Alcool & Santé

Lutter contre un fardeau à multiples visages

Après avoir régulièrement diminué ces dernières décennies, la consommation d’alcool stagne en France. Environ un quart des adultes ont toujours une consommation qui dépasse les repères préconisés. Ces personnes s’exposent dès lors à des complications hépatiques, cardiovasculaires, neurologiques ainsi qu’à un risque majoré de cancers. L’alcool reste ainsi la deuxième cause de mortalité prématurée dans notre pays, et une des toutes premières causes d’hospitalisation.
Aussi, un enjeu majeur est de pouvoir repérer les consommateurs à risque avant l’apparition d’une dépendance, et de les amener à réduire leur consommation. L’identification de facteurs de vulnérabilité est en cours afin d’améliorer ce repérage ainsi que la prise en charge de l’alcoolodépendance.

Dossier réalisé en collaboration avec Mickaël Naassila, directeur du Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances (GRAP, unité Inserm 1247, Amiens) 

Toute consommation d’alcool présente un risque pour la santé

La consommation d’alcool expose à de multiples risques pour la santé. Elle est responsable de plus de 200 maladies et atteintes diverses. Certaines de ces maladies sont exclusivement attribuables à l’alcool, notamment la cirrhose alcoolique ou certaines atteintes neurologiques comme l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke et le syndrome de Korsakoff. Pour d’autres pathologies, l’alcool constitue un facteur de risque. C’est le cas de cancers (bouche, pharynx, larynx, œsophage, foie, sein, cancer colorectal) et de maladies cardiovasculaires (hypertension artérielle, cardiopathie ischémique). Des troubles cognitifs sont en outre observés chez plus de 50 % des personnes alcoolodépendantes : altération de la mémoire, inadaptation de certains mouvements... Ces troubles sont lentement réversibles.

Le french paradox n’existe pas : consommer de petites quantités d’alcool n’est pas bénéfique

Contrairement à ce qui a longtemps été entendu, une faible consommation d’alcool n’est pas bénéfique pour la santé. Ainsi, la récente expertise collective de l’Inserm sur l’alcool indique que les faibles niveaux de consommation contribuent largement aux nouveaux cas de cancers détectés en France en 2015. Les effets prétendument protecteurs d’une consommation d’alcool modérée – le célèbre french paradox – ne sont que le reflet de problèmes méthodologiques dans les études qui en ont suggéré l’existence.

La réduction de la consommation d’alcool, même lorsque les niveaux sont déjà faibles à modérés, permettrait d’éviter un nombre non négligeable de décès et de diminuer l’incidence de certaines pathologies.

Des repères pour limiter les risques

S’il n’existe pas de seuil en dessous duquel la consommation d’alcool est sans risque, les connaissances scientifiques permettent de définir des repères qui limitent les risques encourus.

Actualisés en 2017, ces repères recommandent de :

  • ne pas consommer plus de 10 verres d’alcool par semaine
  • ne pas consommer plus de 2 verres par jour
  • ne pas boire d’alcool au moins 2 jours par semaine

Ces repères sont valables pour les adultes, hommes et femmes. Aucun repère de consommation n’est validé pour les plus jeunes, chez lesquels toute consommation peut être nocive en raison de la vulnérabilité accrue du cerveau en développement.

Maintenir sa consommation en dessous de ces repères diminue le risque d’atteinte toxique liée à l’alcool, mais ne l’annule pas : même consommé en quantité quotidienne faible, équivalente à 13 grammes (soit 1,3 verre), l’alcool serait responsable de 1 100 morts par an. Par exemple, le risque de développer certains cancers devient significatif dès le premier verre.

Ma consommation est-elle à risque ? Faites le test

Pour mémoire, un verre de bière (250–300 ml), un verre de vin (150 ml) et une mesure de spiritueux (30–50 ml) contiennent une quantité voisine d’alcool (10 g d’éthanol pur).

