Mémoire

Une affaire de plasticité synaptique

La mémoire permet d’enregistrer des informations issues d’expériences et d’événements divers, de les conserver et de les restituer. Cette faculté dépend de différents réseaux de neurones impliqués dans de multiples formes de mémorisation. Grâce aux progrès réalisés dans la compréhension de ces processus, celle de certains troubles mnésiques s’améliore aussi, ouvrant la voie à des interventions auprès des patients et de leur famille.

Dossier réalisé en collaboration avec Francis Eustache, membre de l’unité Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine (unité 1077 Inserm/EPHE/Université de Caen-Normandie).

Comprendre le fonctionnement de la mémoire 

La mémoire est la fonction qui nous permet d’encoder, conserver et restituer des informations pour interagir avec notre environnement. Elle rassemble nos savoir-faire, nos connaissances, nos souvenirs. Indispensable à la réflexion et à la projection de chacun dans le futur, elle fournit la base de notre identité. 

Cinq systèmes interconnectés

La mémoire se compose de cinq systèmes interconnectés, qui impliquent des réseaux neuronaux en partie distincts : 

  • La mémoire de travail (à court terme) est à l’intersection de toutes les autres réseaux neuronaux,
  • La mémoire sémantique et la mémoire épisodique sont deux systèmes de représentation consciente à long terme. 
  • La mémoire procédurale permet des automatismes inconscients.
  • La mémoire perceptive est liée aux différentes modalités sensorielles.

On rassemble parfois toutes les mémoires autres que celle de travail sous le nom générique de mémoire à long terme. Par ailleurs, parmi ces dernières, on distingue souvent les mémoires explicites (épisodique et sémantique) des mémoires implicites (procédurale et perceptive).

Enfin, la mémoire autobiographique renvoie à nos souvenirs personnels et à nos connaissances sur nous-même, en interaction avec le monde qui nous entoure. Socle de notre identité personnelle, elle s’appuie notamment sur la mémoire épisodique et la mémoire sémantique.

La mémoire de travail

La mémoire de travail (ou mémoire à court terme) est la mémoire du présent. Elle permet de maintenir et de manipuler des informations pendant la réalisation d’une tâche ou d’une activité.

Cette mémoire est sollicitée en permanence : par exemple, c’est elle qui permet de retenir un numéro de téléphone le temps de le noter, ou le début d’une phrase le temps de la terminer. Elle s’appuie sur deux systèmes de stockage : la boucle phonologique et le calepin visuospatial. Le premier système est spécialisé dans les informations verbales et prolonge leur conservation grâce à un mécanisme de répétition mentale. Le calepin visuospatial conserve quant à lui les informations visuelles.

La mémoire de travail fonctionne comme une mémoire tampon : les informations qu’elle véhicule peuvent être rapidement effacées, ou finalement stockées de façon pérenne par le biais d’interactions spécifiques entre les systèmes de mémoire à court et à long terme.

La mémoire sémantique

La mémoire sémantique est celle du langage et des connaissances sur le monde et sur soi, sans référence aux conditions d’acquisition de ces informations. Elle se construit et se réorganise tout au long de notre vie avec l’apprentissage et la mémorisation de concepts génériques (sens des mots, savoir sur les objets) et de concepts individuels (savoir sur les lieux, les personnes…). 

La mémoire épisodique

La mémoire épisodique est celle des moments personnellement vécus (événements autobiographiques), celle qui nous permet de nous situer dans le temps et l’espace et, ainsi, de se projeter dans le futur. En effet, raconter un souvenir de ses dernières vacances ou se projeter dans les prochaines font appel à des circuits cérébraux en partie similaires. 

La mémoire épisodique commence à se constituer entre les âges de 3 et 5 ans, puis continue à se forger tout au long la vie. Elle est étroitement imbriquée avec la mémoire sémantique : progressivement, les détails précis de ces souvenirs se perdent tandis que les traits communs à différents événements vécus favorisent leur amalgame et deviennent progressivement des connaissances tirées de leur contexte. Ainsi, la plupart des souvenirs épisodiques se transforment en connaissances générales, par un processus de sémantisation.

