Maladies auto-immunes

La rupture de la tolérance au soi

Les maladies auto-immunes résultent d’un dysfonctionnement du système immunitaire qui conduit ce dernier à s’attaquer aux constituants normaux de l’organisme. C’est par exemple le cas dans le diabète de type 1, la sclérose en plaques ou encore la polyarthrite rhumatoïde. Face à ces maladies complexes, les chercheurs développent de nouvelles stratégies thérapeutiques dans l’objectif de parvenir à contrôler le système immunitaire sans pour autant l’empêcher de monter la garde vis-à-vis des agents pathogènes.

Dossier réalisé en collaboration avec Florence Apparailly (unité Inserm 1183, Institut pour la médecine régénérative et les biothérapies, CHU de Montpellier) et Divi Cornec (unité Inserm 1227, laboratoire Lymphocytes B, auto-immunité et immunothérapies, Université et CHU de Brest).

Comprendre les maladies auto-immunes

Alors qu’il est censé nous protéger contre les agents pathogènes (virus, bactéries…), notre système immunitaire peut parfois se déréguler. Il peut alors :

  • devenir trop sensible à certains constituants exogènes et déclencher des allergies,
  • ou bien réagir contre des constituants de l’organisme et favoriser l’émergence de maladies auto-immunes.

Les maladies auto-immunes forment un large ensemble constitué de maladies inflammatoires chroniques déclenchées par la perte de tolérance immunologique de l’organisme face à ses propres constituants. Des effecteurs de l’immunité – anticorps ou cellules – engendrent alors des lésions cellulaires ou tissulaires responsables de symptômes plus ou moins sévères. On distingue globalement deux groupes de maladies :

  • les maladies auto-immunes systémiques qui affectent plusieurs systèmes ou organes, dans lesquels les symptômes sont multiples, variés et peuvent être différents d’un patient à l’autre, comme dans le lupus érythémateux systémique (LES) ou la sclérodermie,
  • les maladies auto-immunes spécifiques d’organes qui se caractérisent par des dommages et une inflammation localisés à un organe ou à un groupe d’organes particulier, comme dans la thyroïdite d’Hashimoto ou le diabète de type 1 (qui affecte le pancréas).

De l’immunité...

L’immunité correspond à la capacité de notre organisme à se défendre contre des substances étrangères telles que des microorganismes. Elle repose sur deux mécanismes qui coexistent :

L’immunité innée est la première sentinelle, présente dans tous les tissus. Elle est assurée par différentes cellules immunitaires – macrophages, cellules dendritiques, cellules natural killers (ou NK)… – qui réagissent immédiatement, de façon non spécifique, lorsqu’elles sont en présence d’une menace. Une fois activée, l’immunité innée a pour principales fonctions de phagocyter l’agent pathogène, de débarrasser l’organisme du microorganisme débusqué ainsi que des débris consécutifs à son action, et de produire des médiateurs chimiques qui favorisent l’inflammation et alertent les effecteurs de la seconde ligne de défense, l’immunité adaptative. Elle a enfin pour rôle de rétablir l’équilibre (ou l’« homéostasie ») du tissu où a eu lieu l’évènement, une fois celui-ci résolu.

L’immunité adaptative se développe dans un second temps, alertée par différents messagers de l’immunité innée. Elle offre une réponse plus spécifique et plus puissante que l’immunité innée. Elle est principalement assurée par les lymphocytes T et les lymphocytes B. Ces deux types de cellules sont capables de reconnaître spécifiquement l’agent pathogène (en identifiant des parties clés de sa structure, appelées antigènes) grâce à des récepteurs présents à leur surface. D’autres protéines de surface, qui font partie du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH ou système HLA en anglais) leur permettent de distinguer ce qui appartient au « soi » (l’organisme) ou au « non-soi ». Une fois activés, ces lymphocytes enclenchent une cascade complexe d’évènements biologiques. Schématiquement, les lymphocytes B conduisent à la production d’anticorps et les lymphocytes T – cytotoxiques ou producteurs de molécules qui favorisent l’inflammation (des cytokines) – à la destruction de l’agent pathogène. Pour cela, les lymphocytes activés se multiplient et se différencient en cellules effectrices. En outre, une partie d’entre eux permet développement d’une mémoire immunitaire durable. Ainsi, alors que l’immunité innée est générique et de courte durée, l’immunité adaptative est spécifique et permet au corps de se souvenir à long terme des épisodes infectieux précédents, pour réagir plus efficacement en cas de nouvelle infection.

