Thérapie génique

Une recherche de longue haleine qui porte ses fruits

La thérapie génique consiste à introduire du matériel génétique dans des cellules pour soigner une maladie. Au départ, cette approche a été conçue pour suppléer un gène défectueux en cas de maladie monogénique (i.e. liée à la dysfonction d’un seul gène). Mais au cours des deux dernières décennies, l’évolution rapide des connaissances et des technologies a permis de démultiplier les stratégies possibles et d’élargir leur utilisation à de très nombreuses indications, dont certains cancers.

Des succès majeurs ont été obtenus lors d’essais cliniques et le domaine est en plein essor. Plusieurs médicaments de thérapie génique sont aujourd’hui sur le marché, en Europe, aux Etats-Unis et en Chine. 

Dossier réalisé en collaboration avec Anne Galy, unité de recherche Approches génétiques intégrées & nouvelles thérapies pour les maladies rares (unité 951 Inserm/université d’Evry Val d’Essonne/Ecole pratique des hautes études/Généthon) et Accélérateur de recherche technologique en Thérapie génomique, Evry

Comprendre la thérapie génique

La thérapie génique a été initialement conçue comme une approche thérapeutique destinées aux maladies monogéniques (i. e. liée à la dysfonction d’un seul gène), délivrant aux cellules un gène « sain » capable de suppléer le gène « malade ». Aujourd’hui, les modalités et les indications se révèlent beaucoup plus larges, avec 65% des essais cliniques qui concernent le traitement de cancers. Les approches se sont beaucoup diversifiées, reposant sur différentes stratégies correctives, vecteurs et modalités de thérapies géniques.

Les différentes stratégies de thérapie génique

Suppléer un gène « malade »

Cette première stratégie consiste à importer la copie d’un gène fonctionnel dans une cellule cible, pour qu’elle s’y exprime et aboutisse à la production de la protéine qui fait défaut. Le gène est acheminé grâce à un vecteur (voir plus loin). 

Il s’agit de la première stratégie développée en thérapie génique, pour traiter les maladies monogéniques. Le gène thérapeutique importé ne modifie pas le gène malade : il vient simplement s’ajouter au patrimoine génétique des cellules pour compenser la fonction déficiente. Selon les indications, ce travail peut être effectué : 

  • in vivo directement dans l’organisme le patient
  • ex vivo, afin de modifier génétiquement les cellules en laboratoire avant de les réinjecter au malade
Les deux principales stratégies de thérapie génique
Les deux principales stratégies de thérapie génique. La thérapie génique consiste à modifier génétiquement des cellules d’un patient, pour soigner ou prévenir une maladie. Les protocoles utilisés varient en fonctions des indications et des objectifs thérapeutiques. Les cellules peuvent être modifiées in vivo, directement dans l’organisme du patient, ou ex vivo. Dans le second cas, des cellules souches sont prélevées chez le patient, modifiées en laboratoire, puis réinjectées. © Inserm, F. Koulikoff 

Travailler ex vivo permet de mieux contrôler les étapes, d’utiliser moins de vecteurs et d’éviter la dispersion du traitement dans des organes non ciblés. Cette solution est la plus souvent utilisée pour le traitement des maladies sanguines, car il est possible de prélever les cellules à corriger par une simple prise de sang. Par exemple, le premier médicament de thérapie génique ex vivo (Strimvelis, arrivé sur le marché en 2016) correspond à des cellules hématopoïétiques CD34+ prélevées à des patients atteints d’un déficit immunitaire sévère (ADA-DICS), modifiées au laboratoire pour qu’elles expriment le gène qui leur fait défaut, puis réadministrées. 

Pour d’autres maladies, telles que des maladies musculaires, respiratoires, oculaires, cardiaques ou encore neurologiques, le transfert du gène se fait in vivo, par injection du gène vectorisé directement dans l’organisme ou dans l’organe à traiter, comme un médicament. De nombreux essais cliniques sont en cours avec cette technique et plusieurs produits ont atteint le stade de la mise sur le marché (Glybera, Luxturna). 

