Polyarthrite rhumatoïde

Une maladie modèle pour la recherche sur l’inflammation chronique

La polyarthrite rhumatoïde est une maladie inflammatoire sévère qui touche les articulations. Celles-ci se détruisent progressivement, entraînant un handicap. Les vingt dernières années ont connu un essor considérable des traitements, permettant dans la plupart des cas une amélioration notable des symptômes et même, plus rarement, une rémission complète prolongée. Les recherches se poursuivent activement dans le but d’obtenir davantage de rémissions prolongées et, à terme, l’éradication de la maladie.

Dossier réalisé en collaboration avec Marie-Christophe Boissier, unité Inserm 1125 « Physiopathologie, cibles et thérapies de la polyarthrite rhumatoïde », Bobigny 

Comprendre la polyarthrite rhumatoïde

Des symptômes typiques

La polyarthrite rhumatoïde commence le plus souvent par un enraidissement douloureux de plusieurs articulations, généralement les poignets, les mains, les doigts. Les articulations se mettent à gonfler. S’agissant d’une maladie inflammatoire, les symptômes sont présents plus volontiers en fin de nuit et le matin. L’enraidissement cède après plusieurs dizaines de minutes, période appelée le dérouillage matinal. Souvent, une fatigue, une lassitude ou une perte d’appétit accompagne les douleurs. 

A ce premier stade de la maladie, les traitements sont les plus efficaces et les plus prometteurs pour le long terme. 

Main d'un patient souffrant de polyarthrite rhumatoïde © Inserm/Cantagrel, Alain
Main d’un patient souffrant de polyarthrite rhumatoïde © Inserm/Cantagrel, Alain

Par la suite, la maladie évolue sous la forme de poussées, entrecoupées de rémissions plus ou moins complètes. Toutes les articulations peuvent être touchées : les coudes, les épaules, la région du cou, les pieds et les orteils, les genoux, les hanches, le cou. Rapidement, la destruction de l’articulation va se voir sur les radiographies : pincement des cartilages, destructions de l’os voisin, luxation des articulations. 

Après plusieurs années, l’évolution d’une polyarthrite rhumatoïde conduit à des déformations articulaires et des destructions tendineuses. La chirurgie orthopédique est alors nécessaire pour réparer, et souvent remplacer une articulation par une prothèse. 

Au cours de l’évolution, des atteintes extra-articulaires peuvent également survenir. Des nodules rhumatoïdes – formations indolores de consistance ferme, en général localisées sous la peau – apparaissent chez certains patients, mais cela reste rare. D’autres organes peuvent être touchés : les poumons, le cœur, les nerfs. 

La polyarthrite rhumatoïde est une maladie auto-immune, souvent associée à d’autres maladies de cette famille. Parmi les atteintes les plus fréquentes, citons l’atteinte des glandes muqueuses, notamment des glandes salivaires et lacrymales responsables d’un syndrome de Gougerot-Sjögren, de la thyroïde (thyroïdite de Hashimoto) ou du pancréas (diabète). Les accidents vasculaires (angine de poitrine, infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux) sont plus fréquents chez ces patients qu’en population générale. 

La polyarthrite rhumatoïde est une maladie grave qui entraîne une surmortalité.


Que se passe-t-il dans une articulation touchée ?

Une articulation normale comporte du cartilage et une membrane synoviale qui tapisse tous les tissus fibreux (ligaments, tendons, capsules) servant à unir les extrémités osseuses. La polyarthrite rhumatoïde se caractérise par une synovite agressive, c’est à dire l’inflammation de la membrane synoviale. On observe d’abord la présence de quelques cellules inflammatoires, la multiplication des vaisseaux, puis un épaississement considérable du tissu synovial quelquefois appelé « pannus ». La membrane synoviale comporte alors de nombreuses couches au lieu d’une seule : le tissu synovial et sous-synovial est infiltré par de très nombreuses cellules inflammatoires, monocytes /macrophages, cellules dendritiques, lymphocytes, et polynucléaires neutrophiles.

Ces cellules vont détruire les structures alentours : le cartilage, qui s’érode et s’amincit, et l’os au sein duquel apparaissent des encoches ou des géodes, et qui se déminéralise tout autour de l’articulation. Rapidement, les tendons et les ligaments peuvent être aussi attaqués et se rompre. 

Schéma présentant une articulation saine et une articulation atteinte de polyarthrite

Une maladie multifactorielle

Il existe des gènes de prédisposition à la polyarthrite rhumatoïde, situés dans différentes régions du génome. Les gènes dont l’implication est la plus forte appartiennent au complexe majeur d’histocompatibilité : il s’agit de certains gènes HLA-DR qui codent des molécules essentielles pour la présentation des antigènes au système immunitaire. Ces gènes favorisent l’apparition de la maladie, mais leur présence n’est pas indispensable. Certaines études conduites sur des jumeaux homozygotes (les « vrais jumeaux ») montrent que si l’un est atteint, l’autre ne le sera que dans 10 à 15% des cas, montrant bien que d’autres facteurs interviennent. 