La mémoire procédurale

La mémoire procédurale est la mémoire des automatismes. Elle permet de conduire, de marcher, de faire du vélo ou jouer de la musique sans avoir à réfléchir et réapprendre à chaque fois. Ces processus sont effectués de façon implicite, c’est-à-dire inconsciente : on ne peut pas vraiment expliquer comment on procède, pourquoi on tient en équilibre sur son vélo et avance sans tomber. Les mouvements se font sans contrôle conscient et les circuits neuronaux impliqués sont automatisés. Cette mémoire est particulièrement sollicitée chez les artistes ou les sportifs pour acquérir des procédures parfaites et atteindre l’excellence.

La constitution de la mémoire procédurale est progressive et parfois complexe, selon le type d’apprentissage auquel la personne est exposée. Elle se consolide progressivement, tout en oubliant les traces relatives au contexte d’apprentissage (lieu, enseignant…). 

La mémoire perceptive

La mémoire perceptive s’appuie sur nos sens et fonctionne la plupart du temps à notre insu. Elle permet de retenir des images (visages, lieux…) ou encore des bruits (voix, sons d’ambiance…) sans s’en rendre compte.

Avec la mémoire procédurale, la mémoire perceptive offre à l’humain une capacité d’économie cognitive, qui lui permet de se livrer à des pensées ou des activités spécifiques tout en réalisant des activités devenues routinières. C’est elle qui nous permet par exemple de rentrer chez nous par habitude, grâce à des repères visuels.


La mémoire au futur

Selon le contexte, nos propres aspirations, nos projets, nous avons une capacité à élaborer des scénarios plausibles pour le futur, constitués de pensées, d’images et d’actions. Ces scénarios ne peuvent prendre forme que sur la base des représentations du passé. La mémoire du futur fait donc appel à notre mémoire épisodique et sémantique, traditionnellement associées au passé. L’imagerie médicale permet de le vérifier : l’évocation d’un souvenir autobiographique ou l’imagination d’un scénario futur font intervenir des régions cérébrales très proches les unes des autres. Par ailleurs, les études montrent que les patients atteints d’un syndrome amnésique très sévère ne peuvent se projeter dans le futur. 

La capacité à remplir une tâche à une date ou un jour précis entre aussi dans le cadre de la mémoire du futur : on l’appelle alors plus volontiers mémoire prospective, articulée autour de différents volets selon la nature des tâches à effectuer : « mémoire prospective au sens propre » pour les actions ponctuelles (poster une lettre, aller à un rendez-vous…), « mémoire prospective habituelle » pour toutes les tâches routinières, « monitoring » pour l’attention portée à la fin d’une tâche tandis qu’une autre est en cours (penser à arrêter le four à la fin d’une cuisson, par exemple). 

Cette notion de mémoire du futur peut avoir des applications thérapeutiques. Ainsi, des « thérapies orientées vers le futur » ont été développées et testées auprès de patients atteints de dépression majeure ou de schizophrénie. Menées à travers plusieurs séances réparties sur quelques semaines, elles consistent à sensibiliser les patients à l’importance des projections mentales dans le futur et à la façon dont celles-ci peuvent être améliorées en luttant contre des mécanismes personnels de résistance. Progressivement, le thérapeute leur propose des activités de pleine conscience et les conduit à travailler sur l’évocation de leurs propres valeurs, leurs objectifs, et les moyens d’y arriver.


Mémorisation : De l’organisation cérébrale….

L’imagerie fonctionnelle (tomographie par émission de positons, imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) permet d’observer le fonctionnement cérébral impliqué dans les processus cognitifs. Elle a permis de montrer qu’il n’existe pas « un » centre de la mémoire dans le cerveau : les différents systèmes de mémoire mettent en jeu des réseaux neuronaux distincts, répartis dans différentes zones du cerveau.


Comment étudie-t-on les processus neurobiologiques de la mémoire ?

Plusieurs techniques sont aujourd’hui utilisées pour explorer les bases cérébrales de la mémoire et analyser ses processus d’encodage, de stockage, de récupération ou encore d’effacement. En pratique, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est l’un des outils les plus utilisés : elle exploite la façon dont le débit sanguin varie dans les différentes zones cérébrales lors d’une tâche mnésique, ce flux constituant un marqueur indirect de la consommation en oxygène et en énergie des régions les plus sollicitées pour cette tâche. La tomographie par émission de positons (TEP) propose une approche comparable en mesurant l’activité métabolique du cerveau, mais elle reste lourde et complexe à utiliser.