Eliminer ou réparer un gène altéré directement dans la cellule

Cette technique, appelée édition génomique, permet de réparer des mutations génétiques de façon ciblée. Elle nécessite d’importer plusieurs outils dans la cellule : 

  • des enzymes spécifiques (nucléases) qui vont couper le génome là où c’est nécessaire
  • un segment d’ADN qui sert à la réparation du génome et permettra de retrouver un gène fonctionnel

Parmi ces outils, on trouve les nucléases à doigt de zinc, les TALEN et surtout les outils CRISPR. Ces approches sont encore très expérimentales, mais la révolution apportée par la simplicité du système CRISPR suscite des espoirs extrêmement importants. Plusieurs essais cliniques sont déjà en cours aux Etats-Unis et en Chine. 

En savoir plus sur l’édition génomique

Modifier l’ARN pour obtenir une protéine fonctionnelle

Cette technique consiste à faire produire par la cellule une version modifiée de la protéine qui lui fait défaut. Cela nécessite l’injection de petits oligonucléotides anti-sens qui se fixent sur l’ARN messager transcrit à partir du gène muté et en modifient l’épissage, une étape importante avant sa traduction en protéine. 

Dans la maladie de Duchenne, causée par des mutations dans le gène de la dystrophine, les approches de « saut d’exon » consistent à faire omettre les séquences du gène qui portent la mutation à l’origine de la maladie. On obtient alors une dystrophine plus courte que la protéine normale, mais fonctionnelle. Dans l’amyotrophie spinale, l’approche est de bloquer un site inhibiteur d’épissage, afin de « réinclure » un exon dans l’ARN pour obtenir une forme normale du gène SMN2. 

Schéma de la technique du saut d'exon
Schéma de la technique du saut d’exon. © Inserm, F. Koulikoff 

Ces approches de modulation d’épissage ont fait leurs preuves dans des essais cliniques et deux médicaments, l’Eteplirsen et le Nusinersen, ont récemment obtenu une autorisation de mise sur le marché pour traiter respectivement la myopathie de Duchenne et l’amyotrophie spinale. 

Produire des cellules thérapeutiques par thérapie génique

Pour certaines pathologies complexes, il n’y a pas un gène unique à réparer ou à remplacer. Mais il est possible de concevoir des stratégies indirectes : en associant thérapie cellulaire et thérapie génique, on peut obtenir des cellules qui possèdent de nouvelles propriétés thérapeutiques. 

C’est par exemple le cas des CAR T cells dans le domaine du cancer : des lymphocytes T de patients atteints de leucémies B sont prélevées et génétiquement modifiées pour les armer d’un récepteur chimérique (CAR). Ce récepteur reconnait l’antigène CD19 présents sur les cellules malignes, ce qui permet de les éliminer une fois que les CAR‑T réinjectés au patient. De nombreux essais cliniques de thérapie génique et cellulaire utilisant des lymphocytes anti-tumoraux redirigés sont en cours. Les premiers produits de ce type ont obtenu récemment l’autorisation de mise sur le marché (Kymriah et Yescarta). 

Utiliser des virus génétiquement modifiés pour tuer des cellules cancéreuses

Ces virus sont appelés oncolytiques. Ils sont modifiés génétiquement pour infecter spécifiquement les cellules tumorales qu’ils détruisent. Un premier virus oncolytique, issu d’une souche d’herpès, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en 2015 (Imlygic). Il est indiqué dans le traitement du mélanome.

Les vecteurs, clés du succès de la thérapie ex vivo et in vivo

Une des difficultés associées au développement de la thérapie génique est qu’il faut faire pénétrer un acide nucléique à visée thérapeutique dans les cellules d’un patient. On utilise le plus souvent un vecteur viral, qui assure ce transport en exploitant les propriétés exceptionnelles des virus pour livrer leur cargo génétique. Les vecteurs viraux sont impliqués dans plus de 75% des essais cliniques de thérapie génique. 