Ces autres facteurs sont en fait un ensemble de facteurs environnementaux :

  • La fumée de tabac joue un rôle très important : la polyarthrite rhumatoïde est plus fréquente, plus grave, et répond moins au traitement chez les fumeurs.
  • Le sexe : la maladie est deux à trois fois plus fréquente chez les femmes que chez les hommes.
  • L’âge : le pic d’apparition de la maladie se situe vers 45 ans.
  • Il existe également des variations géographiques dans la fréquence de la maladie.

Le rôle d’agents infectieux a été étudié : aucune découverte généralisable n’a été pour l’instant retenue, même si certains agents ont été incriminés comme le virus d’Epstein-Barr ou les bactéries P. gingivalis et A. actinomycetemcomitans. 


Auto-anticorps, lymphocytes et cytokine : quels sont les dérèglements à l’origine de la maladie ?

La polyarthrite rhumatoïde est une maladie auto-immune qui se manifeste par un dérèglement du système immunitaire et l’apparition d’auto-anticorps plusieurs années avant les premiers signes cliniques. Ces auto-anticorps (anti-CCP ou ACPA) sont dirigés contre des anti-antigènes citrullinés. Si ces derniers peuvent apparaître chez tout le monde, seuls les personnes atteintes de polyarthrite rhumatoïde développent ces auto-anticorps. Ils sont un facteur essentiel de pathogénie de la maladie, impliqués dans la survenue des destructions osseuses. 

Les lymphocytes T régulateurs qui contrôlent habituellement la réponse immunitaire présentent une activité insuffisante et de nombreuses populations lymphocytaires se comportent de façon anormale. Le système immunitaire inné est également stimulé de façon aberrante. Cette réaction immunologique n’est pas limitée à l’articulation, elle se déroule également dans les ganglions lymphatiques, le poumon et d’autres organes : la polyarthrite rhumatoïde est une maladie systémique.

Ces conditions conduisent au développement d’une réaction inflammatoire chronique. Des molécules de communication intercellulaires – des cytokines, agissant localement et à distance, comme l’interleukine‑1, l’interleukine‑6, l’interleukine-17, le TNF-alpha – sont produites en abondance. Elles sont responsables d’une inflammation et de la destruction tissulaire. Elles stimulent d’autres cellules comme des monocytes, des chondrocytes, qui vont produire localement, dans l’articulation, des molécules très toxiques : radicaux libres de l’oxygènes et enzymes détruisant les tissus. Les mécanismes d’inflammation peuvent toucher aussi les vaisseaux, faisant de la polyarthrite rhumatoïde une maladie vasculaire. Le tabagisme agit ici encore pour aggraver le pronostic vasculaire des malades. 


L’importance d’un diagnostic précoce

Dans la polyarthrite rhumatoïde comme dans bien d’autres maladie, un traitement est plus efficace s’il est démarré à un stade précoce. En cas de douleurs articulaires ou de gonflements, mieux vaut donc consulter. Le médecin cherchera d’autres atteintes articulaires, problèmes de rachis, de maladies cutanées (psoriasis), d’atteintes de muqueuses ou d’organes internes comme le tube digestif. 

Le diagnostic repose sur : 

  • un interrogatoire et un examen clinique,
  • des examens d’imagerie médicale : radiographies des mains, des pieds, des articulations touchées et souvent du rachis, à la recherche de la synovite et de son potentiel destructeur (déminéralisation, pincement articulaire). Une échographie ou une IRM est parfois pratiquée.
  • des analyses biologiques : mesure de marqueurs d’inflammation (VS et CRP) et recherche de la présence d’auto-anticorps ACPA ainsi que d’un autre marqueur de l’auto-immunité appelé facteurs rhumatoïdes. La détermination du génotype HLA-DR est utilisée par certaines équipes.
Radiographie de mains de patient atteint de polyarthrite rhumatoïde, déviation cubitale © Inserm/Cantagrel, Alain
Radiographie de mains de patient atteint de polyarthrite rhumatoïde, déviation cubitale © Inserm/Cantagrel, Alain

Traiter la douleur, l’inflammation, le désordre immunitaire

Tout au cours de l’évolution de la polyarthrite rhumatoïde, il faut lutter contre la douleur associée. L’antalgique de base reste le paracétamol. Les antalgiques plus puissants comportent des effets secondaires dont il faut bien évaluer les inconvénients avant toute prescription dans le cadre d’une maladie chronique. Le dialogue médecin-malade est nécessaire pour identifier le seuil douloureux résiduel acceptable. Il est parfois illusoire de promettre la disparition de toute douleur dans cette maladie, sauf au prix d’une escalade thérapeutique. 

Pour réduire l’inflammation, les corticoïdes sont souvent utilisés car ils sont efficaces à faibles doses. Ils sont toutefois prescrits avec plusieurs précautions (surveillance du régime, de la pression artérielle, du métabolisme, de l’os). Une injection articulaire de corticoïde peut également être réalisée en cas d’atteinte tenace. Dans quelques cas, des perfusions de corticoïdes (bolus) sont nécessaires. 