Mais si ces deux types d’imagerie ont une bonne résolution spatiale, elles ne sont pas très puissantes sur le plan de la résolution temporelle. C’est la raison pour laquelle les techniques électrophysiologiques comme l’électroencéphalogramme (EEG) et plus récemment la magnétoencéphalographie (MEG) sont très utiles : cette dernière permet d’enregistrer l’activité électrique cérébrale en temps réel au niveau des différentes zones cérébrales d’intérêt, avec une précision de l’ordre du millième de seconde. Elle permet ainsi d’analyser finement la dynamique des interactions neuronales et d’observer la synchronisation de différentes régions cérébrales lors de différentes tâches mnésiques.


La mémoire sémantique fait intervenir des régions très étendues, et particulièrement les lobes temporaux et pariétaux. Le rôle de l’hippocampe et du lobe frontal semble particulièrement déterminant dans la mémoire épisodique, avec un rôle prépondérant des cortex préfrontaux gauche et droit dans son encodage et sa récupération, respectivement. La mémoire procédurale recrute quant à elle des réseaux neuronaux sous-corticaux et au niveau du cervelet. Enfin, la mémoire perceptive recrute des réseaux dans différentes régions corticales, à proximité des aires sensorielles.

Schéma des zones du cerveau impliquées dans la mémoire
Zones du cerveau impliquées dans la mémoire © Inserm, F. Koulikoff 

L’hippocampe constitue un élément important dans le processus de stockage de l’information, mais il joue aussi un rôle dans celui de restitution d’un souvenir, quelle que soit son ancienneté. Pour autant, il serait moins sollicité lorsque la réminiscence provient de la mémoire sémantique plutôt que de la mémoire épisodique. 

Par ailleurs, selon la nature du souvenir évoqué et selon la tâche dans laquelle il est impliqué, on observe une coactivation de différents réseaux neuronaux. La restitution d’un souvenir ne dépend donc pas d’une zone particulière : elle implique un réseau qui relie les différentes régions impliquées – hippocampe, amygdale, lobe frontal… – et permet de récupérer ce souvenir dans sa plénitude, que ce soit sur le plan sensoriel, autobiographique ou sémantique.

...à la plasticité synaptique

La mémorisation résulte de la modification des connexions entre les neurones d’un système de mémoire : on parle de « plasticité synaptique », les synapses étant les points de contacts entre les neurones. Les différentes formes de mémoire fonctionnant en interaction, un souvenir se traduit par l’intervention de neurones issus de différentes zones cérébrales et assemblés en réseaux. Ces connexions interneuronales évoluent constamment au gré des expériences. Elles sont responsables de la persistance à long terme d’un souvenir, ou selon les cas de sa non-persistance (importance de l’évènement, contexte émotionnel, environnemental et social…).

Pris isolément, un souvenir correspond à une variation de l’activité électrique au niveau d’un circuit spécifique formé de plusieurs neurones. Sa formation repose sur le renforcement ou la création d’une connexion synaptique temporaire, stimulée par le biais de protéines produites et transportées au sein des neurones : le glutamate, le NMDA ou encore la syntaxine qui va elle-même moduler la libération du glutamate. Le souvenir est ensuite consolidé ou non en fonction de la présence dans les heures suivantes de médiateurs cellulaires au niveau du réseau neuronal impliqué. L’activation régulière et répétée de ce réseau permettrait de renforcer ou de réduire les connexions qu’il met en jeu et, par conséquent, de consolider ou oublier ce souvenir. Sur le plan morphologique, cette plasticité est associée à des changements de forme et de taille des synapses, des transformations de synapses silencieuses en synapses actives, à la croissance de nouvelles synapses. 

Le maintien à long terme d’un souvenir repose sur la modification de la cinétique d’élimination ou de renouvellement de certains médiateurs. La phosphokinase zêta (PKM zêta) joue un rôle prépondérant dans ce mécanisme en favorisant la persistance des mécanismes impliqués dans la stabilisation et la consolidation des souvenirs. Elle possède pour cela deux propriétés spécifiques : elle n’est soumise à aucun mécanisme d’inhibition et elle s’autoréplique. 