Les débuts de la thérapie génique ont été marqués par quelques accidents liés à l’utilisation de vecteurs viraux. Ceux-ci ont entrainé des réactions inflammatoires incontrôlables ou provoqué des cancers liés à l’intégration du gène thérapeutique à proximité d’oncogènes. Bien que rares, ces accidents ont incité les chercheurs à mieux comprendre le fonctionnement de ces vecteurs viraux et la façon dont ils intègrent leur ADN dans les chromosomes de l’hôte. Surtout, de nouvelles générations de vecteurs sécurisés ont été mises au point. Les vecteurs adéno-associés et lentiviraux ont largement remplacé les premiers vecteurs adénoviraux et gamma-rétroviraux. 

Il existe des vecteurs viraux : 

  • intégratifs : l’ADN du vecteur viral s’intègre dans l’ADN de l’hôte
  • non intégratifs : le gène thérapeutique demeure dans la cellule sans s’intégrer au génome de l’hôte)

Dans tous les cas, les vecteurs utilisés font l’objet d’une ingénierie importante pour annuler leur potentiel toxique et leur capacité de réplication, pour les diriger plus spécifiquement et, lorsque cela est nécessaire, pour les rendre les plus silencieux possibles vis-à-vis du système immunitaire de l’hôte afin de permettre une correction thérapeutique à long terme. 

Les vecteurs viraux intégratifs

Les vecteurs viraux intégratifs insèrent leur ADN (qui contient le gène thérapeutique) dans le génome de l’hôte. En conséquence, le gène thérapeutique est transmis aux cellules filles en cas de divisions cellulaires. C’est le cas des vecteurs lentiviraux, dérivés de virus humains comme le VIH mais rendus inoffensifs. 

Les vecteurs non intégratifs

Quand il s’agit de faire pénétrer un transgène dans des cellules qui ne se divisent plus (cellules post-mitotiques), les vecteurs non intégratifs sont privilégiés car ils sont considérés comme plus sûrs in vivo. Avec ces vecteurs, le gène thérapeutique reste dans la cellule de l’hôte, mais sans s’insérer dans son génome. Il s’exprime pendant la durée de vie de la cellule et disparaît avec la mort de celle-ci. 

Vecteur viral AAV (en vert) au niveau de la barrière hémato-rétinienne
Vecteur viral AAV (en vert) au niveau de la barrière hémato-rétinienne. © Inserm/Ophélie Vacca

Il s’agit par exemple des vecteurs dérivés de virus adéno-associés (ou AAV). Leur développement a fortement augmenté au cours de ces quinze dernières années pour en faire un des vecteurs les plus utilisés pour un transfert de gène in vivo dans le traitement des maladies monogéniques. Ces vecteurs sont efficaces et bien tolérés. Cependant, leur utilisation peut se trouver limitée en raison de l’exposition naturelle au virus AAV sauvage : un grand nombre d’individus possèdent des anticorps dirigés contre ces virus. En outre, le vecteur déclenchant une réaction immunitaire, son utilisation est souvent restreinte à une injection unique. Pour contourner ce problème, les chercheurs diversifient leur capside afin d’augmenter la variété des sérotypes et utilisent des traitements immunomodulateurs combinés à la thérapie génique. 

Les vecteurs non viraux

En parallèle, la mise au point de vecteurs non viraux et de techniques non virales pour la délivrance de gènes et de complexes nucléoprotéiques pour l’édition génomique se poursuit, afin de répondre à des besoins de sécurité et de facilité. Ces approches restent généralement moins efficaces que celles utilisant des vecteurs viraux s’il s’agit de traiter de manière systémique in vivo. Mais les technologies non-virales se perfectionnent constamment. 

