralentissent son évolution apparaissent.

Dossier réalisé en collaboration avec David Blum (directeur de recherche Inserm, équipe Alzheimer et tauopathies au centre de recherche Lille neuroscience & cognition, unité 1172 Inserm/Université de Lille), Luc Buée (directeur du centre de recherches Lille neuroscience & cognition) et David Wallon (responsable du Centre mémoire de ressource et de recherche et Centre national de référence Malades Alzheimer jeunes au CHU Rouen, unité 1245 Inserm/Université de Rouen-Normandie).

Comprendre la maladie d’Alzheimer

La maladie d’Alzheimer débute souvent par des pertes de mémoires puis, dans les années suivantes, par des troubles cognitifs plus généraux et handicapants. Cette chronologie peut néanmoins être différente chez certains patients.

La maladie est rare avant 65 ans. Après cet âge, sa fréquence s’élève à 2 à 4 % de la population générale et augmente rapidement pour atteindre 23 % de la population à 80 ans. Les femmes âgées semblent plus exposées : sur 25 malades, 10 sont des hommes et 15 des femmes, une différence en partie liée aux écarts d’espérance de vie. 

Ainsi, 1 à 1,2 millions de personnes souffrent de la maladie d’Alzheimer aujourd’hui en France et 225 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année. Compte tenu du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’espérance de vie, ce chiffre pourrait doubler d’ici 2050.

De la perte de mémoire à la dépendance

Les premières manifestations d’une maladie d’Alzheimer sont multiples :

  • Le trouble de la mémoire est le plus fréquent des symptômes.
  • Des troubles des fonctions exécutives (difficulté à effectuer des tâches qui nécessitent de planifier, d’organiser, de réfléchir, de prendre des décisions…) – comme ne plus savoir se servir de son téléphone ou préparer une recette jusque-là bien connue – sont également très évocateurs.
  • Les problèmes d’orientation dans l’espace et dans le temps sont d’autres manifestations révélatrices : les personnes qui développent la maladie se perdent sur un trajet habituel ou ne savent plus se situer dans le temps.
  • Plus rarement, des troubles du langage ou de la vision élaborée (lecture, repérage d’objets…) peuvent aussi s’observer au début de la maladie.

La progression de la maladie se traduit ensuite par des troubles évolutifs :

  • du langage oral (aphasie) et écrit (dysorthographie),
  • du mouvement (apraxie),
  • du comportement et de l’humeur (anxiété, dépression irritabilité),
  • du sommeil (insomnie).

Il est important de comprendre que cette description n’est pas figée. Chez certains patients, les troubles de la mémoire sont discrets en début de maladie, alors que d’autres manifestations prédominent. Le tableau clinique associé à la maladie peut donc être très différent d’un patient à l’autre, que ce soit en termes de symptômes initiaux, d’évolution, de sévérité ou de retentissement sur la vie quotidienne. Beaucoup de patients continueront à avoir une vie sociale, intellectuelle et affective pendant de nombreuses années alors que la maladie a démarré, tandis que les symptômes évolueront plus rapidement chez d’autres.


Trous de mémoire : consultez !

Tout le monde peut parfois avoir des trous de mémoire. Toutefois, lorsque des oublis inhabituels préoccupent une personne (ou son entourage) et la gênent dans sa vie quotidienne au point de ressentir le besoin d’en parler à un médecin (généraliste, neurologue, gériatre ou psychiatre), la plainte doit être prise très au sérieux et faire l’objet d’une évaluation précise. La France a créé un réseau de centres mémoire hautement spécialisés dans le diagnostic de ces troubles. Plus de 400 sites de consultation sont répartis sur le territoire.


Derrière la maladie, deux anomalies protéiques

Les premiers éléments sur l’origine biologique de la maladie d’Alzheimer ont été découverts à partir d’échantillons de tissu cérébral issus de patients décédés. Ces analyses ont mis en évidence une dégénérescence étendue des neurones dits « cholinergiques », des cellules nerveuses qui produisent et sécrètent l’acétylcholine (ACh), un neurotransmetteur essentiel à la mémoire, l’attention et l’apprentissage. Depuis, grâce aux progrès de la biologie moléculaire, d’autres processus biologiques impliqués dans le développement de la maladie ont été mis en évidence :

La formation d’agrégats amyloïdes

La bêta-amyloïde (ß‑amyloïde) est une protéine naturellement présente dans le cerveau. Sa fonction précise n’est pas établie mais elle est vraisemblablement essentielle à la vie car on la retrouve chez de nombreuses espèces animales différentes (mammifères, oiseaux ou poissons). Dans la maladie d’Alzheimer, les protéines bêta-amyloïdes s’agrègent les unes sur les autres dans l’environnement immédiat des neurones : ces agrégats (on parle aussi de « plaques ») perturbent le fonctionnement des cellules nerveuses et entraînent d’autres anomalies biologiques locales (stress oxydatif, inflammation...).