Au cours du vieillissement, la plasticité des synapses diminue et les modifications des connexions sont plus éphémères, ce qui pourrait expliquer des difficultés croissantes à retenir des informations. 

Section transversale d'hippocampe
Section transversale d’hippocampe, région cérébrale du système nerveux central impliquée dans la mémoire. Des neurones sont créés continuellement dans le gyrus denté (partie claire), participant ainsi à la plasticité cérébrale. Ici, les noyaux cellulaires et les « corps de Nissl », des organelles spécifiques aux neurones, sont marqués révélant l’organisation de l’hippocampe en couches très structurées. © Inserm/Damien Guimond

La réserve cognitive, soutien de la mémoire

Les capacités de maintien de la mémoire et d’adaptation en cas de lésions cérébrales semblent variables d’un individu à l’autre. En effet, il a été décrit qu’à lésions cérébrales équivalentes en imagerie, tout le monde ne présente pas les mêmes altérations mnésiques. Ces capacités dépendraient de la réserve cérébrale, relative au tissu cérébral, et de la réserve cognitive.

La réserve cérébrale correspond au volume, au nombre de neurones et à celui de synapses qui caractérisent le tissu cérébral d’une personne. Elle serait sous l’influence de paramètres non seulement génétiques mais aussi environnementaux. À lésions équivalentes, ceux qui présentent une réserve cérébrale plus importante présenteraient des troubles cognitifs moins sévères. La réserve cognitive correspond quant à elle à l’efficacité du cerveau et des réseaux neuronaux impliqués dans la réalisation d’une tâche à mobiliser ou mettre en place des réseaux compensatoires en cas de lésions pathologiques ou de perturbations physiologiques liées à l’âge. Elle se traduit par la variabilité entre individus de la tolérance à des lésions cérébrales identiques.

La constitution de cette réserve cognitive pourrait dépendre : 

  • de l’importance des apprentissages et du niveau d’éducation
  • d’une stimulation intellectuelle tout au long de la vie
  • de la qualité des relations sociales
  • de l’alimentation et de l’activité physique
  • du sommeil
  • des paramètres génétiques sont également impliqués

Hygiène de vie et mémoire

Des expériences ont montré que dormir améliore la mémorisation, et ce d’autant plus que la durée du sommeil est longue. À l’inverse, des privations de sommeil (moins de 4 ou 5 heures par nuit) sont associées à des troubles de la mémoire et des difficultés d’apprentissage. Par ailleurs, le fait de stimuler électriquement le cerveau (stimulations de 0,75 Hz) pendant la phase de sommeil lent (caractérisée par l’enregistrement d’ondes corticales lentes à l’encéphalogramme) améliore les capacités de mémorisation d’une liste de mots. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ce phénomène : pendant le sommeil, l’hippocampe est au repos, évitant les interférences avec d’autres informations au moment de l’encodage du souvenir. Il se pourrait aussi que le sommeil exerce un tri, débarrassant les souvenirs de leur composante émotionnelle pour ne retenir que la composante informationnelle, facilitant ainsi l’encodage. Pour en savoir plus, consulter le dossier Sommeil.

Le sommeil n’est pas le seul paramètre d’hygiène de vie qui influence notre capacité de mémorisation : l’alimentation (bénéfice du régime méditerranéen), l’activité physique et les activités sociales jouent également un rôle important. 


Mémoire et émotions : de l’amélioration mnésique...

Les émotions modulent la façon dont une information est enregistrée : le plus souvent, une émotion renforce ponctuellement l’attention. Aussi, une émotion positive peut se traduire par une amélioration ponctuelle de notre capacité à retenir une information. De même, comparativement à celle d’un souvenir neutre, la restitution d’un souvenir émotionnel ancien est souvent de meilleure qualité lorsque l’émotion associée est importante, qu’elle soit positive ou négative (mais non extrême). L’imagerie fonctionnelle montre d’ailleurs que la qualité du rappel des souvenirs est proportionnelle à leur intensité émotionnelle, observable par l’activation de l’amygdale, la structure cérébrale qui constitue le siège des émotions. Enfin, un état émotionnel positif est associé à une meilleure capacité à convoquer sa mémoire.

