Une double thérapie génique contre la drépanocytose

La drépanocytose est une maladie sanguine causée par la mutation du gène de la bêta-globine, une protéine des globules rouges. Plusieurs essais de thérapie génique ont déjà été réalisés ou sont en cours pour tenter de guérir les patients. Tous se fondent sur l’introduction d’une version saine du gène de la bêta-globine dans les cellules souches sanguines des patients. Pour améliorer cette approche, une équipe Inserm propose de la compléter en induisant, en plus, une répression de l’activité de la protéine mutée grâce à l’outil CRISPR-Cas9. Les résultats préliminaires obtenus in vitro sont encourageants.

La drépanocytose est la maladie génétique la plus fréquente en France, avec environ un cas sur 1 700 naissances. Il s’agit d’une maladie sanguine qui affecte l’hémoglobine, principale protéine des globules rouges, chargée du transport de l’oxygène des poumons vers les tissus. Chez les malades, une mutation sur le gène de la bêta-globine entraîne la production d’hémoglobine anormale et la déformation des globules rouges : ces cellules se fragilisent et se rigidifient, leur durée de vie est raccourcie. Elles obstruent alors les micro-vaisseaux, provoquant une anémie sévère, des crises douloureuses ou encore un risque accru d’infections.

Si des transfusions sanguines soulagent les patients, elles peuvent être associées à des effets secondaires importants et doivent être effectuées régulièrement, à vie. Le seul véritable traitement actuellement disponible est donc la greffe de cellules souches hématopoïétiques – les cellules qui sont à l’origine de toutes nos cellules sanguines – sous réserve qu’un donneur compatible existe (frères ou sœurs « HLA compatibles »). En outre, les patients qui bénéficient de cette approche doivent ensuite suivre un traitement immunosuppresseur, lui aussi à vie, et ne sont pas à l’abri d’une maladie chronique du greffon contre l’hôte. Aussi, depuis plusieurs années, des équipes de recherche tentent de restaurer la production d’une hémoglobine saine dans les cellules des patients, grâce à la thérapie génique.

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Plusieurs essais ont été conduits, notamment à l’Inserm, avec des résultats encourageants. L’un d’eux a été coordonné en 2014 par Marina Cavazzana à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris. Il a consisté à prélever des cellules souches hématopoïétiques au niveau de la moelle osseuse de patients, à les modifier avec un vecteur viral qui comprenait un gène sain de la bêta-globine, puis à réinjecter ces cellules « corrigées » aux malades, par voie veineuse. De bons résultats ont été observés chez certains patients, mais les symptômes restent le plus souvent insuffisamment contrôlés : la production de protéine saine s’avère insuffisante pour contrecarrer les effets néfastes de la bêta-globine mutée toujours exprimées dans les cellules des malades.

Bloquer l’activité de la globine mutée

C’est pourquoi, Annarita Miccio et son équipe* proposent de compléter cette stratégie par une approche qui permet la réduction de l’activité de bêta-globine mutée. Pour cela, les chercheurs utilisent la technologie CRISPR-Cas9. Cet outil moléculaire permet de modifier un génome à l’endroit désiré.

CRISPR/Cas9 : une méthode révolutionnaire – animation pédagogique – 2 min 10 – Inserm, 2016. Pour en savoir plus consulter le dossier Edition génomique

L’équipe d’Annarita Miccio a développé plusieurs options. Dans un premier système, le vecteur viral qui permet d’introduire le matériel génétique thérapeutique dans les cellules cibles contient, en plus du gène sain de la bêta-globine, un complexe CRISPR-Cas9 qui permet d’inactiver la bêta-globine mutée. Dans un second système, toujours en plus du gène sain de la bêta-globine, le vecteur contient un complexe CRISPR-Cas9 qui va réactiver une autre globine, la gamma-globine. Celle-ci est active pendant le développement fœtal, mais son expression s’éteint habituellement au moment de la naissance. En ciblant les facteurs à l’origine de cette répression, l’outil mis au point par l’équipe d’Annarita Miccio parvient à restaurer la production de gamma-globine dans des cellules adultes, avec pour objectif de compenser l’effet de la bêta-globine mutée. Cette approche s’inspire d’observations cliniques : certaines personnes porteuses d’une mutation sur le gène de la bêta-globine ne développent pas la drépanocytose car, en raison d’une seconde mutation présente au niveau du gène de la gamma-globine, cette dernière continue à être produite après leur naissance.

Évaluées in vitro dans des modèles de cellules souches hématopoïétiques issues de patients, ces approches donnent de bons résultats, avec une proportion importante de globules rouges normaux, en particulier en cas d’inactivation de la bêta-globine mutée. Désormais, et avant de lancer des essais précliniques puis cliniques, les chercheurs travaillent activement pour vérifier la sécurité d’utilisation de la technique CRISPR-Cas9 dans leurs modèles cellulaires. « Il faut répondre au cahier des charges très précis des agences de santé pour envisager d’utiliser cette technologie à des fins thérapeutiques. Il faut notamment prouver l’intégrité de l’ADN suite à la modification du gène cible, vérifier l’absence d’anomalies, notamment de transformations tumorales, explique Annarita Miccio. C’est un très gros travail. Ensuite seulement, nous pourrons progresser dans le développement clinique de notre double thérapie génique qui, nous l’espérons, permettra de soigner un grand nombre de patients. »

Note :
* unité 1163 Inserm/Université de Paris, Institut Imagine, équipe Chromatine et régulation génique au cours du développement, Paris

Annarita Miccio a reçu en 2019 un financement du Conseil européen de la recherche (ERC consolidator Grant), qui lui permet pendant 5 ans de bénéficier d’un budget de 2 millions d’euros pour renforcer son équipe et avancer plus rapidement ses projets de recherche.

Source : S Ramadier et coll. Combination of lentiviral and genome editing technologies for the treatment of sickle cell disease. Mol Ther du 18 août 2021. DOI : 10.1016/j.ymthe.2021.08.019

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