Perturbateurs endocriniens

Un enjeu d’envergure de la recherche

Les perturbateurs endocriniens regroupent une vaste famille de composés, capables d’interagir avec le système hormonal. Ainsi, ces composés affectent potentiellement différentes fonctions de l’organisme : métabolisme, fonctions reproductrices, système nerveux... Les sources d’exposition sont nombreuses et difficiles à maîtriser. Les conséquences biologiques de ces expositions sont quant à elles encore mal appréhendées et complexes à étudier. C’est pourquoi l’étude des perturbateurs endocriniens représente aujourd’hui un enjeu majeur pour le corps médical et les pouvoirs publics.

Dossier réalisé en collaboration avec Robert Barouki (unité 1124 Inserm/Université Paris Descartes, Toxicologie, pharmacologie et signalisation cellulaire, Paris)

Comprendre la perturbation endocrinienne

Il existe de nombreuses définitions pour décrire ce que sont les perturbateurs endocriniens. Celle qu’a établie l’Organisation mondiale de la santé en 2002 est la plus acceptée : un perturbateur endocrinien est « une substance exogène ou un mélange qui altère la/les fonction(s) du système endocrinien et, par voie de conséquence, cause un effet délétère sur la santé d’un individu, sa descendance ou des sous-populations ». 

C’est quoi la perturbation endocrinienne ? – Interview – 1 min 14 – vidéo extraite de la série C’est quoi ? (2015)

Le système hormonal sous le feu des perturbateurs endocriniens

Le système endocrinien regroupe les organes qui sécrètent des hormones : thyroïde, ovaires, testicules, hypophyse… Il libère ces médiateurs chimiques dans la circulation sanguine, pour agir à distance sur certaines fonctions de l’organisme comme la croissance, le métabolisme, le développement sexuel, le développement cérébral, la reproduction… Il s’agit donc d’un système de communication entre organes. Les perturbateurs endocriniens altèrent le fonctionnement de ce système en interagissant avec la synthèse, la dégradation, le transport et le mode d’action des hormones. Ces molécules se caractérisent donc par un effet toxique non pas direct, mais indirect, via les modifications physiologiques qu’elles engendrent. 

Historiquement, les perturbateurs endocriniens ont commencé à attirer l’attention des chercheurs dès les années 1950. Mais c’est l’affaire du distilbène qui, dans les années 1970, a fait exploser le sujet sur la scène scientifique et médiatique, alors même que le terme de perturbateur endocrinien n’était pas encore utilisé (voir encadré). Depuis, on connaît plus précisément les mécanismes d’actions de ces substances. Selon le produit considéré, ils vont : 

  • modifier la production naturelle de nos hormones naturelles (œstrogènes, testostérone) en interférant avec leurs mécanismes de synthèse, de transport, ou d’excrétion 
  • mimer l’action de ces hormones en se substituant à elles dans les mécanismes biologiques qu’elles contrôlent 
  • empêcher l’action de ces hormones en se fixant sur les récepteurs avec lesquels elles interagissent habituellement

En découle un certain nombre de conséquences potentielles pour l’organisme, propres à chaque perturbateur endocrinien : altération des fonctions de reproduction, malformation des organes reproducteurs, développement de tumeurs au niveau des tissus producteurs ou cibles des hormones (thyroïde, sein, testicules, prostate, utérus…), perturbation du fonctionnement de la thyroïde, du développement du système nerveux et du développement cognitif, modification du sex-ratio

Aujourd’hui, la définition du champ d’action des perturbateurs endocriniens tend à s’élargir. Certains organes clés, qui ne sont pas considérés comme des glandes endocrines à proprement parler, produisent des messagers qui apparaissent elles-aussi comme des cibles potentielles pour les perturbateurs endocriniens : la leptine du tissu adipeux qui intervient dans la régulation du métabolisme, l’IGF‑1 produite par le foie qui agit comme un facteur de croissance

A ce stade, il convient toutefois de préciser que la plupart des substances qualifiées de perturbateurs endocriniens sont le plus souvent seulement suspectées d’avoir ce type d’activité. Il existe en effet très peu de perturbateurs endocriniens avérés à ce jour. Cela est dû à la grande difficulté de démontrer qu’un composé exerce sa toxicité par la perturbation du système endocrinien. Cette toxicité découle souvent d’effets à long terme, qui peuvent n’apparaître que lorsque l’exposition a eu lieu à des moments précis du développement. 