Chez les personnes qui présentent un trouble cognitif, comme une démence, des expériences ont montré un effet protecteur des émotions positives sur les capacités résiduelles de mémoire. Ce mécanisme existe cependant uniquement dans les premiers stades de la maladie. Ensuite, l’incapacité de l’amygdale à remplir son rôle rend ce mécanisme compensatoire inefficace. 

...à la pathologie : le cas du trouble de stress post-traumatique

Une émotion trop intense, notamment traumatique, engendre néanmoins une perturbation de ce mécanisme. Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) est un ensemble de symptômes qui surviennent chez des personnes victimes ou témoins d’un évènement dramatique : l’intensité émotionnelle liée à l’évènement est associée à une intense décharge de glucocorticoïdes (hormone du stress) dans l’hippocampe, qui submergent les capacités d’adaptation émotionnelle, comportementale et cognitive de la personne et qui perturbent l’encodage mnésique normal. Le souvenir est alors mémorisé de façon dissociée avec, d’une part une amnésie de certains aspects (contexte de survenue, chronologie des évènements) et, d’autre part une hypermnésie d’autres détails (principalement sensoriels et émotionnels).

Ainsi, les images ou impressions sensorielles en lien avec l’évènement vont s’imposer à ces personnes, sans perdre en intensité, et sans qu’elles n’arrivent à en contrôler ni à en rationaliser la survenue. Elles ont ainsi l’impression de revivre continuellement la scène traumatisante, même des années après et développent en conséquence un évitement des situations potentiellement évocatrices de l’évènement, et une hypervigilance constante.

Pour en savoir plus consulter le dossier Troubles de stress post-traumatique

… et de l’amnésie dissociative

Dans d’autres situations qui entraînent une émotion vive (stress, agression...), certaines personnes développent une amnésie dissociative : véritable stratégie défensive adaptative développée de façon inconsciente, elle est définie par l’« incapacité à se souvenir d’informations autobiographiques importantes, généralement liées à des événements traumatiques ou stressants, et dont l’ampleur dépasse ce qui pourrait être attribué à un simple oubli » (définition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques, DSM‑5).

Si les processus sont encore mal compris, il semble qu’ils reposent sur une interruption des interactions entre l’amygdale, l’hippocampe et le cortex préfrontal. L’amygdale devient alors hyperactive et la capacité de régulation de l’hippocampe et du cortex préfrontal sont inhibées. Ce mécanisme crée une sensation de dépersonnalisation et de déréalisation au moment de l’agression, protecteur lors du trauma.

Il explique la survenue d’une amnésie au décours immédiat de l’évènement stressant ou traumatisant, généralement transitoire mais qui peut persister durablement. Il ne reste alors que des souvenirs fragmentés et inaccessibles à la conscience. Ces derniers peuvent toutefois ressurgir brutalement, ou être progressivement réactivés à l’issue d’une conscientisation de l’évènement déclencheur. Le souvenir dissocié qui revient à la mémoire est alors précis et s’accompagne d’une composante émotionnelle, sensorielle et/ou motrice vive. Ce phénomène peut expliquer certaines des situations dans lesquelles les victimes de violences, physiques ou sexuelles, évoquent leur agression des années après, une fois le souvenir revenu à la conscience.

Sur le plan thérapeutique, la compréhension des mécanismes de stabilité des souvenirs et de l’influence émotionnelle offre les moyens d’envisager la prise en charge thérapeutique de certaines pathologies : ainsi, le développement d’approches psychothérapeutiques fondées sur la dissociation entre les souvenirs et les émotions peut permettre de réduire le handicap lié à des maladies comme certaines formes d’anxiété ou l’état de stress post-traumatique.

L’oubli, à la fois partenaire et adversaire de la mémoire

Depuis une vingtaine d’années, la prévalence croissante des troubles de la mémoire tels que la maladie d’Alzheimer, a fait de l’oubli un symptôme. Pourtant, l’oubli est aussi un processus physiologique, indispensable au bon fonctionnement de la mémoire. Il est nécessaire pour l’équilibre du cerveau : en sélectionnant les informations secondaires, il permet de ne pas encombrer les circuits neuronaux. L’oubli est un corollaire de la qualité de hiérarchisation et de l’organisation des informations stockées.