La dégénérescence neurofibrillaire

Les microtubules sont des éléments du squelette des cellules qui permettent par exemple de guider l’information le long des axones des cellules nerveuses. Leur structure est stabilisée par la protéine Tau. Dans la maladie d’Alzheimer, une modification chimique (phosphorylation) altère cette protéine Tau : dès lors, elle n’a plus la capacité d’adopter sa conformation normale et, de ce fait, d’assurer ses fonctions. Pire, elle conduit les protéines Tau normales adjacentes à adopter à leur tour la même conformation anormale. C’est un effet domino dit « prion-like », par analogie avec les mécanismes que l’on observe dans les maladies à prions. Petit à petit, les microtubules sont déstabilisés et se désagrègent, provoquant la mort de la cellule nerveuse.

En présence d’agrégats amyloïdes, la protéine Tau anormale serait sécrétée et circulerait d’un neurone à l’autre. C’est a priori par cette « contamination » que la neurodégénérescence progresse de proche en proche dans les neurones contigus, pour finir par affecter des aires cérébrales entières.

D’autres processus ?

S’il est établi que la maladie d’Alzheimer est associée à l’accumulation lente et progressive d’agrégats amyloïdes et de protéines Tau phosphorylées au sein du tissu cérébral, le lien exact entre ces deux anomalies protéiques reste incertain. La théorie la plus courante est celle d’un déclenchement initial provoqué par les agrégats amyloïdes : on parle alors de « cascade amyloïde ». Certaines données contredisent toutefois cette vision, laissant supposer que d’autres mécanismes jouent également un rôle clé dans le déclenchement et l’évolution de la maladie, en particulier l’inflammation et/ou l’immunité.

Une propagation lente

La propagation dans le cerveau des anomalies biologiques associées à la maladie d’Alzheimer suit souvent le même chemin : l’hippocampe (ou formation hippocampique), zone centrale de la mémoire, est le plus souvent le premier touché. Les anomalies progressent ensuite dans les aires associatives multimodales du cortex, des parties du cerveau impliquées dans l’intégration d’informations de diverses provenances et dans des fonctions complexes. Ces régions sont touchées dans un ordre variable, ce qui explique la diversité des symptômes de la maladie (mémoire, orientation, planification…). Mais au fil du temps, les anomalies finissent par toucher l’ensemble de ces aires, et les symptômes de la maladie deviennent semblables entre individus. Finalement, ce sont les aires unimodales motrices ou sensorielles qui sont altérées, puis l’ensemble du cortex cérébral. Cette progression est très lente : elle s’étale sur plusieurs dizaines d’années. C’est pourquoi la maladie peut rester longtemps silencieuse, avant que ses symptômes n’apparaissent.

Une maladie multifactorielle

La maladie d’Alzheimer est d’origine multifactorielle, probablement liée à une combinaison de facteurs de risque génétiques, comportementaux et environnementaux. Néanmoins, le principal facteur de risque est l’âge : l’incidence de la maladie augmente après 65 ans et explose après 80 ans. 

Dans 1 à 2 % des cas, la maladie d’Alzheimer est héréditaire. Son apparition est alors précoce, se déclarant avant 65 ans et bien souvent autour de 45 ans. Dans plus de 80 % des cas, les anomalies génétiques responsables de ces formes rares touchent le gène qui permet la synthèse d’un précurseur de l’amyloïde (APP pour Amyloid Protein Precursor) ou ceux des protéines préséniline 1 ou préséniline 2, qui interviennent dans le métabolisme de l’APP. Hériter d’une mutation qui affecte l’un de ces trois gènes entraîne systématiquement l’apparition de la maladie (transmission autosomique dominante). 