Alcool et santé : synthèse des connaissances et recommandations pour réduire les dommages associés – animation pédagogique 3 min 23 – Vidéo préparée d’après le rapport de l’expertise collective de l’Inserm « Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool » (Juin 2021)

Les Français et l’alcool

La consommation d’alcool a régulièrement diminué en France depuis une quarantaine d’années : elle est passée d’une moyenne annuelle de 26 litres d’alcool pur par habitant âgé de 15 ans ou plus en 1961, à 12 litres en 2017. Mais depuis, cette diminution s’est interrompue et une stagnation est observée.

Les données du Baromètre santé 2017 indiquent que 13,5% des adultes ne boivent jamais et 10 % boivent tous les jours (15,2 % des hommes et 5,1 % des femmes). Il existe une frange de très gros buveurs, avec 10% des 18–75 ans qui boivent à eux seuls 58% de l’alcool consommé. Le vin reste de loin la boisson la plus consommée.

Les plus âgés sont les plus gros consommateurs

Les consommateurs quotidiens sont plus nombreux chez les personnes plus âgées (26 % des 65–75 ans déclarent boire de l’alcool chaque jour, contre 2,3 % des 18–24 ans). Mais la consommation débute le plus souvent à l’adolescence, période durant laquelle la bière et les prémix (boissons alcoolisées, sucrées et aromatisées) sont les boissons les plus populaires. L’âge moyen de la première ivresse est de 15,2 ans. En 2017, 85,7 % des adolescents âgés de 17 ans déclaraient avoir déjà bu de l’alcool au cours de leur vie, et près d’un sur 10 (8,4 %) buvait régulièrement (au moins 10 fois dans le mois). Des ivresses régulières (au moins dix épisodes au cours des 12 derniers mois) étaient rapportées par 19 % des jeunes de 18 à 24 ans contre moins de 1 % des plus de 55 ans.

Les jeunes privilégient le binge drinking

Chez les jeunes, la tendance est au binge drinking, pour atteindre l’ivresse le plus rapidement possible. Cette pratique consiste à boire au moins six verres d’alcool en moins de deux heures pour une fille, ou au moins sept verres dans le même temps pour un garçon, de façon à atteindre une alcoolémie d’au moins 0.8g/l. Dans les faits, les consommations sont généralement beaucoup plus importantes.

La moitié des jeunes de 17 ans ont été concernés par cette pratique au cours des trente derniers jours et ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur, notamment chez les filles.

Lorsqu’il est répété, ce mode de consommation a des conséquences néfastes sur la santé : diminution des capacités d’apprentissage et de mémorisation à long terme, impulsivité accrue, impact sur l’apprentissage et le traitement des émotions, l’anxiété et l’humeur, hypertension, dommages hépatiques, et augmentation des risques de dépendance par la suite. Des études françaises récentes ont démontré que les étudiants « binge drinkers » présentent des déficits de performance dans un test de mémoire épisodique verbale (consistant à se rappeler les mots d’une liste) et que le binge drinking entre 18 et 25 ans augmente très significativement le risque d’alcoolodépendance. La vitesse de consommation semble particulièrement impliquée dans les effets néfastes de cette pratique. Une autre étude, menée sur le modèle préclinique du rat, montre que la mémoire est toujours altérée 48 heures après deux épisodes de binge drinking.

« Binge drinking » : quand le cerveau trinque – interview – 3 min 42 – vidéo extraite de la série Questions de société (2011)

L’alcool, deuxième cause de mortalité prématurée en France

La consommation d’alcool contribue de façon directe ou indirecte à 11 % des décès masculins et à 4 % des décès féminins en France. Il s’agit de la deuxième cause de mortalité prématurée. Ainsi, en 2015, 41 000 décès étaient imputables à l’alcool (30 000 chez les hommes et 11 000 chez les femmes) : 16 000 décès par cancer, 9 900 dus à des maladies cardiovasculaires, 6 800 à une cirrhose, 5 400 à un accident ou un suicide, les autres à des maladies mentales, des troubles du comportement…

Un coût social exorbitant

Le coût des conséquences liées à la consommation d’alcool pour la société est gigantesque. Entre la perte de qualité de vie, la perte de productivité, les dépenses de prévention, de répression, de soins, et en intégrant les recettes des taxes prélevées sur l’alcool ou encore les économies liées aux retraites non versées, la balance penche largement en défaveur de la consommation, avec un coût social proche de 118 milliards d’euros par an, à peu près équivalent à celui du tabac.