Certaines personnes souffrent d’hypermnésie idiopathique, une pathologie de l’abstraction et de la généralisation du souvenir dans laquelle l’oubli des détails est aboli. Ces personnes rencontrent des difficultés de vie quotidienne liées à l’incapacité d’organiser leurs souvenirs en fonction de leur significativité et de leur importance. 

Cependant, l’oubli peut aussi correspondre à la disparition involontaire de souvenirs acquis par apprentissage volontaire ou implicite, alors que leur encodage a été réalisé correctement. Ce phénomène reste physiologique tant qu’il est sporadique. Il concerne plus souvent la mémoire épisodique que la mémoire sémantique, procédurale ou sensorielle. Il devient pathologique, et prend plus volontiers le nom d’amnésie, lorsqu’il concerne des pans entiers de mémoire sémantique ou épisodique. 

La conscience de soi : une mémoire qui résiste à l’oubli

La mémoire autobiographique est composée de souvenirs spécifiques (mémoire épisodique), d’informations et de souvenirs généraux sur soi-même (mémoire sémantique personnelle) et du concept de soi (représentation de soi, valeurs, croyances…). À mesure que l’on progresse de l’une à l’autre de ces trois composantes, la mémoire épisodique est moins sollicitée, au profit de la mémoire sémantique. Cela explique pourquoi les troubles de la mémoire n’affectent pas les différents types de souvenirs et de connaissances de la même façon : si les personnes atteintes de démence perdent leur capacité à créer de nouveaux souvenirs ou à se remémorer des souvenirs récents liés à la mémoire épisodique, elles peuvent garder leur conscience d’elle-même.

Les multiples troubles de la mémoire

Certaines situations entraînent des troubles de la mémoire sévères et des amnésies durables. Il peut s’agir de :

Des troubles sont moins sévères et parfois réversibles peuvent être causés par :

  • des maladies mentales comme la dépression
  • le stress et l’anxiété, ou la fatigue
  • un événement traumatisant comme un deuil
  • des effets indésirables de médicaments comme des somnifères, des anxiolytiques (d’autant plus fréquent que la personne est âgée)
  • l’usage de drogues

Les troubles de la mémoire peuvent avoir différentes origines biologiques, comme un déficit de certains neuromédiateurs ou une faible connectivité entre les réseaux cérébraux. Leurs manifestations sont extrêmement variables selon leur origine et les localisations cérébrales des processus pathologiques.

Ainsi, des patients atteints d’une démence sémantique, dans laquelle des mots ou des informations sont effacés, perdent également des souvenirs anciens alors qu’ils continuent à mémoriser de nouveaux souvenirs épisodiques (souvenirs « au jour le jour »). Ces troubles sont associés à une atrophie des lobes temporaux externes.

Chez d’autres patients, notamment ceux souffrant de la maladie d’Alzheimer, les troubles concernent d’abord la mémoire épisodique : chez eux, les souvenirs les plus anciens sont épargnés plus longtemps que les plus récents, car les plus anciens sont largement sémantisés et ainsi plus résistants aux effets de cette maladie.

D’autres types de déficiences existent : celles qui affectent les neurones impliqués dans la mémoire procédurale peuvent engendrer la perte de certains automatismes, comme chez les personnes atteintes par la maladie de Parkinson ou de Huntington. La déficience des neurones impliqués dans la mémoire du travail peut quant à elle conduire à des difficultés pour se concentrer et faire deux tâches en même temps. 

Visualisation des zones atrophiées dans la maladie d'Alzheimer et la démence sémantique
Maladie d’Alzheimer et démence sémantique. Visualisation des zones atrophiées dans la maladie d’Alzheimer (en haut), dans la démence sémantique (au milieu) et, de façon commune dans ces deux pathologies (en bas). Les flèches rouges indiquent la région commune hippocampique affectée par ces démences. © Inserm/Renaud Lajoie / Unité 1077

Il existe également des troubles de la mémoire sévères mais transitoires, comme l’ictus amnésique idiopathique : survenant le plus souvent entre 50 et 70 ans, il s’agit d’une amnésie soudaine et massive qui reste inexpliquée, même si certains facteurs de risque sont identifiés (avancée en âge, émotion forte, effort physique inhabituel…). Pendant cet épisode, le patient est incapable de se souvenir de ce qu’il vient de faire, sa mémoire épisodique est annihilée. Mais sa mémoire sémantique est intacte : il peut répondre à des questions de vocabulaire et évoquer des connaissances générales. Cette amnésie disparaît souvent après six à huit heures. 