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... à l’autoréactivité

Parmi les lymphocytes, il existe des populations des lymphocytes T et B « autoréactifs », qui jouent un rôle important dans l’éducation de l’immunité. Spécifiques d’antigènes endogènes, ils permettent d’apprendre à l’organisme à se débarrasser des débris de cellules ou des cellules anormales de l’organisme, avant que d’autres effecteurs ne les prennent pour des éléments étrangers. Ce processus existe dès le développement embryonnaire et se poursuit tout au long de la vie. Deux mécanismes successifs, dits de « tolérance immunologique », permettent de contrôler ces lymphocytes et d’éliminer ceux dont le degré d’autoréactivité est trop élevé :

  • un mécanisme central qui permet d’éliminer les lymphocytes T autoréactifs au niveau du thymus, et les lymphocytes B autoréactifs dans la moelle osseuse,
  • un mécanisme périphérique qui, parallèlement, permet le contrôle des lymphocytes autoréactifs qui auraient échappé au mécanisme central.

Ces processus de contrôle sont assurés par des médiateurs chimiques (cytokines) et cellulaires (lymphocytes régulateurs). Lorsqu’ils sont inefficaces ou imparfaits, les lymphocytes autoréactifs leur échappent durablement et enclenchent une inflammation et des lésions tissulaires caractéristiques d’une maladie auto-immune.

L’immunité innée jouerait aussi un rôle dans l’apparition des maladies auto-immunes : les macrophages ont des fonctions partagées mais aussi des fonctions spécifiques du tissu où ils sont implantés. Ils éduquent les autres médiateurs de l’immunité aux spécificités de ce dernier. Dans certaines situations, ils présenteraient par erreur des auto-antigènes aux lymphocytes T et B, et favoriseraient ainsi des réponses auto-immunes. Par ailleurs, les macrophages pourraient aussi stimuler exagérément des lymphocytes T et B autoréactifs et favoriser leur échappement aux mécanismes de contrôle.

Une dynamique préoccupante

On estime aujourd’hui que 5 à 10 % de la population mondiale est touchée par une maladie auto-immune, dont une grande majorité (80 %) surviennent chez les femmes.

Ces chiffres sont évolutifs : le nombre de maladies étiquetées auto-immunes n’a cessé de croître ces dernières décennies. On en dénombre aujourd’hui plus de 80. Par ailleurs, l’âge d’apparition de certaines de ces pathologies a évolué au cours du temps : le diabète de type 1 qui apparaissait auparavant à l’adolescence ou au cours des premières années de vie adulte est diagnostiqué parfois dès les premières années de vie. Enfin, parce que la plupart de ces pathologies touchent l’adulte et la personne âgée, la fréquence des maladies auto-immunes augmente avec le vieillissement de la population.

Les facteurs qui favorisent la rupture du soi

Dans leur grande majorité, les maladies auto-immunes sont multifactorielles : cela rend difficile – pour ne pas dire impossible – d’en déterminer l’origine exacte. À quelques exceptions près, on estime qu’elles sont issues de l’association entre des facteurs génétiques, endogènes, exogènes et/ou environnementaux :

Les facteurs génétiques

Quelques très rares maladies auto-immunes ont une origine monogénique : dans ce cas, la mutation d’un seul gène est responsable de la pathologie, qui adopte alors le plus souvent une forme sévère. Ainsi, la mutation du gène AIRE, dont le produit intervient normalement dans le contrôle central de l’auto-immunité au niveau du thymus, peut engendrer un syndrome polyendocrinien auto-immun. De la même façon, les mutations du gène FOXP3 réduisent le taux de lymphocytes T régulateurs et favorisent l’apparition d’une entéropathie auto-immune de type 1 (syndrome IPEX). D’autres maladies, comme les syndromes prolifératifs auto-immuns, sont quant à eux liés à une anomalie de l’apoptose, engendrée par la mutation du gène FAS et, parfois du gène FASL.