Actuellement, près de 20% des essais de thérapie génique ont été réalisés par injection directe d’ADN, modifié et protégé des nucléases grâce à des modifications chimiques, ou intégré dans un plasmide. Une autre stratégie est la lipofection : le gène thérapeutique est associé à des lipides cationiques qui favorisent son entrée dans la cellule hôte. Pour des approches ex vivo, l’électroporation ou la nucléofection, par application d’un champ électrique, sont très utilisés, notamment pour la délivrance des protéines et oligonucléotides du système CRISPR. 

Vecteurs utilisés lors des essais cliniques de thérapie génique (1989-2017)

Les médicaments de thérapie génique

Il existe deux sortes de médicaments de thérapie génique, avec des parcours distincts de développement et de réglementation pharmaceutique : 

  • les molécules simples, de type oligonucléotides, qui existent depuis une vingtaine d’années
  • les produits biologiques innovants, bien plus récents

Les oligonucléotides utilisés (ADN ou ARN) incluent des nucléotides antisens, des aptamères, des petits ARN interférents (siRNAs) présentant diverses modifications chimiques. Ces molécules sont administrées sans vecteur viral et leur développement préclinique suit le parcours des médicaments classiques. 

Les produits biologiques incluent quant à eux des virus ou des vecteurs viraux recombinants, des cellules hématopoïétiques ou des lymphocytes génétiquement modifiés. Le développement de ces produits de thérapie avancée est bien plus complexe. Guidé par une réglementation française et européenne spécifique, il est nécessaire de valider de nombreuses données biologiques et pharmaceutiques pour garantir la reproductibilité et la sécurité des prélèvements de cellules, de manipulation et d’adressage des vecteurs viraux, etc. 

Les premiers oligonucléotides de thérapie génique ont été mis sur le marché dès 1998, mais peu d’entre eux se sont révélés efficaces pour traiter des maladies génétiques. Citons toutefois le Nusinersen (Spinraza) indiqué dans l’amyotrophie spinale et l’Eteplirsen contre la myopathie de Duchenne. Les médicaments biologiques de thérapie génique arrivent juste sur le marché (voir ci-dessous). Ils ont permis d’obtenir des résultats positifs, parfois spectaculaires, dans différents types de cancer et contre des maladies rares en immunologie, hématologie, neurologie, myologie, infectiologie ou encore en ophtalmologie. Plusieurs sont aujourd’hui disponibles en Europe, Amérique et Asie. 


Les médicaments innovants de thérapie génique approuvés 

  • Gendicine : C’est le premier médicament de ce type qui a été mis sur le marché, en Chine, en 2003. Il s’agit d’un adénovirus exprimant le gène p53 (codant pour un suppresseur de tumeur), indiqué dans le traitement de cancers de la tête et du cou.
  • Oncorine : Mis sur le marché en Chine, en 2005, il s’agit est un adénovirus oncolytique. Il est utilisé en combinaison avec une chimiothérapie pour le traitement de cancers nasopharyngés réfractaires. 
  • Glybera : C’est le premier médicament commercialisé en Europe, fin 2012, contre le déficit familial en lipoprotéine lipase. Il s’agit d’un vecteur adéno-associé. Il vient d’être retiré du marché faute de demande.
  • Imlygic : Approuvé en 2015 aux Etats-Unis et en Europe, il est composé d’un virus oncolytique exprimant une protéine immunostimulante. Il est indiqué chez les adultes atteints de mélanome non résectable.
  • Strimvelis : C’est le tout premier médicament combinant thérapie génique et cellulaire à avoir été autorisé au monde. Il a été approuvé en Europe en 2016. Indiqué dans l’ADA-SCID, il s’agit de cellules CD34+ autologues exprimant le gène ADA.
  • Zalmoxis : Indiqué contre le rejet de greffe de moelle osseuse depuis 2016 en Europe, il repose sur la modification génétique de cellules T allogéniques avec un vecteur rétroviral.
  • Kymriah et Yescarta : Approuvés en 2017 aux Etats-Unis, ils correspondent à des cellules T autologues génétiquement modifiées (CAR T cell) pour traiter des formes résistantes de lymphome aigu touchant les cellules B.
  • Luxturna : Ce vecteur adéno-associé est indiqué dans la dystrophie rétinienne liée à la mutation RPE65. Il a été approuvé aux Etats-Unis fin 2017.