Les enjeux de la recherche

La mémoire, ses troubles et leurs prises en charge donnent lieu à de nombreuses recherches qui font appel à des expertises variées dans un cadre pluridisciplinaire : génétique, neurobiologie, neuropsychologie, électrophysiologie, imagerie fonctionnelle, épidémiologie, différentes disciplines médicales (neurologie, psychiatrie…), mais aussi sciences humaines et sociales. 

Prendre en charge les troubles de l’identité narrative

Le concept d’« identité narrative » fait référence à la façon dont nous intégrons progressivement notre histoire de vie à mesure qu’elle se déroule. Cette identité évolue donc avec le temps et nous permet d’avoir un sentiment de cohérence et de continuité pour expliquer notre parcours et nous projeter dans le futur. Certains traumatismes altèrent ce fonctionnement. Ainsi, les personnes qui souffrent d’une amnésie épisodique après un traumatisme crânien ont une incapacité à se projeter dans le futur. Les souvenirs traumatiques, par la dissociation mnésique décrite précédemment, sont également incapables de s’intégrer dans l’histoire de vie de la personne : cela rend difficile non seulement la mise à distance des affects qui y sont liés, mais aussi les capacités de résilience et de projection de soi dans le futur.

De nouvelles approches de psychothérapies sont développées pour aider ces patients : les thérapies centrées sur la perspective temporelle et les thérapies orientées vers le futur cherchent à décentrer le patient des aspects anxiogènes ou négatifs liés aux évènements passés, afin de l’aider à se projeter avec davantage de bénéfice dans le futur. Il existe aussi des thérapies d’exposition par l’écriture, qui consistent à faire écrire le patient sur son souvenir traumatique, de manière répétée et structurée. Petit à petit, la répétition des reformulations permet de réorganiser la façon de raconter le souvenir et à en diminuer progressivement la charge émotionnelle.

Mémoire et traumatisme psychique

En France, les attentats de 2015 et 2016 ont conduit à la mise en place de plusieurs projets qui nourrissent aujourd’hui la connaissance et la compréhension des liens entre mémoire et traumatisme psychique :

Le programme 13-Novembre est un programme de recherche transdisciplinaire mené par des chercheurs de l’Inserm et du CNRS. Il se penche depuis 2016 sur la façon dont la mémoire individuelle et collective de ces évènements se constitue et évolue au cours du temps. Il passe notamment par le recueil, jusqu’en 2028, de témoignages de personnes directement, indirectement ou non exposées aux attentats. L’idée est de mieux décrire les processus à l’origine des troubles post-traumatiques sur le plan psychologique, neuroscientifique, social et historique, afin d’en extraire des pistes de prise en charge spécifiques.

Le Centre national de ressources et de résilience (CN2R (Centre National de Ressources et de Résilience) a été créé en 2019 afin d’améliorer les connaissances sur le psychotraumatisme et la résilience, et pour en favoriser la diffusion. Il vise à mettre en adéquation les travaux de recherche scientifique avec les besoins de la société, au niveau individuel et collectif. Il vise aussi à diffuser les savoirs auprès du public et des professionnels, et à animer le réseau des dispositifs de prise en charge du psychotraumatisme qui existent en France

Ma mémoire et celle des autres

La mémoire a longtemps été considérée comme individuelle et étudiée comme telle. Cette approche est aujourd’hui considérée comme caduque, ou du moins incomplète. Le souvenir se situe en effet à l’interface entre l’identité personnelle et les représentations collectives : il se constitue à partir des interactions entre la personne, les autres et l’environnement. Il ne peut être détaché du contexte social dans lequel il prend place. Les interactions, mais aussi les représentations sociales et les stéréotypes influencent le fonctionnement de notre mémoire. 