Une toxicité importante pour l’organisme

Alcool et maladies hépatiques

Le foie est la cible principale des effets toxiques de l’alcool. Plusieurs maladies hépatiques peuvent être provoquées par la consommation excessive d’alcool : stéatose (accumulation de lipides dans le foie), hépatite alcoolique, cirrhose. Une étude française effectuée auprès de 2 000 consommateurs excessifs hospitalisés a montré que seulement 11 % d’entre eux avaient un foie normal : 34 % présentaient une cirrhose alcoolique, 46 % une stéatose associée ou non à une fibrose et 9 % une hépatite alcoolique aiguë. Il s’agit de pathologies graves : en cas de cirrhose et/ou d’hépatite alcoolique sévère, la survie à 5 ans varie de 20 % à 60 %.


Le devenir de l’alcool dans le corps

La concentration d’éthanol (c’est-à-dire d’alcool) dans le sang est maximale au bout de 45 minutes si l’alcool est consommé à jeun, au bout de 90 minutes s’il l’est au cours d’un repas. L’élimination se fait au rythme d’environ 0,15 g/l/h en cas de concentration supérieure à 0,50 g/l, avec d’importantes variations d’une personne à l’autre.

Pour une même quantité ingérée, la concentration plasmatique en éthanol est plus élevée chez les femmes que chez les hommes. De plus, les femmes métabolisent plus lentement l’alcool. Elles sont donc plus vulnérables aux effets toxiques de l’alcool.


Alcool et cancer 

L’alcool représente la deuxième cause évitable de mortalité par cancer, responsable chaque année de 28 000 nouveaux cas. Il est classé cancérigène pour l’Homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 1988. Les cancers les plus souvent attribuables à l’alcool sont les cancers de l’œsophage (57,7 % des cas), mais bien d’autres localisations sont concernées : foie, bouche, gorge, cancer colorectal ou encore cancer du sein. Au total, environ 8 % de tous les nouveaux cas de cancer sont liés à l’alcool, et ce, quel que soit le niveau de consommation d’alcool, y compris faible à modéré.

La consommation même faible d’alcool est associée à un risque augmenté de cancers du sein, indépendamment de la consommation de tabac. Au Royaume-Uni, l’augmentation de la consommation d’alcool observée pendant la dernière décennie pourrait être un facteur déterminant dans l’augmentation de 30 % de l’incidence de ce cancer (36 509 cas en 2003 vs 55 122 en 2015). L’étude britannique Million Women Study, qui portent sur plus de 28 000 femmes atteintes d’un cancer du sein, suggère en outre que chaque dose de 10 grammes d’alcool (soit un verre) consommée par jour est associée à une augmentation de 12 % du risque de cancer du sein (12 % dès le premier verre, 24 % au deuxième…)

Alcool et cerveau

L’éthanol n’a pas de récepteurs spécifiques dans le cerveau : il agit sur de nombreuses cibles dont il modifie l’activité, perturbant la transmission de plusieurs signaux nerveux excitateurs et inhibiteurs. Cependant, l’activité d’un sous-type de récepteur membranaire GABA de type A est prioritairement modifiée en début de consommation : cela suggère qu’à faible concentration, l’alcool affecte malgré tout des cibles très spécifiques.

A forte dose, l’alcool entraîne un remodelage des connexions entre les neurones. Ce remodelage permet au cerveau de s’adapter à cette consommation et d’en amoindrir les effets. Paradoxalement, ce mécanisme entraîne un appel à la consommation. Le phénomène menace particulièrement les adolescents dont le cerveau continue de se développer jusqu’à l’âge de 25 ans. Il a été récemment montré chez ces derniers, que la consommation chronique d’alcool est associée à une altération des fibres nerveuses dans le tronc cérébral, et à une modification du « système de récompense ». En perturbant le développement normal du cerveau, la consommation d’alcool peut augmenter le risque de dépendance chez les jeunes.

