Sonia Garel : Le développement du cerveau n’est pas un long fleuve tranquille

Le développement du cerveau est un long processus qui nécessite des interactions multiples entre les neurones et des cellules immunitaires, dès la grossesse et bien après la naissance : un dialogue que Sonia Garel décode depuis plus de quinze ans, avec succès.

Un article à retrouver dans le n°48 du magazine de l’Inserm

Sonia Garel
Sonia Garel © Inserm/François Guénet

Le bon fonctionnement du cerveau à la naissance, puis tout au long de la vie, dépend de la qualité de son développement dès les premières semaines de gestation. Or, « l’assemblage des milliards de neurones durant la grossesse nécessite une chorégraphie complexe qui implique de multiples cellules, explique Sonia Garel*, de l’Institut de biologie de l’École normale supérieure (Ibens) à Paris. C’est pourquoi avec mon équipe nous avons choisi d’avoir une vision large. Nous regardons le cerveau en développement comme une structure qui s’auto-assemble et dont nous étudions tous les acteurs présents à un instant “t” : les neurones eux-mêmes, bien sûr, mais aussi les cellules gliales, qui les entourent, dont la microglie issue du système immunitaire. » Grâce à cette approche singulière, l’équipe est à l’origine d’avancées majeures. Elles valent aujourd’hui à Sonia Garel le Grand Prix 2020 Fondation NRJ – Institut de France qui, elle tient à le souligner, « salue le travail d’une formidable équipe et de nombreuses collaborations établies au fil des années. On ne fait pas de la science toute seule ! »

De la biologie végétale à la neurobiologie

Aujourd’hui, la neurobiologiste est reconnue internationalement. Pourtant, elle a rencontré les neurosciences de manière presque fortuite. « Au début, j’étais intéressée par l’écologie et la biologie végétale, c’est pourquoi j’ai intégré AgroParisTech, relate-t-elle. Mais au cours de mon cursus, j’ai étudié un modèle de vision artificielle. » Or, qui dit vision, dit neurones. « Je me suis alors prise de passion pour la neurobiologie et j’ai demandé à titre exceptionnel à valider, en plus de mon diplôme d’ingénieur en agronomie, un master en neurobiologie cellulaire et moléculaire », poursuit-elle. Dès lors, le cerveau en développement n’aura de cesse de la fasciner. En 1994, elle rejoint le laboratoire dirigé par Patrick Charnay à l’École normale supérieure (ENS) pour réaliser sa thèse. « J’y ai identifié des gènes impliqués dans le processus de différenciation de certaines cellules en neurones », indique-t-elle. Puis, pour son post- doctorat, Sonia Garel choisit de rejoindre le laboratoire de recherche en pédopsychiatrie de John Rubenstein à l’université de Californie à San Francisco, « car on y pratiquait une approche intégrée, précise-t-elle. Après avoir travaillé sur le neurone unique, j’avais envie de comprendre comment s’assemblent, se connectent les populations de neurones, comment ils trouvent leur place dans un cerveau en développement. » Elle s’intéresse alors à la formation des différentes aires du cortex cérébral. « J’ai découvert qu’il existe un patron initial qui permet aux aires de se préformer. Les informations qui favorisent la spécialisation de chacune n’interviennent que dans un second temps », décrit la chercheuse. Ses résultats donnent lieu à de nombreuses publications. « L’environnement du laboratoire était bouillonnant, mais je restais très européenne, reconnaît-elle. Je souhaitais donc rentrer sur le Vieux Continent ».

Elle obtient un poste de chargée de recherche à l’Inserm et réintègre son ancien laboratoire à l’ENS en 2003. « J’ai eu énormément de chance car avec Franck Bielle, alors étudiant, j’ai pu développer ma propre thématique sur le cortex cérébral tandis que l’équipe travaillait sur le cerveau postérieur », souligne-t-elle. Elle établit ainsi qu’au cours du développement, des neurones migrent et établissent des ponts transitoires qui guident les axones vers le cortex. « Autrement dit, le cerveau est une machine qui se forme par petites étapes, des bidouillages qui reposent sur des interactions entre des cellules qui ne restent pas forcément connectées par la suite. Ces recherches, que poursuit Ludmilla Lokmane dans mon équipe actuelle, sont très fondamentales. Mais elles contribuent à identifier les défauts de câblage à l’origine de pathologies du neurodéveloppement, comme par exemple les troubles autistiques ou la schizophrénie. »

Le rôle de la microglie

Pour poursuivre dans cette voie, en 2008, la chercheuse constitue sa propre équipe Inserm, toujours à l’ENS. « Nous avons regardé toutes les cellules potentiellement impliquées dans le développement cérébral, et en particulier la microglie, complète-t-elle. Ces cellules du système immunitaire protègent le cerveau des lésions et des infections. Or, elles le colonisent très tôt, au moment où les premiers neurones se forment. Nous avons supposé qu’elles pouvaient participer à son développement, et étudié leur rôle. » Une hypothèse que l’équipe, notamment Morgane Thion, a plusieurs fois confirmée en identifiant divers rôles des microglies, certains inattendus. « En collaboration avec Étienne Audinat et Isabelle Ferezou à l’Institut des neurosciences Paris-Saclay, nous avons observé que les microglies participent à la construction de certains circuits inhibiteurs importants, et qui interviennent en particulier dans les processus de contrôle et d’organisation que nous utilisons au quotidien, décrit la chercheuse. D’autre part, avec Florent Ginhoux, du réseau d’immunologie de Singapour, nous avons établi que les microglies sont sensibles au microbiote intestinal, mais de manière différente selon le sexe. Face à une perturbation au cours de la gestation, elles sont particulièrement affectées chez les mâles. Mais si la perturbation survient chez l’adulte, c’est chez les femelles que les microglies seront les plus déstabilisées. Ce dimorphisme sexuel fait un écho étonnant avec celui observé dans les pathologies associées à des dysfonctions microgliales : les troubles du neurodéveloppement touchent surtout les garçons, et la neurodégénérescence de type Alzheimer, préférentiellement les femmes. »

Prochain objectif de l’équipe : étudier comment les microglies acquièrent des fonctions différentes, « un phénomène que nous pensons dû au dialogue qu’elles établissent avec les neurones qui les entourent ». Ces interactions sont tellement importantes qu’une chaire Neurobiologie et immunité vient d’être créée au Collège de France. Sonia Garel en sera la professeure à partir de la rentrée 2020, ce qui la ravit presqu’autant que ses recherches. « J’ai beaucoup de plaisir à former de jeunes scientifiques et à transmettre le savoir, ce que j’ai déjà fait à l’École polytechnique. Rejoindre le Collège de France est une très belle mission, assure-t-elle. De plus, j’ai eu la chance de pouvoir mener à bien ma carrière et ma vie de famille, mais je vois que la situation est parfois difficile pour les jeunes aujourd’hui. C’est pourquoi en 2019, je me suis investie dans le soutien aux femmes en science. » Son objectif : que les jeunes chercheuses soient toujours plus nombreuses à rencontrer les opportunités scientifiques dont elle a bénéficié. 

Dates Clés

1994. Master en neurobiologie cellulaire et moléculaire et diplôme d’ingénieure en agronomie 

1999. Thèse en neurobiologie cellulaire 

2003. Chargée de recherche Inserm 

2008. Création de sa propre équipe Inserm 

2010–2017. Professeure associée à l’École polytechnique 

2020. Professeure de la chaire Neurobiologie et immunologie au Collège de France 

Note :
*unité 1024 Inserm/CNRS/ENS, équipe Développement et plasticité du cerveau