Rêvasser pourrait être utile à l’apprentissage

Enfants et adultes passent chaque jour des heures à rêvasser. Si cela les éloigne de leur objectif immédiat, ce vagabondage mental pourrait toutefois contribuer à renforcer l’apprentissage dit « implicite », indispensable pour prédire l’avenir. C’est ce que montre l’équipe de Dezső Németh, chercheur Inserm au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

Les humains passent entre 30 et 50 % de leur temps d’éveil à rêvasser. Les scientifiques appellent cela le « vagabondage mental » : les pensées s’échappent de la tâche en cours pour explorer des sujets sans rapport avec cette dernière. Le phénomène concerne aussi bien les enfants que les adultes : on rêve à l’école comme au travail ! Ces petits instants « hors ligne », qui ont déjà fait l’objet de recherches, ont longtemps été perçus de manière négative. « Des études montrent que la rêverie peut nuire à l’attention, à la mémoire à court terme, dite mémoire de travail, qui permet de mémoriser des données pour les restituer ensuite, ou encore aux performances sur les tâches immédiates », explique Dezső Németh, responsable de l’équipe Inserm Mémoire, apprentissage et recablage neuronal (Memo) au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. D’ailleurs, les enseignants redoutent que les élèves perdus dans leurs pensées pendant un cours ne puissent pas répondre à leurs questions ou aient du mal à suivre le cours suivant. « Certains chercheurs vont jusqu’à affirmer que réduire la rêverie mentale pourrait augmenter significativement le PIB d’un pays, en améliorant les performances attentionnelles des individus », indique-t-il.

Un avantage sélectif ?

Mais si la rêverie a tant d’inconvénients, pourquoi le cerveau y consacre-t-il autant de temps ? N’aurait-elle pas un avantage sélectif ? Un bénéfice pour l’individu ? « Cette question intrigue psychologues et neuroscientifiques depuis des décennies », poursuit Dezső Németh. Pour y apporter des éléments de réponse, son équipe a testé l’impact du vagabondage mental au cours de tâches d’apprentissage. Elle a recruté 135 volontaires sains qui ont accepté d’effectuer des tests en ligne. Une image apparaissait de façon apparemment aléatoire dans l’une des quatre fenêtres de leur écran, et les participants devaient prédire dans quelle fenêtre elle allait se montrer. En réalité, les séquences n’étaient pas aléatoires mais suivaient un motif complexe. Au cours de l’exercice, les volontaires étaient régulièrement interrompus pour savoir s’ils étaient restés concentrés ou avaient eu quelques instants d’égarement. Sur les 135 volontaires, 117 ont rapporté un vagabondage mental à au moins une reprise. Au total, ces participants ont en moyenne rêvassé pendant presque un tiers du test. En parallèle, les chercheurs ont évalué leurs capacités à prédire la fenêtre d’apparition de l’image, et la rapidité de leur réponse. Les résultats montrent que les participants qui ont eu des moments de rêverie présentaient de meilleurs résultats que ceux restés concentrés, sans pour autant qu’ils aient consciemment compris la séquence d’apparition du dessin. « Dans cette étude, la rêverie semble associée à de meilleures capacités d’apprentissage implicite », clarifie Dezső Németh.

Prédire l’avenir

Pour bien comprendre ces résultats, la notion d’apprentissage implicite est importante à appréhender : « Il existe différents types de mémoire, contrôlées par des réseaux neuronaux distincts, et certains processus se font de manière inconsciente : nous apprenons sans même le savoir. En effet, le cerveau tente en permanence de décrire et d’analyser des éléments en lien avec ce que nous voyons ou entendons, et cela dans le but de prédire l’avenir, explique Dezső Németh. Par exemple, lorsque l’on s’entretient avec une personne, le cerveau analyse inconsciemment l’intonation de sa voix, sa façon d’être, les termes qu’il utilise, ce qui permet de mieux connaître notre interlocuteur pour la suite. De même, quand on entend une nouvelle langue, le cerveau analyse ses sons, ses enchaînements et son rythme pour tenter de la décrypter », illustre-t-il. Dans le cadre de l’étude décrite ici, la rêverie aurait inconsciemment aidé les participants à extraire la séquence d’apparition de l’image. Le vagabondage mental pourrait donc aider le cerveau à intégrer des informations dites de « structure », qui renforcent l’apprentissage implicite. « Il apporterait donc un bénéfice pour les nouveaux apprentissages ! », résume le chercheur.

Comment expliquer ce phénomène ? Dezső Németh a une hypothèse : celle du « sommeil au cours de l’éveil ». De précédents travaux, conduits notamment à l’Institut du cerveau à Paris, ont montré que le vagabondage mental est associé à la présence d’ondes lentes dans le cortex préfrontal, caractéristiques du sommeil. Aussi, le chercheur émet l’idée qu’un individu qui rêvasse serait comme en sommeil alors qu’il est éveillé, ce qui contribuerait à consolider sa mémoire. En outre, le fait de sortir de cette phase pourrait créer un état de plus grande vigilance qui permet de déceler des facteurs non pris en compte lors d’un état de concentration prolongé. « Quand on revient à la tâche, peut-être qu’on voit les choses différemment », propose-t-il. Faut-il pour autant laisser les enfants rêver en classe ? « Quand même pas. Mais il ne faut pas être affolé par ces moments d’égarement, en particulier lors de nouveaux apprentissages », conclut Dezső Németh.


Dezső Németh est titulaire d’une chaire Inserm et responsable de l’équipe Memo, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL, unité 1028 Inserm/CNRS/Université Claude Bernard – Lyon 1), à Bron.


Source : T. Vékony et coll. Mind wandering enhances statistical learning. iScience du 4 janvier 2025. doi :10.1016/j.isci.2024.111703

Autrice : A. R.

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