Généralement bien tolérée, la thérapie génique pourrait supplanter certains traitements de référence et être proposée en première ligne lorsque les études comparatives auront été réalisées. On voit donc aujourd’hui se mettre en place une nouvelle filière thérapeutique. 

Des essais cliniques tous azimuts ponctués de succès majeurs

Environ 2 000 essais cliniques ont été menés ou sont en cours depuis 1989, dont 65% dans le domaine du cancer, 11% contre les maladies monogéniques telles que l’amaurose congénitale de Leber, l’hémophilie, la bêta-thalassémie ou encore la mucoviscidose. Le reste concerne des maladies infectieuses, cardiovasculaires, neurologiques ou encore ophtalmologiques. 

Indications visées par les essais cliniques de thérapie génique (1989-2017)

L’immense majorité de ces essais sont des études de phase I ou II, qui évaluent la sécurité et l’efficacité des traitements testés. Les essais de phase III, qui permettent de statuer sur le rapport bénéfice/risque d’un nouveau traitement par rapport à un traitement de référence ou à un placebo, représentent moins de 4% des études cliniques. Néanmoins, ce chiffre progresse grâce au développement de nouveaux vecteurs dérivés de lentivirus et d’AVV, plus efficaces et plus sûrs. 

En France une trentaine d’essais de thérapie génique a eu lieu ou est en cours, toutes pathologies et phases confondues. 

Des succès et des espoirs réels contre plusieurs maladies monogéniques

Dans les maladies neuromusculaires

Le cas de l’amyotrophie spinale infantile illustre bien ce que la thérapie génique peut actuellement apporter dans des situations de carences thérapeutiques majeures. Cette maladie se caractérise par une faiblesse et une atrophie musculaire dès les premiers mois de vie. Autrefois incurable, notamment la forme de type 1 (la plus grave), la maladie pourrait perdre en sévérité grâce à plusieurs approches très encourageantes. Un oligonucléotide antisens déjà commercialisé (Nusinersen), administré par voie intrathécale répétée, permet d’augmenter la quantité de protéine qui fait défaut aux malades dans le système nerveux central. Il réduit les symptômes et la probabilité de mortalité chez les patients porteurs de mutations du gène SMN1. Une deuxième approche, en cours d’essais clinique, utilise un vecteur AAV9 contenant une copie du gène SMN1 sain, administré par une simple et unique injection intraveineuse. Les résultats présentés lors de congrès sont remarquables et montrent une récupération fonctionnelle stable chez les enfants traités. 

D’autres essais se fondant sur des approches similaires, avec une seule injection de vecteur AAV, sont en cours dans d’autres maladies neuromusculaires. Des résultats positifs ont été obtenus chez de jeunes patients atteints de myopathies myotubulaires. Dans cette maladie, la structure de la fibre musculaire est modifiée. Un vecteur AAV est utilisé pour véhiculer le gène MTM1 dans les muscles. D’autres myopathies font également l’objet d’essais cliniques avec l’AAV, notamment la maladie de Duchenne.

Dans les maladies ophtalmiques

Un traitement (Luxturna) est déjà disponible contre l’amaurose de Leber, une dégénérescence rétinienne pigmentaire d’origine monogénique. Il s’agit d’un vecteur de type AAV avec une copie fonctionnelle du gène altéré chez les malades, injectable directement dans la rétine. Il permet de stopper l’évolution de la maladie. 

Fort de ce succès qui fut l’un des premiers en thérapie génique, cette approche est également testée dans plusieurs autre maladies monogéniques ophtalmiques comme la neuropathie optique de Leber ou maladie de Stargardt. Des approches nouvelles, telles que l’optogénétique sont également essayées dans ce domaine, afin de rendre des neurones sensibles à la lumière. 