Expression de la protéine AIRE dans le thymus humain
Expression de AIRE (en vert) dans le thymus humain. La protéine AIRE (pour AutoImmune REgulator) joue un rôle clé dans l’éducation des lymphocytes. Or l’analyse moléculaire et cellulaire thymique a révélé qu’à partir de l’adolescence, les jeunes filles et les femmes ont moins d’AIRE que les hommes. Il en va de même chez les souris. À partir de la puberté, le taux élevé d’œstrogène chez les femmes inhibe l’expression d’AIRE dans le thymus, augmentant la susceptibilité aux maladies auto-immunes.

Mais la très large majorité des maladies auto-immunes ne sont pas monogéniques : dans ce cas elles sont parfois favorisées par la présence de gènes de susceptibilité. Ces gènes ne causent pas la maladie mais en augmentent le risque. Parmi eux, figurent d’abord des formes particulières des gènes HLA. Certaines versions – comme le HLA B27 (associé à la spondylarthrite ankylosante), HLA-DR4 (polyarthrite rhumatoïde), HLA-DR3/DR4 (diabète de type 1), HLA-DQ2 (maladie cœliaque)… – conduisent plus fréquemment à présentation d’autoantigènes aux lymphocytes autoréactifs que les autres. Le risque d’échappement aux mécanismes de contrôle serait alors plus élevé. Il est important de souligner qu’être porteur de gènes de susceptibilité ne signifie pas que l’on développera systématiquement la maladie : à titre d’exemple, 50 à 80 % des personnes souffrant de spondylarthrite ankylosante sont porteuses du HLAB27, mais seulement 1 % de la population porteuse du HLAB27 développera cette maladie.

Des variations dans la séquence de gènes non-HLA peuvent également être impliquées. À mesure que la recherche progresse, leur nombre ne cesse de croître : les variations identifiées affectent des gènes qui permettent la synthèse de médiateurs de la signalisation intracellulaire, de protéines impliquées des voies de costimulation, ou encore de facteurs de transcription. Ainsi, des polymorphismes du gène PTPN22 ont été identifiés comme étant des facteurs de risque de polyarthrite rhumatoïde, de diabète de type 1 ou de lupus érythémateux systémique (LES) ; ceux du gène IRF5 (impliqué dans la fonctionnalité des cytokines) ont été identifiés dans le LES, la polyarthrite rhumatoïde ou la sclérodermie systémique ; ceux retrouvés au niveau du gène CD40 favoriseraient la survenue de maladie de Basedow ou de polyarthrite rhumatoïde... Ces variations génétiques ont cependant un « poids » beaucoup moins important que les polymorphismes des gènes HLA dans le risque de survenue d’une maladie auto-immune.

Par ailleurs, la prépondérance féminine des mécanismes de l’auto-immunité aurait une origine génétique. En effet, les femmes sont porteuses de deux chromosomes X, sur lesquels sont situés différents gènes impliqués dans l’immunité. Pour éviter la surproduction de protéines et assurer une régulation génique identique entre hommes et femmes, il existe des mécanismes qui permettent de réprimer l’expression des gènes portés par l’un des deux chromosomes X. Mais il est probable que cette inactivation soit imparfaite chez certaines femmes et conduise l’échappement auto-immun. C’est notamment le cas pour le gène TLR7, qui est un facteur de risque démontré de lupus érythémateux systémique.

Les facteurs endogènes

Les hormones féminines, comme les œstrogènes ou la prolactine (sécrétée pour favoriser la lactation), jouent un rôle dans les mécanismes de contrôle de l’auto-immunité. Elles pourraient aussi avoir un rôle dans le surrisque des femmes à développer ces maladies.

D’autres facteurs, tels que l’inflammation chronique ou la libération d’autoantigènes séquestrés (non présentés au système immunitaire en condition normale), peuvent aussi avoir une influence sur le risque de développer une maladie auto-immune.