Il existe également des susceptibilités génétiques individuelles qui augmentent le risque de développer la maladie d’Alzheimer : ce risque est en moyenne multiplié par 1,5 si un parent du premier degré est touché, et par 2 si au moins deux le sont. Des études qui ont analysé l’ensemble du génome d’un grand nombre de personnes (études « pangénomiques ») ont mis en évidence différents types de gènes associés à un risque de survenue de la maladie. Au total, un panel de 90 régions chromosomiques serait impliqué dans 70 % du risque de développer la maladie. Parmi eux, on peut citer le gène de l’apolipoprotéine E (APOE). Cette protéine est normalement impliquée dans le transport du cholestérol. Être porteur de l’allèle epsilon 2 (APOE Ɛ2), une variante de ce gène, réduirait de moitié le risque de maladie d’Alzheimer chez les personnes d’origine caucasienne. La présence d’une variante epsilon 4 (APOE Ɛ4) le multiplie au contraire par 3 ou 4, et les personnes qui portent deux copies de cet allèle (porteurs homozygotes) voient leur risque multiplié par 15.

Mais au-delà des facteurs génétiques, les experts reconnaissent aujourd’hui l’existence de 14 facteurs de risque de développer la maladie d’Alzheimer : un faible niveau d’instruction, la sédentarité, le tabagisme, la consommation excessive d’alcool, l’hypertension, l’hypercholestérolémie, l’obésité, le diabète, la perte d’audition ou de vision, la dépression, le manque de contacts sociaux, la pollution de l’air et les traumatismes crâniens.

À l’inverse, le fait d’avoir une activité professionnelle stimulante ainsi qu’une vie sociale active, semble retarder l’apparition des premiers symptômes et leur sévérité. Dans ces conditions, le cerveau bénéficierait d’une « réserve cognitive » qui permet de compenser, au moins pour un temps, la fonction des neurones perdus. Cet effet serait lié à la plasticité cérébrale, un phénomène qui traduit l’adaptabilité permanente de notre cerveau. 

Prendre en charge, à temps

La maladie d’Alzheimer ne se guérit pas, mais une prise en charge adaptée peut ralentir sa progression et améliorer la vie du patient et de son entourage. Encore faut-il agir à temps… 

Un diagnostic en deux étapes

La maladie d’Alzheimer n’est pas la seule maladie neurocognitive. La maladie à corps de Lewy et la dégénérescence frontotemporale peuvent entraîner des symptômes similaires lorsqu’elles atteignent les mêmes régions du cerveau, ce qui rend leur distinction parfois complexe. Aussi, la démarche diagnostique repose en deux temps :

  • en premier lieu, la confirmation de l’existence d’une maladie neurocognitive évolutive, par le biais d’un examen clinique et de l’imagerie médicale,
  • puis l’identification de la nature de cette atteinte.

Le médecin va donc commencer par explorer la plainte du patient, les signes et symptômes qu’il ressent. Une évaluation clinique et des tests des fonctions cognitives permettent d’évaluer la nature et la sévérité des atteintes (perte de mémoire, orientation spatio-temporelle, fonctions d’exécution…) et de rechercher des troubles du comportement ou de l’humeur, ainsi que d’autres signes associés, par exemple des symptômes moteurs.

L’imagerie cérébrale contribue également au diagnostic des maladies neurocognitives, y compris à un stade précoce : l’IRM permet de rechercher des altérations cérébrales compatibles avec les symptômes du patient. Une réduction du volume du cerveau, notamment des régions postérieures, et une atrophie de l’hippocampe constituent des arguments en faveur du diagnostic de maladie d’Alzheimer. Cet examen permet aussi exclure d’autres causes potentielles (AVC, hémorragie intracérébrale...). Lorsque l’IRM ne permet pas d’établir formellement le diagnostic, une imagerie complémentaire mesurant l’utilisation du glucose par les neurones (PET-FDG), et donc leur activité, peut aussi être envisagée.

Le diagnostic différentiel entre maladie d’Alzheimer, maladie à corps de Lewy et dégénérescence frontotemporale est ensuite posé grâce à des analyses biologiques menées à partir de liquide cérébrospinal (LCS) prélevé par ponction lombaire chez le patient :

  • La maladie d’Alzheimer est évoquée devant une diminution de la quantité de peptide amyloïde Aβ42 (forme « proagrégante » de l’amyloïde), et une augmentation de celle des protéines Tau totales et phosphorylées dans le liquide cérébrospinal, traduisant à la fois le dépôt amyloïde cérébral et la dégénérescence neuronale associée.
  • La maladie à corps de Lewy peut être associée à ces mêmes anomalies mais surtout à la mise en évidence de la protéine alpha-synucléine, une autre protéine « prion like » spécifique de cette maladie ;
  • La dégénérescence frontotemporale est quant à elle diagnostiquée si les dosages des biomarqueurs précédents sont normaux, et sur la base de critères cliniques précis. Les protéines en cause dans cette maladie (comme la TDP-43) ne sont pas encore détectables par des méthodes simples.