Dans les maladies hématologiques

Les résultats de deux essais contre les hémophilies A et B parus fin 2017 sont extrêmement concluants : avec un recul d’un an, ils semblent avoir permis de guérir des patients, ces derniers ne présentant plus de symptômes. Le traitement a consisté en une injection unique d’un vecteur de type AAV transportant le gène codant pour le facteur IX dans le cas de l’hémophilie B, ou pour le facteur VIII dans le cas de l’hémophilie A. Le suivi à long terme devra confirmer la sécurité du traitement et la persistance de l’effet thérapeutique dans le temps. 

La drépanocytose est une forme grave d’anémie chronique d’origine génétique due à une mutation dans le gène codant pour la β‑globine. Des équipes française et américaine ont développé un protocole pour corriger la maladie chez un patient de 13 ans atteint d’une forme sévère de la maladie. Cet essai clinique de phase I/II a consisté à prélever des cellules souches hématopoïétiques au niveau de la moelle osseuse du patient, les modifier génétiquement à l’aide d’un vecteur lentiviral contenant le gène thérapeutique et à les réinjecter chez le malade par voie veineuse. Il a permis une rémission complète après un suivi de 15 mois. 

Une approche similaire a également donné des résultats très probants dans le traitement de la thalassémie. Chez 22 patients, elle a permis de réduire ou d’éliminer complètement le besoin de transfusion, et ce sans effet indésirable. 

Dans les déficits immunitaires sévères

En 1999, les premiers essais sur les « bébés bulle » (atteints de SCID X1) ont démontré qu’il était possible de traiter des pathologies humaines par thérapie génique. Grâce à de nouveaux protocoles cliniques et des vecteurs améliorés (pour éviter les problèmes d’insertions aléatoires, à l’origine de plusieurs cas de leucémies), ces approches ont permis d’obtenir de nouveaux succès thérapeutiques. 

Chercheur et bébé
Alain Fischer, Unité Inserm 768, « Développement normal et pathologique du système immunitaire », Département de Biothérapies et Unité d’Immunologie et d’Hématologie pédiatrique, Hôpital Necker Enfants Malades AP-HP, Université Paris Descartes, Paris © AP-HP, J. Renard 

Un médicament (Strimvelis) a été lancé à destination des patients atteints d’ADA-DICS, un déficit immunitaire sévère caractérisé par l’absence de la protéine ADA, nécessaire à la production de lymphocytes. 

Des résultats sont par ailleurs très encourageants pour le traitement du syndrome de Wiskott Aldrich. Cette maladie due à une mutation sur le gène WAS est caractérisée par des dysfonctionnements des cellules sanguines et l’absence de plaquettes. Les essais menés en Europe et aux Etats-Unis confirment l’efficacité de l’approche pour améliorer l’état de santé des personnes traités et y compris chez un adulte. 

Des approches ciblant d’autres déficits immunitaires sont actuellement en cours d’essais, notamment concernant la granulomatose septique chronique liée à l’X : les premiers résultats positifs viennent d’être présentés en congrès. 

Dans les maladies neurodégénératives

Des progrès sont également importants contre certaines maladies neurodégénératives. Dans l’adrénoleucodystrophie, une maladie démyélinisante du système nerveux central, les cellules souches sanguines des patients sont corrigées ex vivo à l’aide d’un lentivirus, puis réinjectées. Une vingtaine de patients ont été traités et les résultats montrent une stabilisation ou une amélioration de leur état dans la plupart des cas. 

Thérapie génique de l'adrénoleucodystrophie (ALD)
Thérapie génique de l’adrénoleucodystrophie. Les cellules progénitrices CD34+ des patients ALD traités continuent à exprimer le gène thérapeutique plus de 2 ans après traitement. En rouge : expression de la protéine ALD ; en bleu : noyau de la cellule.© Inserm, P. Aubourg

Des résultats spectaculaires ont également été obtenus avec une approche similaire chez des enfants atteints de leucodystrophie métachromatique et d’autres travaux sont en cours dans la maladie de Sanfilippo. Un essai est mené en France chez quatre enfants atteints de cette maladie. Il vise à obtenir la production de l’enzyme manquante par les cellules cérébrales. Un vecteur de thérapie génique de type AAV est pour cela injecté dans différentes zones du cerveau des patients. Aucun effet secondaire notoire n’a été constaté durant les 30 mois qui ont suivi le traitement et une amélioration du développement intellectuel et comportemental a été constatée, ouvrant la voie à un essai de phase III. 