Le rôle du microbiote intestinal est également pointé du doigt. Principalement constitué de bactéries mais également de levures et de virus qui résident dans le tube digestif, ce microbiote joue un rôle essentiel pour notre santé. Normalement, l’interaction entre ces microorganismes et le système immunitaire favorise la régulation des réponses inflammatoires, l’intégrité des barrières épithéliales protectrices et la tolérance immunitaire. Or, des études expérimentales et les données épidémiologiques décrivent clairement une association entre l’altération du microbiote intestinal (ou « dysbiose ») et l’existence d’une maladie auto-immune. Néanmoins, il est encore difficile de savoir avec précision si la dysbiose est une cause ou une conséquence de la maladie. Le niveau de preuve actuel varie selon les pathologies : le rôle du microbiote est probable dans la maladie de Crohn, mais demande à être mieux décrit dans d’autres maladies auto-immunes (sclérose en plaques, lupus érythémateux systémique, psoriasis…). La nature précise du déséquilibre du microbiote associé à la survenue d’une maladie auto-immune pourrait varier selon la maladie considérée. Par ailleurs, hormis celui situé au niveau intestinal, il est probable que tous les microbiotes, comme ceux de la peau ou des muqueuses, puissent jouer un rôle dans le développement de ces maladies. Pour exemple, les autoanticorps anti-peptides citrullinés (ACPA) retrouvés chez les personnes atteintes de polyarthrite rhumatoïde ont été associés à l’existence de la parodontite, une inflammation chronique de la muqueuse gingivale initiée par la dysbiose du microbiote buccal. Parmi les microorganismes impliqués, une bactérie particulière produit l’enzyme capable de « citrulliner » les protéines (c’est-à-dire les modifier en leur ajoutant une molécule nommée citrullinne) qui seront reconnues par les ACPA. Ici encore, les mécanismes précis et les liens de causalité restent à établir avec précision.

Les facteurs exogènes et environnementaux

L’exposition à certains composants ou certains pathogènes semble associée au risque de maladies auto-immunes, sans qu’un lien de causalité soit parfaitement établi. Ainsi, la fréquence des infections préalables par les virus Epstein-Barr ou le cytomégalovirus est supérieure chez les personnes atteintes.

Le tabagisme, actif ou ancien, est aussi surreprésenté parmi les patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde, de sclérose en plaques, de dysthyroïdie auto-immune… Certains polluants environnementaux, les ultraviolets, le stress ou la nutrition sont aussi suspectés, mais leur rôle reste à démontrer.

Enfin, il a récemment été établi qu’une famille de médicaments anticancéreux qui modulent l’immunité constitue un facteur de risque potentiel d’auto-immunité : les inhibiteurs des points de contrôle immunitaires (atézolizumab, ipilimumab, nivolumab, pembrolizumab). Ces molécules ont été développées pour intensifier les défenses de l’organisme contre les cellules tumorales, mais les personnes auxquelles on les prescrit développent plus fréquemment des maladies auto-immunes (diabète, vitiligo, thyroïdite...). Il est maintenant nécessaire de déterminer si ces médicaments déclenchent le processus d’auto-immunité ou s’ils ne font que favoriser son développement chez des patients initialement prédisposés.


Théorie de l’hygiène ou théorie du mimétisme ?

Notre susceptibilité à développer des maladies auto-immunes découlerait en partie de l’évolution récente des interactions entre immunité et exposition aux microorganismes viraux ou bactériens. Pour expliquer ce phénomène, deux théories non exclusives sont avancées :

La première correspond à la théorie hygiéniste qui suggère que la diminution de l’exposition naturelle aux agents infectieux (hygiène, alimentation…) et le recours croissant aux antibiotiques réduisent les capacités d’apprentissage et d’adaptation de l’immunité.

La seconde, dite du mimétisme moléculaire, repose sur l’idée que certains antigènes présentés par les pathogènes auraient des similitudes structurelles avec les antigènes du soi, favorisant les réactions croisées lors d’un épisode infectieux : cela permettrait l’initiation puis le maintien d’une réaction immunitaire chronique.


De l’auto-immunité aux symptômes...

Les cascades immunitaires enclenchées par l’auto-immunité sont complexes. Cytokines pro-inflammatoires (TNF-alpha, interleukines), lymphocytes T, macrophages, cellules dendritiques, autoanticorps, protéases, enzymes… : l’emballement de différents effecteurs conduit à une inflammation et à des lésions tissulaires, mais chaque maladie auto-immune est caractérisée par des voies physiopathologiques prédominantes qui lui sont spécifiques.