Il existe toutefois un certain chevauchement biologique entre les trois pathologies, notamment lorsqu’elles progressent. Ainsi, un patient Alzheimer sur deux aurait un taux d’alpha-synucléine compatible avec une maladie à corps de Lewy. Cela pose l’hypothèse que les anomalies qui affectent une protéine spécifique pourraient secondairement déclencher un processus anormal affectant les autres.

La décision de recourir à ces analyses biologiques est prise en accord avec le patient et, si nécessaire, son entourage familial. Elles sont très utiles lorsque la présentation clinique est atypique ou lorsque le patient est jeune et aux stades précoces de la maladie.

La prise en charge 

Multidimensionnelle, la prise en charge de la maladie d’Alzheimer combine hygiène de vie, activités, traitement médicamenteux et dispositions médico-sociales (allant de l’accueil ponctuel de jour à l’hébergement permanent en institution, pour les patients mais aussi pour aider et soulager les aidants…). Dans tous les cas, le mot clé de la prise en charge est « personnalisation » : au-delà du fait que chaque patient est unique par nature, tous ne présentent pas tous les mêmes symptômes, ni la même évolution de leur maladie. 

Il est essentiel que le patient atteint de maladie d’Alzheimer continue ses activités habituelles – cognitives et/ou physiques – et maintienne autant que possible une vie sociale. L’équilibre de l’alimentation est tout aussi important. Certains centres prônent une démarche plus active qui consiste à « stimuler » le patient en lui proposant des activités. Toutefois, proposer, voire imposer à un malade une activité qui ne l’a jamais intéressé auparavant, ou qui le met en échec, ne peut qu’augmenter son stress. L’attention à la personnalité, à l’histoire personnelle et aux souhaits du patient est donc essentielle. 

Les traitements médicamenteux : de nouveaux traitements ciblés

Quatre médicaments sont couramment prescrits aux personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, malgré leur déremboursement en France. Trois d’entre eux – le donepezil (Aricept®), la rivastigmine (Exelon®) et la galantamine (Reminyl®) – visent à augmenter la disponibilité cérébrale d’acétylcholine, un neurotransmetteur qui facilite la communication entre les neurones, laquelle est amoindrie par la maladie. Ces médicaments bloquent l’action de l’acétylcholine estérase, l’enzyme qui dégrade le neurotransmetteur. La mémantine (Ebixa®) va quant à elle bloquer un récepteur au glutamate, une molécule qui endommage les neurones. Ce dernier traitement agit plutôt sur la composante Tau de la maladie. Ces médicaments ont été déremboursés en 2018 car certaines études ont décrit que la stabilisation ou le ralentissement modéré de l’évolution de la maladie d’Alzheimer qu’ils permettent étaient associés à des effets secondaires parfois problématiques. Depuis, ils sont de moins en moins prescrits. Pourtant, d’autres études menées à grande échelle indiquent que l’arrêt de ces traitements diminue la durée de vie autonome des patients : se dégradant plus vite, ils entrent plus tôt en institution. Des données épidémiologiques suggèrent en outre que l’administration de ces médicaments est associée à une baisse de 30 % de décès toutes causes confondues après 5 ans de traitement, par rapport à une population comparable non traitée. Malgré les limites de ce type d’études, l’ampleur du bénéfice observé est suffisamment élevée pour conclure que ces médicaments ne sont vraisemblablement pas délétères et apportent probablement un bénéfice clinique, social et individuel.