Les approches de thérapie génique s’appliquent également à d’autres maladies neurologiques plus fréquentes telles que la maladie de Parkinson. Des résultats prometteurs sont obtenus dans des modèles précliniques de la maladie d’Alzheimer.

Dans les maladies dermatologiques

Un résultat spectaculaire a été récemment obtenu dans l’épidermolyse bulleuse jonctionnelle : un enfant de 7 ans souffrant de cette maladie rare et grave a reçu plusieurs greffes autologues de cellules de peau génétiquement modifiées pour corriger la mutation à l’origine de la maladie, affectant le gène LAMB3. Cette mutation empêche la jonction entre le derme et l’épiderme. Face à une urgence vitale, des médecins allemands et italiens ont procédé à cette intervention avec succès sur 80% de la surface du corps. 

Dans une autre forme de la maladie, un essai clinique est en cours aux Etats-Unis pour produire des feuillets épidermiques génétiquement corrigés afin de traiter les lésions cutanées qui apparaissent dans l’épidermolyse bulleuse dystrophique.

Cancers, maladies infectieuses et cardiovasculaires

Dans les cancers

En oncologie, une piste privilégiée consiste à stimuler le système immunitaire du patient contre sa propre tumeur, de manière à faciliter la reconnaissance des cellules cancéreuses et leur élimination. Pour y parvenir, des essais ont consisté à prélever des lymphocytes T aux patients et à les armer avec des récepteurs qui reconnaissent les antigènes tumoraux pour leur permettre d’éliminer les cellules cancéreuses. Deux médicaments de thérapie génique ont été développé sur cette base (Yescarta et Kymriah) contre les leucémies de type B. Ils comprennent un vecteur viral de type HIV‑1 qui s’intègre naturellement dans les lymphocytes T. Les chercheurs travaillent maintenant sur de nouveaux récepteurs (CAR ou T) qui permettraient de décliner cette stratégie pour un grand nombre de cancers. D’autres approches sont également à l’étude, notamment pour inhiber la molécule PD1 qui constitue un frein à l’activation de lymphocytes antitumoraux. 

Des travaux portent également sur l’utilisation de virus oncolytiques génétiquement modifiés pour infecter et éliminer sélectivement les cellules tumorales. Un médicament (Imlygic) a déjà une indication contre le mélanome. D’autres virus oncolytiques sont en cours d’essai, dont un virus atténué de la rougeole ou encore un mélange de poliovirus et de rhinovirus en cours de développement contre les gliomes avancés. Outre l’efficacité directe du virus, la libération de débris cellulaires tumoraux issus de la destruction des cellules cancéreuses permet de stimuler le système immunitaire du patient contre sa propre tumeur en produisant de nouveaux lymphocytes T anticancéreux. 

Dans les maladies cardiovasculaires

Dans le domaine cardiovasculaire, les chercheurs développent la thérapie génique pour favoriser la régénération des tissus vasculaires en cas d’ischémie artérielle ou pour lutter contre la resténose (rétrécissement d’une artère survenant après de l’implantation d’un stent) à l’aide de gènes codant pour des protéines qui freinent ou au contraire stimulent ces processus. Des résultats positifs ont été rapportés dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique avec un vecteur adéno-associé codant pour Serca2, mais ils ne se sont pas confirmés dans les études ultérieures. Toutefois, des efforts sont en cours pour améliorer le tropisme cardiaque des vecteurs. 