Le rôle des autoanticorps dans ces processus n’est pas systématique. Dans certaines maladies, comme les thyroïdites auto-immunes ou les anémies hémolytiques auto-immunes, ils ont une action directe sur le mécanisme biologique normal et conduisent à l’émergence de symptômes. Ils peuvent aussi former des complexes avec l’antigène qu’ils reconnaissent – on parle de « complexes immuns » – dont le volume provoque des lésions vasculaires ou rénales. Mais leur rôle pathologique n’est pas clairement démontré : dans certaines de ces maladies, plusieurs types d’autoanticorps peuvent être produits, sans qu’ils ne soient spécifiques de la maladie. Par ailleurs, dans les maladies rhumatologiques inflammatoires, des traitements visant à inhiber les lymphocytes B autoréactifs permettent de contrôler les symptômes sans que le taux des autoanticorps dans le sang ne soit modifié. Dans ce cas, l’activité de la maladie et les lésions qui en découlent seraient plutôt liées à d’autres voies biologiques, comme celle des lymphocytes T activés par les cellules B autoréactives.

Les lymphocytes T autoréactifs jouent en effet un rôle significatif car ils favorisent la destruction des cellules qu’ils ciblent, directement (par cytotoxicité) ou indirectement via la production de cytokines. Pour exemple, ces cellules sont les principales responsables de la destruction des cellules bêta des îlots de Langerhans dans le diabète de type 1, ou de la destruction des gaines de myéline dans la sclérose en plaques.

Enfin, la composante inflammatoire – quasi-systématique en cas de maladie auto-immune – joue un rôle important : si elle n’entraîne le plus souvent aucun symptôme au début de la maladie, elle a tendance à devenir chronique et cliniquement significative (rougeur, gonflement, douleur…) avec le temps. Petit à petit, l’inflammation va favoriser des modifications locales de l’organisation cellulaire et tissulaire (granulome inflammatoire, destruction et réparation tissulaires, fibrose…) qui peuvent devenir difficiles à normaliser. Cette inflammation est notamment médiée par des cytokines (TNF alpha, interleukines…).

...et des symptômes au diagnostic

Beaucoup de maladies auto-immunes se manifestent par des phases de poussées, durant lesquelles les symptômes s’intensifient, entrecoupées par des périodes de rémission. Mais d’autres sont associées à des symptômes constants, qui peuvent évoluer avec le temps.

Leur diagnostic repose sur des éléments cliniques et biologiques, parfois complétés par des données histologiques (analyse de biopsies), génétiques et d’imagerie. Des symptômes ou divers signes cliniques font généralement suspecter un diagnostic particulier et incitent le médecin à réaliser ou prescrire des examens. Une imagerie médicale peut être nécessaire pour observer les lésions des organes touchés.

Lorsqu’une piste diagnostique semble solide, des examens biologiques spécifiques sont prescrits : ils permettent de rechercher des biomarqueurs propres à l’auto-immunité, comme des complexes immuns circulants, des autoanticorps spécifiques (anticorps anti-insuline, anti-ADN, APL, ANCA, CCP, facteur rhumatoïde... selon la pathologie). La recherche de biomarqueurs propres à l’inflammation est également conduite, notamment en évaluant la vitesse de sédimentation, le taux de protéine C réactive (CRP) ou la présence de fractions du complément.

Lorsqu’un gène de susceptibilité est connu comme fortement corrélé au risque de développer la maladie suspectée, un test génétique complète le diagnostic. Le gène HLA B27 peut par exemple être recherché dans le cadre du diagnostic de spondyloarthrite.

Des traitements de plus en plus spécifiques

Il n’existe pas de traitement qui permette de guérir d’une maladie auto-immune. Les traitements actuellement disponibles vont uniquement de corriger les désordres engendrés par les processus immunitaires. Ils permettent le plus souvent de rétablir un fonctionnement le plus normal possible et d’obtenir la rémission des symptômes. Il faut toutefois noter que l’on manque de traitements efficaces dans plusieurs maladies auto-immunes systémiques, comme le syndrome de Gougerot Sjögren ou la sclérodermie systémique.