En 2024, un premier anticorps anti-amyloïde qui cible les agrégats protéiques, le lecanemab (Leqembi®), a obtenu une autorisation de mise sur le marché européen. Il s’agit d’un traitement biologique indiqué chez les personnes atteintes de troubles cognitifs légers et de maladie d’Alzheimer débutante. Il est actuellement en cours d’évaluation par les autorités françaises pour décider de sa mise à disposition et son éventuel remboursement en France. Dans l’attente du résultat de cette évaluation, la Haute autorité de santé (HAS) n’a pas autorisé d’accès précoce au médicament. Les autorités sanitaires s’inquiètent en effet du risque d’effet indésirable cérébral associé à ce traitement : 15 à 20 % des patients qui reçoivent cette biothérapie souffriraient en effet d’une réaction inflammatoire ou hémorragique (ARIA pour Amyloid Related Imaging Abnormalities), le plus souvent asymptomatique mais à risque de complication dans 5 à 10 % des cas.
Pour en savoir plus sur les bénéfices et les risques du lecanemab

Le donamémab (Kinsula™) est un autre anticorps anti-amyloïde qui devrait prochainement obtenir une autorisation de mise sur le marché européen. Et la recherche se poursuit dans ce domaine, afin de découvrir d’autres molécules comparables mais mieux tolérées, ou encore des traitements ciblant d’autres voies pathologiques.

Les enjeux de la recherche

Tau et amyloïde : qui de l’œuf et de la poule ?

Si deux marqueurs protéiques – agrégats amyloïdes et protéine Tau phosphorylée – sont indispensables pour définir la maladie d’Alzheimer, le lien qui les unit, ainsi que celui qui les associe à la disparition des neurones cholinergiques reste à mieux établir.

L’une des principales hypothèses est celle de la « cascade » amyloïde, selon laquelle c’est la formation des agrégats amyloïdes qui serait à l’origine de la maladie. Cette hypothèse est soutenue par le fait que les formes génétiques autosomiques dominantes de la maladie touchent des gènes relatifs à la synthèse ou la régulation de la protéine bêta-amyloïde et que, dès lors qu’une personne est porteuse d’une de ces mutations, elle développera les deux types de lésions. Cependant, le rôle déclencheur de la protéine bêta-amyloïde n’est pas formellement établi puisqu’il est possible de présenter des agrégats amyloïdes sans souffrir de maladie d’Alzheimer. C’est le cas de plus de 25 % des personnes âgées de plus de 80 ans indemnes de troubles cognitifs : certaines finiront par développer une maladie d’Alzheimer, mais d’autres non. Une observation qui témoigne de la difficulté à prédire le risque sur la seule base de la présence des agrégats amyloïdes.

La protéine Tau serait-elle impliquée ? Les mutations qui touchent les gènes relatifs à cette protéine conduisent à des altérations des neurones associées à des troubles du comportement et de la mémoire. Mais dans ce cas, ces anomalies restent la plupart du temps circonscrites à des territoires cérébraux précis et les agrégats amyloïdes sont absents.

La compréhension des processus qui lient l’accumulation de protéine béta-amyloïde à la propagation des dégénérescences neurofibrillaires d’un neurone à l’autre, puis d’un territoire cérébral à l’autre, reste donc à ce jour incomplète.

D’autres acteurs et processus ?

Le rôle de cellules cérébrales autres que les neurones – en particulier celui des astrocytes (cellules dites « de soutien ») et de la microglie (cellules immunitaires) – est évoqué. Elles interviendraient afin de corriger les anomalies liées aux lésions débutantes et aux agrégats protéiques. Mais leur action serait inefficace et, sur la durée, finirait par avoir un effet péjoratif : la neuroinflammation et le stress oxydatif, associés à la production locale de nombreuses cytokines et chimiokines, maintiendraient un environnement délétère pour les neurones, le fonctionnement des synapses et pour ces cellules elles-mêmes. L’ensemble favoriserait la mort neuronale.

D’autres pistes encore font l’objet de recherches : parmi elles, on peut citer le rôle de certaines infections (herpès, toxoplasmose...), de l’excitotoxicité neuronale (c’est-à-dire la mort des neurones causée par leur activation excessive), de la dérégulation des ions métalliques qui contribueraient à faire progresser la maladie, ou encore des anomalies induites par le stress oxydatif sur les mitochondries, indispensables à la production d’énergie pour le fonctionnement neuronal.

Détecter de plus en plus tôt

De nouveaux examens d’imagerie cérébrale ont récemment émergé. Ainsi, l’utilisation de la tomographie par émission de positons (TEP) permet de « voir » les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires dans le cerveau d’une personne vivante (alors que jusqu’ici on ne pouvait les observer qu’après sa mort, par examen anatomopathologique). Pour cela, il a fallu développer des radiotraceurs injectables qui se lient spécifiquement au peptide bêta-amyloïde puis, plus récemment, à la protéine Tau. Ces innovations rendent d’indéniables services en recherche, par exemple pour tester l’effet de candidats médicaments.