Dans les maladies infectieuses

Un traitement curatif par thérapie génique pourrait est envisagé en cas d’infection par le VIH. Plusieurs approches sont étudiées. L’une d’elles consiste à rendre les lymphocytes T CD4 des patients (cellules ciblées par le VIH) résistants au virus : des cellules souches hématopoïétiques sont prélevées chez le patient et génétiquement modifiées à l’aide de nucléases à doigts de zinc (édition génomique) de façon à altérer le gène codant pour un récepteur de surface CCR5. L’absence de ce récepteur empêche l’entrée du virus dans les cellules. Réinjectées chez le patient ces cellules modifiées se multiplient et se différencient en cellules immunitaires résistantes au virus, permettant de restaurer le système immunitaire du sujet. Un essai de phase I/II est en cours aux Etats-Unis. 


Des avancées possibles grâce à la contribution de différents acteurs

Les avancées majeures sont possibles grâce aux efforts et aux partenariats entre la recherche académique et clinique, les associations de malades, les sociétés de biotechnologie et les laboratoires pharmaceutiques. 

Plusieurs associations de patients sont en effet investies depuis de nombreuses années dans le développement de la thérapie génique, en soutenant financièrement la recherche. Il faut mentionner l’AFM-Téléthon qui mène une politique particulièrement active dans le domaine des maladies rares. 

En parallèle, le secteur industriel se développe dans le domaine de la thérapie génique, notamment pour mettre en place la filière de production des médicaments avancés. Les possibilités d’applications de la thérapie génique au-delà des maladies rares et dans les maladies fréquentes comme le cancer, les maladies neurodégénératives, infectieuses ou cardiovasculaires ont fortement attiré l’intérêt des industriels et dynamisé le secteur. De nombreux résultats précliniques encourageants sont actuellement décrits dans des modèles animaux, par exemple dans le cas du diabète de type 2. Ils pourraient conduire à des essais cliniques qui concerneraient de très nombreux patients. Par ailleurs, le chemin a été parcouru pour mener à l’enregistrement des premiers médicaments de thérapie génique fournit des exemples concrets à suivre pour les produits futurs. 


Encore des freins à lever 

Malgré tous les succès déjà obtenus, les chercheurs restent prudents quant à l’utilisation de la thérapie génique et de la survenue possibles d’effets indésirables dans le temps. Le suivi des patients traités, sur plusieurs années, permettra d’en savoir plus sur la sécurité et l’efficacité de ces médicaments. Reste également à poursuivre le développement de nouveaux vecteurs pour contourner le problème de la réponse immunitaire qui peut se développer chez des patients, en particulier avec les vecteurs AAV, et l’impossibilité de réinjecter le traitement une seconde fois. La multiplication des essais cliniques dans des indications variées devrait permettre d’en apprendre encore beaucoup dans les années à venir pour améliorer encore les procédés. 

La bioproduction de produits vivants (virus, vecteurs, cellules autologues) à échelle industrielle reste par ailleurs un obstacle majeur pour le développement des médicaments de thérapie génique innovants. Les procédés sont issus de la recherche académique et ne sont pas toujours adaptés pour être déployés à grande échelle selon les bonnes pratiques de fabrication appliquées dans les usines de production pharmaceutiques. Des innovations technologiques et industrielles sont encore nécessaires pour améliorer les rendements de production. D’autant que les doses nécessaires au traitement d’un patient ne permettent parfois la réalisation d’essais cliniques que sur un petit nombre de personnes. 

Le prix de ces médicaments est également un nouveau sujet de réflexion en santé publique. Le Glybera coûte environ un million d’euros, le Strimvelis plus de 600 000 euros par traitement et le Nusinersen est annoncé à plusieurs centaines de milliers d’euros par an, à vie. Un prix qui peut se justifier au regard du service médical rendu et de la réduction des coûts des soins continus administrés à des individus souffrant de maladies génétiques rares. Toutefois, les études économiques à coût complet restent à faire. Comment donner accès aux médicaments de thérapie génique à des populations défavorisées fait également partie des questions auxquelles il faut commencer à réfléchir. 

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