Des traitements symptomatiques sont prescrits pour soulager les manifestations de la maladie : antalgiques contre la douleur, anti-inflammatoires contre la gêne fonctionnelle articulaire, médicaments substitutifs permettant de normaliser les troubles endocriniens (insuline dans le diabète, thyroxine dans l’hypothyroïdie…)

Des médicaments qui permettent de contrôler ou d’inhiber l’auto-immunité offrent aussi un moyen de limiter les symptômes et la progression des lésions tissulaires. Mais la maladie restera chronique et il est rare que le traitement puisse être arrêté de façon prolongée. De plus, ces médicaments ne sont pas spécifiques des cellules effectrices de l’auto-immunité et interfèrent avec certaines fonctions générales du système immunitaire. Historiquement, les médicaments immunosuppresseurs (corticoïdes, cyclophosphamide, méthotrexate, azathioprine, ciclosporine…) sont utilisés pour traiter les maladies auto-immunes car ils agissent sur des effecteurs centraux du système immunitaire et permettent de limiter son activité de façon globale. Cependant ils sont souvent associés à un risque d’infection accru et nécessitent en conséquence un suivi régulier. Aujourd’hui, ces molécules sont de plus en plus souvent remplacées par les médicaments plus récents issus des biotechnologies, des biothérapies, qui offrent une meilleure maîtrise des symptômes et des risques de lésions.

Les biothérapies

Contrairement aux immunosuppresseurs, les biothérapies utilisées pour traiter des maladies auto-immunes ciblent spécifiquement un des acteurs clés impliqués dans le processus pathologique concerné. Une biothérapie est le plus souvent spécifique d’une maladie auto-immune (ou de plusieurs qui partagent des effecteurs communs). Ces molécules sont généralement utilisées lorsque la maladie est sévère ou qu’elle ne répond pas (ou insuffisamment) aux immunosuppresseurs.

Les anti-TNF alpha font partie des premières biothérapies développées dans le traitement des maladies auto-immunes. Ils inhibent les mécanismes inflammatoires qui impliquent le TNF alpha ou son récepteur. Plusieurs sont aujourd’hui commercialisés (infliximab, adalimumab, certolizumab pegol, étanercept...) pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn ou les spondyloarthrites… D’autres molécules ont été développées depuis, pour cibler les interleukines, des médiateurs importants de différentes cascades immunitaires : ces traitements visent à bloquer l’action de l’IL‑1 (canakinumab, anakinra), l’IL‑6 (tocilizumab), l’IL-12/IL-23 (ustékinumab), la fraction C5 du complément (éculizumab) ou les récepteurs à la sphingosine 1‑phosphate (fingolimod)… Certains ont une efficacité élevée et permettent de contrôler totalement les symptômes de la maladie.

Plus récemment, les médicaments anti-JAK (inhibiteurs de Janus kinase) ont fait leur entrée dans le traitement de maladies auto-immunes comme la polyarthrite rhumatoïde. En bloquant l’activité de molécules qui transmettent le signal d’activation de certains récepteurs membranaires, les anti-JAK réduisent la production de cytokines pro-inflammatoires, modulent la réponse immunitaire excessive et permettent d’atténuer l’inflammation et la progression de la maladie.

Les autres traitements, comme la plasmaphérèse qui permet l’élimination des autoanticorps par filtration du sang, ou l’administration d’immunoglobulines intraveineuses (IgIV), constituées à partir d’immunoglobulines issues de dons du sang et capables de neutraliser ou moduler les anticorps pathogènes, sont moins utilisées aujourd’hui. Ils sont réservés à des situations très particulières, dans des maladies auto-immunes pour lesquelles les médicaments efficaces sont rares.

Les enjeux de la recherche

Prévenir les maladies auto-immunes ?

L’augmentation de la fréquence des maladies auto-immunes dans les pays occidentaux au cours des dernières décennies laissent penser que l’exposition ou l’influence de certains facteurs de risque a évolué. La volonté est aujourd’hui d’identifier clairement les facteurs de risque liés à notre environnement et nos modes de vie, qui font partie de ce que l’on appelle l’exposome. Plusieurs facteurs modifiables pourraient être déterminants, comme le tabac ou les infections. Mais la collecte de données solides est encore nécessaire pour démontrer que les éviter réduit le risque de survenue de troubles auto-immuns.

Les études dédiées aux différents microbiotes de notre organisme sont particulièrement nombreuses car l’influence des microorganismes qui colonisent notre système digestif semble déterminante. Des approches préventives fondées sur la modulation de leur composition sont aujourd’hui envisagées dans la polyarthrite. L’une entre elles passe par la « transplantation fécale » : l’idée est d’évaluer si la transplantation d’un microbiote intestinal prélevé chez un individu sain pourrait prévenir le développement de la maladie chez un individu dont la dysbiose augmente le risque de développer la maladie. La poursuite des études dédiées au décryptage des interactions entre microbiote et système immunitaire permettra probablement d’identifier d’autres approches thérapeutiques ou préventives.