Distilbène, l’histoire à retardement d’un médicament hormonal

Au début des années 1970, un chercheur américain, Arthur L Herbst, a observé la recrudescence d’une forme rare de cancer gynécologique chez des adolescentes et de jeunes adultes. L’analyse de ces cas a montré que ces femmes étaient nées de mères qui avaient pris du distilbène, un œstrogène de synthèse, prescrit à l’époque pour prévenir les fausses couches durant la grossesse. Rapidement, le lien entre l’exposition du fœtus au distilbène et l’altération de ces organes reproducteurs (cancers, stérilité) a été établi. Depuis, il est apparu que les enfants nés de cette génération exposée in utero ont, eux aussi, un sur-risque de pathologies gynécologiques. 


Air, eau, aliments… : les sources d’exposition sont multiples

Il existe une grande diversité parmi les perturbateurs endocriniens, et les sources de contamination auxquelles hommes et animaux sont exposés sont également nombreuses. En effet, ces composés peuvent être présents dans des produits manufacturés ou des aliments d’origine végétale ou animale. Ils sont pour la plupart issus de l’industrie agro-chimique (pesticides, plastiques, pharmacie…) et de leurs rejets. Beaucoup sont rémanents : ils persistent dans l’environnement de longues années et peuvent être transférés d’un compartiment de l’environnement à l’autre (sols, eau, air…) de longues années après qu’ils aient été produits. 

Les hormones naturelles ou de synthèse constituent une source importante de perturbateurs endocriniens : œstrogènes, testostérone, progestérone... et les produits de synthèse mimant leurs effets sont souvent utilisés en thérapeutique (contraception, substitution hormonale, hormonothérapie). Elles entraînent un risque indirect en rejoignant les milieux naturels, après avoir été excrétées dans les rejets humains ou animaux. 

Le bisphénol, voleur d’identité – Communiqué de presse vidéo – 2 min 33 – vidéo extraite de la série Histoires de recherche (2012)

Un second groupe de perturbateurs endocriniens, bien plus large, rassemble tous les produits chimiques et sous-produits industriels qui peuvent interférer avec le système endocrinien de l’homme ou de l’animal. Il comporte à l’heure actuelle plus d’un millier de produits, de nature chimique variée. Parmi les plus fréquents, on peut citer : 

  • des produits de combustion comme les dioxines, les furanes, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP)…
  • des produits industriels ou domestiques comme : 
    • les phtalates, ou le bisphénol A utilisés dans les plastiques
    • les parabènes, conservateurs utilisés dans les cosmétiques
    • les organochlorés (DDT, chlordécone…) utilisés dans les phytosanitaires
    • l’étain et dérivés utilisés dans les solvants

Les enjeux de la recherche

L’étude des perturbateurs endocriniens est aujourd’hui très importante pour la santé, mais aussi pour l’environnement. Mais, cette recherche doit relever plusieurs défis, liés aux particularités de ces substances, notamment en raison d’incertitudes qui persistent. 

Le premier défi se rapporte aux doses d’exposition à ces substances : les effets d’une exposition à une dose forte ne sont pas forcément les mêmes que ceux associés à une exposition chronique à dose faible. Il devient alors difficile de faire des extrapolations d’une dose à l’autre. Il est possible que même si une exposition à une dose unique d’un produit soit sans risque pour l’organisme, la répétition de cette exposition au cours du temps puisse perturber le système hormonal. Et le délai d’apparition des effets délétères des perturbateurs endocriniens, parfois prolongé, complique encore l’analyse ! 

Un dent contre le bisphénol – Communiqué de presse vidéo – 2 min 35 – vidéo extraite de la série Histoires de recherche (2013)
 

La seconde difficulté tient aux périodes de vulnérabilité des êtres vivants face au risque toxique : un organisme ne subit pas les mêmes effets lorsque le contact avec un perturbateur endocrinien a lieu in utero, avant ou après la puberté. L’effet transgénérationnel de certains d’entre eux montre aussi que le risque sanitaire ne concerne pas uniquement la personne qui est exposée, mais aussi sa descendance. 

Enfin, leffet cocktail des perturbateurs endocriniens est complexe à mettre en évidence : il découle parfois de l’addition des effets délétères de plusieurs composés à faibles doses, qui agissent sur les mêmes mécanismes biologiques. Ensemble, ils peuvent perturber l’organisme sans que chacun, pris isolément, n’ait d’effet. Par ailleurs, il peut y avoir des interactions entre perturbateurs endocriniens agissant par des mécanismes différents (synergiques ou antagonistes).

A côté de la spécificité liée aux substances incriminées, la complexité du système hormonal rend la recherche encore plus complexe : en effet, les régulations endocriniennes ne font pas intervenir une mais plusieurs hormones interagissant entre elles. Il peut donc être particulièrement difficile de prédire l’ensemble des conséquences biologiques d’un perturbateur endocrinien. 