Plaisir et addiction – Interview – 4 min – vidéo extraite de la série POM bio à croquer (2013)

Les effets immédiats de l’alcool sur le comportement

L’alcool perturbe le comportement de façon variable en fonction de la dose ingérée :

  • Pour des alcoolémies inférieures ou égales à 0,50 g/l, l’éthanol a un effet stimulant qui s’accompagne d’une désinhibition : les tâches cognitives sont exécutées plus rapidement et avec une sensation subjective de facilité, mais avec un taux d’erreurs accru.
  • Au-delà de 0,50 g/l, il a un effet sédatif et perturbe les fonctions motrices (perte d’équilibre, de la coordination des mouvements).

Ces effets dépendent également d’une sensibilité individuelle aux effets de l’alcool qui s’explique en partie par des facteurs génétiques.


Alcool et grossesse – Le syndrome d’alcoolisation fœtale

L’exposition prénatale à l’alcool peut avoir des effets dramatiques et permanents. L’éthanol franchit facilement la barrière placentaire et les concentrations retrouvées chez le fœtus sont supérieures à celles mesurées chez la mère car le système fœtal d’élimination de l’alcool est peu développé.

Il n’a jamais été mis en évidence de seuil en dessous duquel les risques sont nuls, d’où la recommandation « 0 alcool pendant la grossesse ». Pourtant, en 2017, 12 % des mères d’enfants de cinq ans ou moins déclaraient avoir consommé de l’alcool au cours de leur dernière grossesse, après avoir appris être enceinte (11 % uniquement pour les grandes occasions, et moins de 1% une fois par semaine ou plus).

Les conséquences d’une consommation d’alcool pendant la grossesse vont de troubles comportementaux mineurs (troubles causés par l’alcoolisation fœtale ou TCAF), à des anomalies sévères du développement qui se manifestent par un syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) : malformation du crâne et du visage, retard de croissance, handicaps comportementaux et cognitifs, atteintes de différents organes. Près d’un enfant atteint de SAF sur deux montre un retard mental et la plupart ont des problèmes d’apprentissage, de mémoire, d’attention ou de comportement.

L’alcoolisation fœtale est la 1re cause de handicap non génétique en France. Entre 2006 et 2013, 3 207 nouveau-nés ont reçu un diagnostic de TCAF durant la période néonatale, soit 0,48 cas pour 1 000 naissances.

Des études récentes ont en outre suggéré que la consommation préconceptionnelle d’alcool, par la mère mais aussi par le père, pourrait avoir des conséquences délétères sur l’enfant à naître. C’est pourquoi les messages de prévention actuels peuvent comporter la recommandation de ne pas boire d’alcool dès le désir de grossesse. Cette recommandation concerne les deux futurs parents.

Alcool et troubles cognitifs

Les troubles cognitifs liés à l’alcool concerneraient au moins la moitié des patients qui présentent une consommation à risque. Les plus fréquents affectent les fonctions exécutives (planification, résolution de problèmes et contrôle inhibiteur), la mémoire épisodique (se rappeler d’événements et de leur contexte), les capacités visuoconstructives (orientation dans l’espace, visualiser des objets...) et la cognition sociale (qui régit les comportements sociaux). Ces troubles peuvent altérer la motivation, notamment celle à changer de comportement dans le cadre d’une prise en charge, ou encore créer des difficultés d’apprentissage.

Le repérage des troubles cognitifs liés à l’alcool peut s’effectuer grâce à des échelles standardisées telles que le MoCA (Montreal Cognitive Assessment) et le BEARNI (Brief Evaluation of Alcohol-Related Neuropsychological Impairment).