Enfin, face au désordre immunitaire, l’administration d’un immunosuppresseur est le traitement de première intention, admis par consensus. Il s’agit du méthotrexate, en prise hebdomadaire chaque fois que possible et en l’absence de contre-indication (dont la grossesse). Les alternatives sont le leflunomide et plus rarement la salazopyrine. 

La surveillance est instaurée dès que le traitement est mis en route, permettant de s’assurer de la tolérance aux différents traitements et de leur efficacité. Pour estimer cette dernière, un critère chiffré est retenu : le DAS28, score d’activité de la maladie. Il se fonde sur une formule utilisant le nombre d’articulations douloureuses, le nombre d’articulations gonflées, une évaluation chiffrée de la douleur ressentie par le malade, la vitesse de sédimentation. 

Les traitements ciblés

Lorsque le méthotrexate n’apporte pas les effets espérés, que la maladie est active et que la destruction des articulations progresse, la prescription de traitements ciblés est nécessaire. Ces traitements ciblent chacun un acteur précis du processus inflammatoire. Ils entraînent une réponse favorable dans les trois quarts des cas et une rémission prolongée dans un quart des cas. Ces chiffres sont encourageants, mais montrent que les recherches dans ce domaine doivent se poursuivre. 

Ces traitements appartiennent aux familles suivantes : 

  • les anti-TNFalpha : il s’agit d’anticorps monoclonaux dirigés contre la cytokine TNFalpha ou des protéines solubles mimant récepteur du TNF
  • les anti-IL‑6 : les traitements disponibles ciblent le récepteur de l’IL‑6, des traitements ciblant la cytokine elle-même sont en cours de développement
  • les anti-CD20 : il s’agit d’anticorps monoclonaux ciblant les lymphocytes B dans leur ensemble
  • CTLA4-Ig : cette molécule est capable de bloquer l’interaction entre une cellule présentatrice d’antigène et une cellule T

Par ailleurs, des traitements ciblant des kinases appelées JAK sont en développement ou déjà prescrits dans plusieurs pays, comme le baricitinib.

Les traitements ciblés sont des immunosuppresseurs, nécessitant des précautions de prescription vis-à-vis des infections et d’un éventuel cancer. Toutefois, ils sont le plus souvent remarquablement bien tolérés. 

Les enjeux de la recherche

La recherche visant à la mise au point de nouveau traitement contre la polyarthrite rhumatoïde est très active grâce à l’identification de nombreuses cibles potentielles : molécules d’activation des macrophages, des polynucléaires, cytokines de l’inflammation ou de l’angiogenèse, cibles intracellulaires JAK ou d’autres molécules de signalisation… Les succès déjà obtenus, qui ont pu être appliqués à d’autres maladies chroniques comme la maladie de Horton, la maladie de Crohn, le psoriasis, ont fait de cette maladie un modèle pour la recherche sur l’inflammation chronique. 

L’anti-inflammatoire de demain – interview/reportage – 3 min 11- extrait de la plateforme Corpus (2014)

Des stratégies de rupture sont aussi l’objet de développements intenses : la vaccination anti-TNFalpha a montré des résultats spectaculaires chez l’animal, pour l’instant non confirmés chez l’homme. Un essai clinique dirigé par le Pr Boissier (unité Inserm 1125), avec la société Neovacs, a été interrompu en raison du manque d’efficacité chez l’homme. Toutefois, cet échec ne remet pas en cause le développement de l’approche.

Les travaux sur le microbiote, l’ensemble des bactéries qui colonisent l’organisme, pourraient également entraîner des développements thérapeutiques. Des anomalies du microbiote intestinal associées à la maladie ont été mises en évidence, en particulier une restriction de la diversité microbienne et une réduction de la fréquence des Firmicutes, des bactéries connues pour leurs propriétés immunorégulatrices. Le microbiote buccal est également suspecté, en raison de la fréquence de périodontite sévère chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde ou encore de la présence d’ADN de Porphyromonas gingivalis dans le liquide synovial de certains d’entre eux. Corriger ces anomalies pourrait améliorer l’immunité des patients. 

Enfin, des thérapies cellulaires sont elles-aussi en développement. Plusieurs pistes sont étudiées : utilisation de cellules différenciées comme les lymphocytes T régulateurs, ou celle de cellules souches au potentiel anti-inflammatoire ou réparateur tissulaire. L’utilisation de cellules souches mésenchymateuses est par exemple en cours de développement par des scientifiques européens (projet REGENER-AR). Ces cellules présentent des propriétés immunomodulatrices. Un essai clinique de phase Ib/Iia, incluant des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde réfractaire, traités et suivis pendant six mois, a montré l’innocuité de ce traitement et des résultats préliminaires d’efficacité positifs. Un essai de phase II devrait débuter avec des patients atteints de forme précoce qui sont insensibles au méthotrexate. 

Pour aller plus loin

Associations de patients