Cohorte SEPAGES, les bébés alertés – reportage – 8 min 28 – vidéo extraite de la série Des idées plein la tech’ (2015)

    Malgré toutes ces difficultés, les pouvoirs publics et les chercheurs déploient plusieurs niveaux de vigilance pour réduire les risques d’exposition et repérer les perturbateurs endocriniens potentiels :

    • Les études écotoxicologiques, conduites en milieu aquatique, et les études épidémiologiques, conduites au sein d’une population, sont utiles pour corréler certains événements, parfois rares, à l’exposition à certaines substances. Le lien de causalité suspecté à travers de telles études doit cependant être apporté par des études conduites in vitro et/ou in vivo.

    Des cohortes nationales pour mieux évaluer l’exposition des populations vulnérables

    La cohorte ELFE (pour Etude longitudinale française depuis l’enfance), a été lancée en 2011, sous la coordination de l’unité mixte Ined-Inserm-EFS Elfe : elle suit aujourd’hui 20 000 enfants, nés en 2011. Son objectif principal est l’étude les déterminants environnementaux et sociétaux qui, de la période intra-utérine à l’adolescence, peuvent impacter le développement et la santé des enfants. Un volet de cette étude a permis de collecter des échantillons biologiques chez 8 000 mères. Ils pourront aider à repérer d’éventuelles corrélations entre événement de santé et une imprégnation par des perturbateurs endocriniens in utero.

    La cohorte PELAGIE (pour Perturbateurs endocriniens : étude longitudinale sur les anomalies de la grossesse, l’infertilité et l’enfance) suit, depuis 2002, 3 500 couples mères-enfants habitant en Bretagne. Conduite par l’équipe Evaluation des expositions et recherche épidémiologique sur l’environnement, la reproduction et le développement de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset, unité Inserm 1085), PELAGIE vise à étudier l’impact de contaminants environnementaux sur le développement intra-utérin, puis sur celui de l’enfant. D’ores et déjà, elle a montré plusieurs corrélations, comme l’exposition à certains polluants organiques (DDT, PCB) sur le délai de conception d’un enfant, ou l’exposition à un herbicide du maïs et le retard de croissance intra-utérin. L’étude est toujours en cours.


    • les études toxicologiques in vitro permettent d’appréhender la toxicité des composés chimiques considérés comme suspects. Pour parfaire ce travail, différents systèmes de cellules en culture sont utilisés : cellules de l’hypophyse, du foie, cellules mammaires, cellules reproductrices... De nouvelles approches utilisant des cellules cultivées en 3D sont testées. Depuis 2007, la législation européenne impose aux fabricants de soumettre chacun de leurs produits chimiques à des tests toxicologiques différents selon la nature du produit (système REACH). Afin d’améliorer l’efficacité de cette mesure, un programme de recherche européen vise à identifier les tests les plus pertinents pour détecter les risques parmi les produits chimiques émergents et identifier les mélanges chimiques les plus préoccupants.
    • Des modèles d’études in vivo (chez l’animal) sont indispensables pour appréhender l’effet toxique global d’un perturbateur endocrinien. Toutefois, des techniques récentes utilisant le haut débit et la biologie des systèmes tentent de remplacer, de réduire le plus possible, voire d’éliminer l’utilisation d’animaux.

    Une stratégie nationale

    En 2014, le gouvernement a adopté la première stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. Elle vise à articuler recherche, surveillance et réglementation pour prévenir et limiter l’exposition de la population à ces substances, et en particulier les plus vulnérables (femmes enceintes, enfants). Elle s’inscrit maintenant dans le troisième plan national santé-environnement (PNSE3). Cette stratégie comporte quatre axes principaux :

    • l’information des citoyens
    • le soutien à la recherche sur les perturbateurs endocriniens et sur le développement d’alternatives non toxiques à ces produits. Pour accélérer ce mouvement, le gouvernement souhaite proposer une plateforme public-privée des méthodes d’évaluation et de validation de test des substances pour que l’évaluation de nouveaux composés devienne précoce, systématique et formalisée
    • la programmation d’expertises conduites par les institutions en charge de la sécurité sanitaire (ANSM, ANSES) afin de statuer annuellement sur plusieurs substances suspectées à risque.
    • la mise en place d’une réglementation spécifique. La France est, avec le Danemark, l’un des pays les plus engagés pour la régulation relative aux perturbateurs endocriniens. C’est dans le cadre de cette stratégie qu’ont été récemment adoptés le contrôle des phtalates dans les jouets ou l’élimination du bisphénol A des tickets de caisse.Le gouvernement entend soutenir cette stratégie au niveau de l’Europe, en appuyant la définition d’une législation européenne spécifique.

    [MàJ Février 2021] Une deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE 2) a été élaborée, avec pour objectif principal la réduction de l’exposition des populations et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens.


    Nos contenus sur le même sujet

    Actualités

    Communiqués de presse

    À découvrir aussi

    Pour aller plus loin