Alcool et démence

Récemment, un lien a été établi entre consommation d’alcool excessive et risque de démence. D’après une étude de l’Inserm menée en collaboration avec des chercheurs canadiens, six verres ou plus par jour pour les hommes et quatre pour les femmes sont associés à un triplement du risque de démences, y compris de démences précoces qui surviennent avant 65 ans de type syndrome de Korsakoff, directement attribuables à l’alcool, de démences vasculaires qui résultent par exemple d’accidents vasculaires cérébraux, et de démences neurodégénératives de type Alzheimer. Ainsi, le risque de développer la maladie d’Alzheimer est doublé chez les gros consommateurs d’alcool, ce qui en fait un facteur de risque modifiable majeur.

Alcool et dépendance

Quand est-on à risque de dépendance ?

Toute consommation supérieure à deux verres d’alcool par jour, pour les hommes comme pour les femmes, doit être considérée à risque, même en l’absence de symptômes de dépendance. Or en 2017, près d’un quart des adultes dépassaient au moins une des trois dimensions des recommandations de consommation (pas plus de 2 verres par jour et de 10 verres par semaine, au moins deux jours sans alcool).

Le diagnostic de dépendance repose sur des critères bien définis, fixés par des instances internationales de santé mentale et répertoriés dans un manuel, le Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders (DSM). La dépendance se manifeste entre autres par l’apparition de problèmes personnels, interpersonnels, des signes physiques, une perte de contrôle de la consommation qui devient compulsive ou encore une envie irrépressible de consommer (craving). Un questionnaire (AUDIT) permet également de dépister les consommations à risque, nocives et à risque de dépendance. Des données de la cohorte Constance montrent que chez les 18–35 ans, 5,8 % des hommes et 1,6 % des femmes ont une consommation à risque de dépendance (score AUDIT>15).

Des facteurs de risque de dépendance

Il existe une vulnérabilité individuelle à la dépendance dans laquelle interviennent plusieurs facteurs : génétiques, comportementaux et environnementaux.

Certains gènes associés à une augmentation ou à une diminution du risque de consommation problématique d’alcool ont été identifiés (par exemple ALDH2). Cependant, globalement, la susceptibilité génétique à l’alcoolodépendance semble découler des mêmes mécanismes que les autres conduites addictives, en lien avec l’activité des gènes qui déterminent les systèmes de neurotransmission (systèmes dopaminergique, opioïdergique, GABAergique, sérotoninergique, cholinergique, glutamatergique). A noter qu’il n’existe aucun gène de la dépendance à proprement parler : chaque altération identifiée contribue de façon minime au risque de survenue de la dépendance.

Des travaux récents indiquent par ailleurs que l’exposition à l’alcool à un stade précoce du développement – pendant l’adolescence, voire in utero – augmente le risque de devenir dépendant. Un début de la consommation dès l’âge de 11–12 ans multiplie par dix le risque de développer une dépendance par rapport à une initiation vers 18 ans. Le binge drinking à l’adolescence (entre 18–25 ans) multiplie quant à lui par 3 le risque de devenir alcoolodépendant.

Des facteurs psychologiques et comportementaux sont également associés à un risque accru de dépendance : impulsivité, recherche de sensations, prise de risque, mais aussi et surtout des symptômes de dépression/anxiété.

Enfin, l’environnement joue un rôle important dans le risque d’alcoolodépendance : il agit via des facteurs sociaux (niveau de revenus, vie sociale, statut professionnel…), familiaux (absence de supervision parentale, conflits), ou encore par la facilité ou non à consommer de l’alcool (prix, disponibilité, publicité). Une étude récente démontre que faire goûter de l’alcool à un enfant facilite l’initiation de la consommation à l’adolescence et l’entrée dans un comportement de binge drinking. Une étude européenne a aussi démontré que l’exposition à l’alcool dans les médias et les films augmente la prévalence du binge drinking.

A l’inverse, l’environnement peut être vecteur de facteurs de protection, à un niveau collectif, familial ou individuel. Les principaux facteurs de protection collectifs sont le prix de l’alcool, la limitation des lieux de vente, la réduction des horaires de vente et le respect de l’interdiction de vente aux mineurs.