Par ailleurs, le rôle de l’épigénétique semble de plus en plus évident. Les modifications épigénétiques d’un génome correspondent à des modifications chimiques de l’ADN, en partie transmissibles, qui apparaissent sous l’influence de facteurs exogènes. Elles modulent l’expression des gènes sans en modifier la séquence, pour permettre à l’organisme de s’adapter à son environnement. Ces dernières années, différents types de modifications épigénétiques ont été identifiés comme étant des régulateurs importants de l’immunité innée et adaptative, jouant un rôle dans plusieurs maladies auto-immunes systémiques rhumatismales et spécifiques d’organes (thyroïdite, diabète de type 1…). Des approches qui cibleraient ces modifications pourraient être développées.

Enfin, de nombreux projets de recherche sont aujourd’hui lancés pour savoir s’il est possible de prévenir une maladie auto-immune chez les personnes à risque, autrement dit des individus dont un parent de premier degré a déjà été diagnostiqué. Des essais cliniques menés chez des personnes à risque de polyarthrite rhumatoïde ou de diabète de type 1 avec des immunomodulateurs ont ainsi montré qu’il était possible de retarder l’apparition de ces maladies, mais pas d’empêcher leur survenue. De telles approches ne peuvent être proposées dans la pratique médicale car ces traitements sont relativement lourds, et surtout associés à des effets indésirables. Toutefois, elles pourraient être mises en application si des traitements plus spécifiques et mieux tolérés devenaient disponibles.

De nouvelles technologies pour explorer l’auto-immunité au sein des tissus

L’analyse des effecteurs de l’auto-immunité au niveau sanguin ne donne qu’une vision indirecte et imprécise des mécanismes immuns qui se déroulent au sein des tissus inflammatoires. Aussi, deux approches commencent à être développées pour explorer directement ces mécanismes au sein des tissus :

  • la transcriptomique spatiale, qui permet de mesurer et de cartographier l’expression des gènes impliqués dans les voies biologiques immunitaires au sein d’un tissu,
  • l’imagerie tissulaire multiplex, grâce à laquelle on peut visualiser simultanément de nombreux marqueurs protéiques au sein d’un tissu.

Explorer l’hétérogénéité des maladies auto-immunes

Il est aujourd’hui établi que différentes maladies auto-immunes partagent des voies biologiques communes et, qu’à l’inverse, des individus atteints par la même maladie auto-immune présentent des symptômes différents en raison de l’hétérogénéité des mécanismes auto-immuns sous-jacents. Les résultats obtenus dans le cadre du consortium européen de recherche PRECISESADS, un projet mené entre 2014 et 2019, ont confirmé que des signatures moléculaires spécifiques pouvaient être utilisées pour mieux classifier puis traiter les patients.

Dans la foulée de ce travail, un consortium de très grande ampleur, réunissant 15 pays européens et financé à hauteur de plus de 80 millions d’euros, a lancé en 2019 le projet 3TR (Taxonomy, Treatment, Targets and Remission) qui vise à approfondir la compréhension de maladies auto-immunes ou auto-inflammatoires, parmi lesquelles le lupus érythémateux systémique, la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaques. Des analyses « multiomiques » (qui associent des données génétiques, métaboliques, protéiques…) seront conduites à partir de prélèvements biologiques réalisés chez plus de 50 000 patients inclus dans plus de 50 essais cliniques. Elles vont permettre de caractériser des groupes de patients chez lesquels la maladie repose sur les mêmes mécanismes biologiques sous-jacents (des « endotypes homogènes »). Ce travail permettra dans le même temps d’identifier des marqueurs biologiques associés à différents groupes, qui seront utiles pour identifier à quel endotype un patient appartient, prédire le traitement le plus approprié, et en suivre l’efficacité.

La question de l’hétérogénéité est aussi au cœur d’autres projets autour des maladies auto-immunes systémiques contre lesquelles on manque de traitements réellement efficaces. En effet, étant donné la diversité des manifestations cliniques auxquelles elles sont associées, il y a encore beaucoup d’incertitudes sur les critères d’évaluation les plus pertinents à utiliser dans le cadre des études cliniques qui leur sont dédiées. Cette difficulté méthodologique est en passe d’être résolue grâce à des projets comme NECESSITY, qui vise à trouver de nouveaux biomarqueurs du syndrome de Sjögren pour adapter de nouveaux essais cliniques.

