Neuro-immunologie : le grand remue-méninges !

Au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy, Réjane Rua et ses collaborateurs font avancer les connaissances sur les mécanismes qui assurent la protection de notre cerveau. Ils étudient les propriétés et les fonctions de cellules sentinelles récemment découvertes dans nos méninges.

Un reportage à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°53

Réjane Rua et ses collègues du centre d’immunologie de Marseille-Luminy
De gauche à droite : Réjane Rua, Marc Barad et Sylvain Bigo – Centre d’immunologie de Marseille-Luminy ©Inserm/François Guénet 

Il y a 5 ans à peine, une découverte a bouleversé notre compréhension de la protection du cerveau : les méninges, ces membranes qui entourent et protègent le cortex cérébral, ne sont pas qu’un support mécanique purement structurel… elles abritent une myriade de cellules sentinelles du système immunitaire ! Cerveau et système immunitaire, historiquement considérés comme distincts, sont en réalité intimement liés. Les méninges se révèlent une interface essentielle du système nerveux central, des supports au développement du cerveau, et s’avèrent nécessaires à son équilibre et déterminantes dans une variété de maladies. Une meilleure compréhension de l’immunité méningée pourrait ainsi mettre en lumière des cibles thérapeutiques dans des pathologies neurologiques, comme la maladie de Parkinson. Mais les chercheurs n’en sont qu’au début de l’exploration de ce tout jeune champ d’investigation qu’est la neuro-immunologie. Reste encore à percer les mystères des différentes populations de cellules immunitaires qui se trouvent dans les méninges, et à comprendre leurs rôles. Grâce à un financement européen ERC Starting Grant, le Centre d’immunologie de Marseille-Luminy a récemment accueilli le premier trieur de cellules spectral Cytek d’Europe. Cette machine ultra-précise est capable d’analyser une cinquantaine de marqueurs cellulaires simultanément : elle permettra à Réjane Rua* et à son équipe d’illuminer comme jamais auparavant ces fascinantes gardiennes méningées.

Un cerveau de souris et sa boîte crânienne
À gauche, un cerveau de souris. À droite la boîte crânienne ©Inserm/François Guénet 

On retrouve dans les méninges, à l’interstice entre le cerveau et la boîte crânienne, plus de variétés de cellules immunitaires que dans le cerveau entier ! Elles constituent une barrière immunologique importante, dans laquelle les macrophages, un sous-type de globules blancs, surveillent en permanence les vaisseaux pour savoir ce qui y rentre, et ce qui en sort… C’est ce genre de cellules qui intéresse Réjane Rua : « On veut comprendre pourquoi elles sont là, quel est leur rôle dans la croissance ou la protection du cerveau contre les pathogènes. Pour cela, il faut explorer leur diversité. » Chaque type de cellules immunitaires possède des marqueurs de surface qui lui sont propres. Réjane Rua utilise un panel de différents colorants fluorescents (fluorophores) pour reconnaître ces marqueurs et distinguer les cellules entre elles. Composé d’un anticorps dirigé vers une molécule d’intérêt rattaché à une particule fluorescente, chaque fluorophore émet une lumière distincte après excitation par une longueur d’onde spécifique.

Cette fluorescence est visible sous le microscope confocal qui peut distinguer jusqu’à 10 spectres lumineux. L’emplacement des cellules dans les méninges donne des indications sur leurs fonctions. On observe notamment une abondance de macrophages (inactivés en cyan et en vert, activés en rose) autour des vaisseaux qui irriguent le cerveau. Avoir des sentinelles à ces endroits est stratégique pour surveiller, repérer et bloquer des pathogènes avant qu’ils n’envahissent le cerveau.

Réjane Rua observe les cellules de méninges de souris en microscopie confocale
Réjane Rua observe les cellules de méninges de souris en microscopie confocale ©Inserm/François Guénet 

La cytométrie spectrale est une technique d’analyse par fluorescence complémentaire à la microscopie. Elle permet de mesurer, distinguer, compter, analyser et caractériser chaque cellule à grande vitesse, selon des critères plus nombreux. L’équipe de Réjane Rua a été équipée du premier trieur de cellules spectral Aurora CS d’Europe, qui combine les capacités d’analyse de la cytométrie conventionnelle avec une précision sans égale : il distingue jusqu’à 50 spectres différents. « Cette machine permet une caractérisation incroyablement plus juste et approfondie des populations cellulaires », explique la chercheuse.

Réjane Rua utilise le trieur de cellules. Gros plan sur l'intérieur du trieur de cellules
Réjane Rua utilise le trieur de cellules. Sur l’image de droite, une seringue récupère l’ensemble des cellules marquées de l’échantillon de méninge avec un panel de fluorophores (dans la partie droite de l’appareil). Les cellules sont mises en suspension dans un liquide, puis triées goutte à goutte. Chacune contient une cellule marquée qui sera identifiée grâce à son spectre de fluorescence. Un courant électrique permet ensuite de diriger et de projeter la goutte chargée par la machine dans les différents récipients (en bas à gauche de l’appareil). ©Inserm/François Guénet 

Chaque fluorophore est rattaché à un marqueur différent, dont la combinaison caractérise un sous-type cellulaire. Réjane Rua peut donc différencier les macrophages, ces grosses cellules capables de digérer les corps étrangers qui pénètrent dans notre organisme, des autres cellules immunitaires, mais aussi les sous-types de macrophages et leurs spécificités. « C’est la première fois que nous disposons de la résolution qui permet de trier toutes ces populations cellulaires. On peut vraiment savoir qui fait quoi dans les méninges ! », s’enthousiasme la scientifique.

Réjane Rua devant son ordinateur
Réjane Rua analyse les ARN produits par les différents sous-types de cellules triées ©Inserm/François Guénet 

Sur les cellules triées, Réjane Rua regarde l’ensemble des ARN produits par une cellule, pour identifier les gènes activés dans les sous-populations. Il est possible d’en déduire des propriétés, et donc des fonctions. Si on y trouve des ARN antiviraux, on peut supposer que le macrophage se défend contre les virus, par exemple. La présence d’ARN de facteurs de croissance suggère un rôle dans la croissance et la survie des neurones, et donc dans le développement du cerveau.

Ces découvertes nourrissent différents projets de l’équipe, qui cherche à comprendre comment les méninges détectent et bloquent les virus qui veulent entrer dans le cerveau (neuro-infection), comment ces méninges promeuvent la croissance du cerveau (neuro-cognition) et comment elles appuient la croissance du crâne (neuro-biomécanique). « On est encore au tout début du voyage, précise Réjane Rua. Il faut comprendre comment tout cela fonctionne ! Ensuite, on pourra imaginer des thérapies interventionnistes. »

Note :
* unité 1104 Inserm/ CNRS/Aix-Marseille Université, équipe Immunosurveillance du système nerveux central

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Sonia Garel
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