Maladies neurodégénératives : Dansez ! Bougez !

Deux pas en avant, trois pas sur le côté… C’est au rythme de la danse et des arts martiaux que les patients atteints de troubles cognitifs tels que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson pourraient trouver un certain soulagement alors que les traitements tardent à voir le jour.

Un article à retrouver dans le n°45 du magazine de l’Inserm

Si les maladies neurodégénératives touchent au moins un tiers de la population européenne, très peu de solutions médicamenteuses sont proposées. À ce jour, aucun traitement n’existe pour stopper l’évolution des deux plus fréquentes, la maladie d’Alzheimer et celle de Parkinson. En attendant, les chercheurs se tournent vers des solutions originales pour améliorer la prise en charge des patients, préserver leurs fonctions le plus longtemps possible et leur apporter une petite source de plaisir. 

Danser pour mieux penser

Avec près de 900 000 personnes souffrant de démences de type Alzheimer en France, cette maladie est aujourd’hui au centre des préoccupations. La dégénérescence lente des neurones provoque dans un premier temps une perte importante de la mémoire. La recherche s’est longtemps focalisée sur cet angle et ce n’est que récemment que l’impact de la maladie sur les fonctions motrices est étudié. France Mourey, de l’unité Cognition, action et plasticité sensorimotrice* à Dijon, identifie très tôt dans la pathologie des troubles du mouvement et de la posture, en particulier au niveau des ajustements de l’équilibre.

Vient donc l’idée de proposer une activité physique adaptée capable de favoriser implicitement le mouvement et de pallier ces troubles moteurs. Et c’est sur une danse, le tango, que le choix s’est porté. « Le tango a été une révélation pour moi. C’est une danse qui, dans la mémoire de chacun, évoque à la fois le rythme, la vie, la passion, l’émotion qui ne peuvent qu’activer le mouvement », explique la chercheuse. Le tango permet de travailler la rotation de la tête, la dissociation des épaules et du bassin, les déplacements latéraux, et les changements en rythme. « On y retrouve tous les éléments essentiels à l’activation de l’équilibre dynamique et certains composants abordés en rééducation. » Sous l’influence du tango et de la musique, les déplacements compliqués dans la maladie se fluidifient, les pas se transforment, s’allongent, et le rythme de la marche évolue. Même à des stades très avancés de la maladie, les améliorations de la mobilité sont parfois immédiates. Reste à savoir si les progrès se pérennisent dans le temps. Grâce à de petits accéléromètres sous forme de bracelets de cheville qui captent les accélérations des mouvements des patients, les scientifiques ont donc cherché à mesurer les effets de la danse après une période d’entraînement de 6 semaines. Les analyses sont encore en cours. « Notre objectif est de comprendre en amont ce qui se passe dans ces mouvements pour proposer des programmes de prévention plus efficaces. » Si les chercheurs arrivent à démontrer que les patients se synchronisent beaucoup mieux et conservent des capacités d’apprentissage, le tango pourrait être utilisé comme source thérapeutique et comme outil de prévention à des stades précoces aussi bien qu’avancés de la maladie. « De mon point de vue, il est moins important de considérer les lésions causées par la maladie que les symptômes fonctionnels. Il vaut mieux connaître où sont les réserves fonctionnelles des patients plutôt que ce qu’ils ont perdu », avoue France Mourey. 

Mouvement, danse, tango et réhabilitation – Reportage et interview de France Mourey – 4 min – extrait de la série Les allegros d’Alzheimer, une coproduction ABB Reportages / Inserm (2013)

Tomber pour mieux se relever

Si plusieurs travaux montrent que l’activité cérébrale et physique a une influence positive sur le déroulement de la maladie d’Alzheimer, peu d’informations et d’études s’intéressent aux mêmes effets dans celle de Parkinson. Les symptômes de la maladie impactent visiblement la motricité et on pense donc naturellement que la kinésithérapie est utile voire indispensable. Beaucoup d’ateliers proposent des solutions rythmiques pour pallier les problèmes moteurs des malades, mais rares sont ceux correctement évalués. Peu d’études scientifiques montrant un bénéfice réel appuient ces propos. « C’est dommage. On imagine que c’est le cas, mais on ne sait pas si c’est purement symptomatique, si les bénéfices disparaissent à l’arrêt de l’activité, ou s’il y a une plasticité qui s’installe et qui retarde la maladie », explique Olivier Blin**, directeur de Dhune, un programme de l’hôpital de la Timone à Marseille, labellisé centre d’excellence pour les maladies neurodégénératives et le vieillissement (Coen). Ce professeur de pharmacologie et neuropsychiatre est capoeiriste. Il décide alors d’évaluer le contrôle du mouvement et du déplacement des patients parkinsoniens après 6 mois de participation à un atelier de capoeira. 

Cet élégant art martial afro-brésilien demande en effet de l’improvisation sur la musique et le rythme, et implique un travail important sur l’équilibre, les chutes et la façon de se relever. « La capoeira apprend des techniques pour se sortir de toutes situations. Tomber sur les fesses, les genoux, le dos, sur le côté et amortir, réagir tout de suite, profiter du mouvement et de la vitesse pour se rétablir et arriver à se remettre debout », décrit le chercheur. Ce sport rythmé fait travailler la motricité, la vitesse, et l’amplitude des mouvements mais pas seulement. D’autres symptômes de la maladie peuvent évoluer comme les troubles de l’humeur ou de l’anxiété. Et les barrières sociales finissent également par tomber. « La capoeira est à l’origine une activité structurante et assez formelle proposée aux enfants des favelas du Brésil afin de leur donner un cadre de valeurs humaines très fort. Elle aide ainsi à déconstruire la maladie de Parkinson sous tous ces angles et à se reconstruire dans un cadre social différent. » La recherche implique donc autant les sciences humaines et sociales que le contrôle du mouvement. Après les 6 mois, les chercheurs ont évalué, grâce à une tablette graphique, la progression de la motricité fine et la précision du geste en fonction de la vitesse, un facteur important, déterminant et positif dans le maintien de l’équilibre et de la motricité. Les patients montrent des améliorations sur tous les points. Cependant, Olivier Blin insiste sur le fait que l’étude n’en est qu’à ses débuts. « Ce sont des prétests encourageants mais on manque encore de connaissances pour aider les patients. Nous espérons mesurer d’autres facteurs physiologiques mais à ce jour le financement de la recherche sur des activités entièrement dédiées aux patients reste très difficile. Nous manquons cruellement de fonds alors que l’évaluation de l’utilité de ces activités sur le plan médical semble incontournable pour faire bénéficier les patients pleinement et potentiellement de cette expérience. »

En attendant, comme le dit si bien la fourmi de la fable de La Fontaine : « Eh bien, dansez maintenant ! »

Notes :

* unité 1093 Inserm/Université de Bourgogne – CHU de Dijon
** CIC Marseille, Inserm/Aix-Marseille Université