On parle de cognition sociale : elle permet, par exemple, d’adapter son comportement selon le contexte dans lequel on se trouve, et cela grâce à la mémorisation et l’analyse des expériences passées. L’empathie découle également de cette notion interindividuelle de la mémoire : elle utilise notamment les informations de la mémoire épisodique afin de permettre un « voyage de l’esprit » qui se traduit en capacité à partager la détresse de l’autre. Aussi appelée « théorie de l’esprit », cette capacité à se mettre à la place de quelqu’un et à imaginer et interpréter ses pensées fait appel à nos mémoires dont nous décentrons l’objet. Sur le plan médical, la dégénérescence des neurones au niveau frontotemporal, retrouvée dans certaines démences (Alzheimer et apparentées), se caractérise par une diminution de la cognition sociale : le malade peut présenter des troubles du comportement ou des dysfonctionnements sociaux. 

Par ailleurs, sur un plan plus large, il existe aussi une mémoire collective ou culturelle, celle qui prend place autour des évènements historiques (autour de leur évocation ou de leur commémoration) et des évènements contemporains médiatisés. Il s’agit d’une mémoire partagée constituée des différentes représentations de l’évènement par l’ensemble des personnes. 

Ce domaine de recherche est particulièrement novateur et rapproche les expertises en neurosciences et en psychologie de celles en sociologie, en histoire, en philosophie ou en éthique. En termes thérapeutiques, cette transdisciplinarité peut également apporter un intérêt : l’état de stress post-traumatique correspond par exemple à une hypermnésie des perceptions et émotions liées à l’évènement, à une amnésie des aspects contextuels, ainsi qu’à une perturbation de la mémoire autobiographique. À la suite d’un évènement traumatisant, une prise en charge appropriée de la charge émotionnelle associée pourrait être d’autant plus efficace que l’évènement en question est inscrit dans le cadre social, à la fois familial et professionnel. Il en serait d’autant plus question dans le cadre d’un évènement inscrit dans la mémoire collective. 

La conscience individuelle, à l’interface de la mémoire individuelle et collective

Aujourd’hui, on considère que la mémoire n’est ni une simple résultante biologique du cerveau ni une résultante purement sociologique qui nierait l’ancrage corporel des souvenirs. De nombreux travaux, comme ceux menés dans le cadre du programme 13 ‑Novembre, décrivent que la mémoire résulte d’une interaction dynamique entre nos souvenirs et la mémoire sociale. En d’autres termes, nos expériences sensorielles et nos récits de vie, mis en mot, viennent nourrir notre mémoire sémantique (connaissances générales) mais aussi la mémoire sociale, que ce soit au travers de la communication avec autrui, ou à travers des récits médiatiques ou historiques. Ils s’intègrent alors dans le cadre social (commémorations, discours, histoire…) qui va lui-même conduire à définir les normes sociales et organiser la mémoire collective et donc, par ricochet, la mémoire autobiographique. Aussi des thérapies nouvelles s’intéressent désormais aux récits écrits : le thérapeute fait écrire le patient et le conduit à évoluer grâce à ce travail (thérapies d’exposition par l’écriture).

Vers une médecine psychédélique

Sur le plan thérapeutique, certaines substances psychédéliques (LSD, MDMA, psilocybine...) peuvent faciliter la prise en charge de troubles comme celui du stress post-traumatique. En effet, leurs effets combinent une modulation de la charge affective liée au souvenir en agissant sur l’amygdale, et une amélioration de la plasticité neuronale : l’ensemble permet d’évoquer les souvenir traumatiques dans un cadre plus serein, de limiter les ruminations et de redéfinir de nouvelles organisations cognitives et émotionnelles en lien avec les évènements. Les études cliniques menées avec de tels produits sont encourageants, avec une diminution durable des symptômes.


Modifier la mémoire grâce à l’optogénétique 

Outre l’imagerie fonctionnelle, qui fait aujourd’hui partie des modes d’exploration incontournables de l’organisation mnésique, d’autres approches sont plus récentes et en pleine évolution. C’est notamment le cas de l’optogénétique, qui est une technique alliant génétique et optique : elle consiste à modifier génétiquement des cellules afin de les rendre sensibles à la lumière et, grâce à cette dernière, d’en moduler le fonctionnement. Ainsi, l’optogénétique permet d’activer ou d’inhiber expérimentalement des groupes spécifiques de neurones dans le tissu cérébral et d’en évaluer l’impact

Elle permet aussi de développer des méthodes de manipulation de la mémoire (implantations de faux souvenirs, oubli expérimental…). Ces travaux permettent d’envisager des approches thérapeutiques intéressantes dans la prise en charge de certains troubles psychiatriques. 


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