Par ailleurs, certains centres experts commencent à proposer le dosage sanguin des biomarqueurs biologiques diagnostiques, simultanément aux analyses du liquide cérébrospinal. Cette modalité permettrait d’éviter la ponction lombaire, souvent redoutée. Cependant, la capacité à remplacer cette dernière par une simple prise de sang devra être validée scientifiquement avant de déployer largement cette approche.

Enfin, le développement d’algorithmes puissants devrait permettre, dans un futur proche, d’établir le risque individuel de développer la maladie à partir des antécédents personnels et familiaux et des données cliniques, biologiques et d’imagerie. Leur utilisation posera certainement des questions pratiques, déontologiques et éthiques étant donné l’absence de traitement curatif.

Davantage de traitements plus ciblés et plus efficaces

Si la prévention de la maladie reste encore une perspective lointaine, l’adaptation de l’hygiène de vie (exercice physique, régime alimentaire…) pourrait limiter le risque de développer une maladie neurocognitive. La caféine, qui est la substance psychoactive la plus consommée au monde, semble aussi avoir un effet favorable. Des études épidémiologiques ont décrit que la consommation régulière de 300 à 400 mg de caféine (soit environ 5 à 6 tasses de café filtre par jour) est associée à une diminution des troubles cognitifs et à un risque plus faible de développer la maladie d’Alzheimer. Les propriétés antioxydantes de la caféine réduiraient l’inflammation intracérébrale et le taux des peptides amyloïdes qui ont des facilités à s’agréger (Ab-42). Elle aurait en outre une certaine capacité à limiter la phosphorylation de la protéine Tau.

Sur le plan curatif, les recherches thérapeutiques se poursuivent, afin de trouver des traitements encore plus efficaces pour réduire la progression de la maladie, la stopper et, pourquoi pas, la guérir. C’est un domaine très dynamique : en 2025, plus de 180 essais cliniques étaient menés avec 138 médicaments expérimentaux, dont 48 essais et 31 médicaments au stade le plus avancé des recherches cliniques (stade 3). L’immunothérapie et le développement de petites molécules qui ciblent les différentes voies pathologiques sont les approches les plus exploitées.

La voie de la protéine amyloïde reste une cible importante pour la recherche clinique : parmi les immunothérapies actuellement développées, certaines cherchent à s’attaquer aux formes les plus pathologiques de la protéine amyloïde, à savoir à la forme protofibrillaire – à haut pouvoir d’agrégation – et la forme pyroglutamate – stable et résistante que les processus physiologiques peinent à éliminer dans le cerveau.

Mais si les résultats cliniques montrent la capacité des anticorps anti-amyloïdes à ralentir la progression des plaques protéiques, cette efficacité reste modeste, pour deux raisons :

  • L’intervention médicamenteuse est sans doute trop tardive pour arrêter totalement le processus.
  • Elle ne cible pas les autres anomalies biologiques, qui évoluent parallèlement.

Des traitements (immunothérapie, oligonucléotides anti-sens) sont aussi développés pour contrer la neurodégénérescence associée à la protéine Tau. Si certains de ces développements aboutissent et que de telles molécules deviennent disponibles, il sera alors intéressant d’évaluer si l’action combinée contre les deux protéines anormales, bêta-amyloïde et Tau, permet d’obtenir de meilleurs résultats qu’en en ciblant une seule.

La question de la tolérance des immunothérapies se pose également : afin de limiter la survenue d’effets secondaires cérébraux (hémorragies et œdèmes), certaines équipes cherchent à mettre au point des anticorps monoclonaux qui peuvent être véhiculés au niveau intracérébral sans impact délétère sur la barrière hémato-encéphalique. C’est le cas du trontinemab, un anticorps anti-amyloïde qui est aujourd’hui en phase de développement clinique.

Mais au-delà de ces approches classiques, de nouvelles stratégies plus balbutiantes émergent, visant les autres voies physiopathologiques incriminées : rétablissement d’une neurotransmission cholinergique ou glutamatergique normale, inhibition des mécanismes neuro-inflammatoires et immunitaires, correction de la dysfonction mitochondriale, apport en facteurs de croissance ou en hormones neurotrophiques.

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