Identifier de nouveaux médiateurs pour développer de nouveaux traitements

L’objectif ultime de la recherche clinique est de pouvoir supprimer spécifiquement le mécanisme d’origine d’une maladie auto-immune, sans modifier le fonctionnement normal du reste du système immunitaire. Il reste difficile à atteindre car les cascades biologiques normales et pathologiques présentent souvent des effecteurs communs. Pour autant, la recherche progresse en ce sens grâce aux progrès importants réalisés en recherche fondamentale, préalable indispensable au développement des thérapies ciblées. Ainsi, grâce au démembrement des différentes étapes qui conduisent à l’autoréactivité, l’idée est non seulement de trouver des cibles qui seraient plus spécifiques et efficaces pour lutter contre l’auto-immunité, mais aussi d’identifier les étapes clés des cascades immunitaires qu’il serait possible de moduler pour rééquilibrer les processus immunitaires anormaux.

Depuis plusieurs années, les traitements ciblés se multiplient, notamment dans le traitement des maladies inflammatoires rhumatismales ou gastro-intestinales. Parmi les nouvelles cibles thérapeutiques identifiées, la protéine CD40 semble particulièrement prometteuse : les anticorps anti-CD40 réduisent l’activation de la cascade immunitaire déclenchée par les lymphocytes B en bloquant leur interaction avec l’auto-antigène. Ils sont aujourd’hui étudiés dans le lupus érythémateux systémique, le syndrome de Sjögren, la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaque.

Hormis les approches utilisant des anticorps monoclonaux ou des petites molécules ciblées, d’autres pistes sont explorées, bien qu’encore préliminaires :

  • L’utilisation d’ARN thérapeutique pourrait permettre de reprogrammer le système immunitaire : certaines approches visent à augmenter la production de lymphocytes T régulateurs, pour mieux contrôler les processus auto-immuns. D’autres pourraient inhiber la production de médiateurs pro-inflammatoires, en limitant la traduction des gènes qui codent pour les protéines impliquées.
  • Les cellules CAR‑T sont des lymphocytes T modifiés génétiquement qui présentent des récepteurs antigéniques chimériques (CAR) à leur surface. Appliquée au traitement des maladies auto-immunes, cette approche d’immunothérapie (qui a d’abord été développée pour des maladies tumorales) consiste à fixer sur des lymphocytes T un récepteur antigénique spécifique des lymphocytes B (CD19). Dans plusieurs études préliminaires (polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux systémique, sclérodermie systémique...), ces CAR‑T ont détruit ces cellules B et bloqué la cascade auto-immune qu’elles déclenchent normalement, avec une efficacité supérieure à celle obtenue avec des anticorps monoclonaux.

Enfin, la thérapie cellulaire qui utilise des cellules souches mésenchymateuses (multipotent mesenchymal stromal cells ou MSC) capables de se multiplier indéfiniment et de se différencier en de nombreux type de cellules spécialisées, a été longtemps étudiée dans le but de régénérer les tissus lésés par les mécanismes auto-immuns et inflammatoires locaux, mais également pour assurer une activité immunorégulatrice au niveau des organes ou tissus cibles. L’intérêt des MSC a été évalué dans des maladies très spécifiques, pour lesquelles les alternatives thérapeutiques sont rares, par exemple dans la sclérodermie. Si les résultats expérimentaux sont encourageants, cette piste est cependant moins explorée qu’auparavant.

Deux nouvelles structures d’excellence pour booster la recherche en immunologie

Labellisées par l’État au printemps 2023 suite à l’appel à projets national France 2030, deux infrastructures de recherche françaises devraient donner un coup d’accélérateur aux recherches dédiées à l’immunologie et aux maladies auto-immunes et à la transposition clinique et industrielle de ces travaux :

  • Le projet Marseille Immunology Biocluster (MIB) vise à développer la recherche, l’accès aux technologies, la mise en place de partenariats publics-privés et le transfert d’innovation autour des problématiques d’immunologie.
  • À Montpellier, IMMUN4CURE, est l’un nouvel institut hospitalo-universitaire (IHU), pôle d’excellence dédié au développement de biothérapies de l’auto-immunité.