Retour à une consommation en dessous des nouveaux repères

Malgré le « fardeau » sanitaire et social que constituent les troubles liés à la consommation d’alcool, un faible nombre de patients est en recherche de traitement, et moins de 10 % bénéficient de soins spécialisés. Cela s’explique en partie par le fait que l’objectif du traitement a longtemps été l’abstinence totale et à vie, décourageant un certain nombre de personnes à démarrer les soins. L’objectif de réduction de la consommation désormais proposé est plus facilement acceptable pour une partie des consommateurs excessifs et des dépendants qui ne souhaitent pas devenir abstinents dans un premier temps. Le but est alors de revenir à une consommation à moindre risque.

Pour encourager les consommateurs excessifs à rentrer dans cette dynamique, un repérage précoce est nécessaire. Il doit être suivi d’une intervention brève consistant à informer et à sensibiliser aux dangers de l’alcool et aux repères de consommation, afin de provoquer un changement de comportement et de diminuer le risque de développer une alcoolodépendance.

Après une phase initiale de traitement les taux de rechute sont hélas très élevés, vraisemblablement autour de 40 % à 60 % dans l’année. Les rechutes font donc partie de la trajectoire de la majorité des patients. Or, les sevrages répétés peuvent conduire à des symptômes associés de plus en plus sévères, avec un risque de complication qui augmente d’épisode en épisode. Les crises de sevrages, à l’origine d’une neurotoxicité, doivent tout particulièrement être évitées. Un enjeu majeur est donc l’amélioration de l’observance au long cours, afin de prévenir ces complications de sevrage et les risques de rechute.

Des traitements efficaces

La prise en charge de la dépendance à l’alcool doit intégrer toutes les composantes de la maladie et ses comorbidités. Elle repose à la fois sur des stratégies psychothérapeutiques, médicamenteuses, de remédiation cognitive, de réhabilitation sociale et de prise en charge des comorbidités. Le sevrage de cannabis est par exemple associé à une meilleure efficacité de la prise en charge de l’alcoolodépendance. D’une manière générale, une évaluation de l’ensemble des conduites addictives, y compris les addictions comportementales, est à réaliser chez tous les patients qui présentent une dépendance à l’alcool : elle permet de prendre en charge la pathologie addictive dans son ensemble. L’alcoolodépendance s’accompagne en outre souvent de troubles neuropsychiatriques tels que l’anxiété, la dépression ou des troubles de la personnalité qui compliquent la prise en charge et constituent un mauvais pronostic de réponse au traitement. Un suivi à long terme par une équipe pluridisciplinaire est nécessaire.

Les médicaments actuellement préconisés sont majoritairement destinés à maintenir l’abstinence et à lutter contre les rechutes, comme l’acamprosate, la naltrexone et le disulfirame. Mais avec ces traitements, seul un tiers des patients sont toujours abstinents au bout d’un an. Cette proportion chute à 10 ou 20 % au bout de 4 ans. D’autres molécules sont indiquées dans la réduction de la consommation comme le nalméfèneou le baclofène. Ce dernier est utilisé en complément d’un suivi psychosocial, après échec des autres traitements. Il n’existe pas encore de preuve scientifique que l’association de plusieurs médicaments serait plus efficace que l’administration d’un seul. Les recherches actuelles visent à trouver des facteurs prédictifs de la réponse individuelle aux différents traitements disponibles. Concernant les stratégies psychothérapeutiques, la thérapie cognitive et comportementale (TCC), la thérapie des contingences (consistant à déprécier l’usage de l’alcool par le biais de moyens alternatifs proposés pour récompenser l’abstinence) et la méditation de pleine conscience, ont montré une certaine efficacité.

Les enjeux de la recherche

Les axes de recherche actuellement développés atour de la thématique « alcool et santé » couvrent plusieurs domaines : épidémiologie, sciences sociales, neurosciences, neurobiologie, cancérologie. Il s’agit de mieux connaître les usages, les facteurs de risque et les effets sanitaires et sociaux de la consommation d’alcool, de développer, évaluer et valider les outils de prévention et de dépistage ainsi que des stratégies de prise en charge ou, encore mieux, comprendre les facteurs prédictifs de maintien de l’abstinence.

Traiter la dépendance

De nombreuses équipes de chercheurs étudient les mécanismes cérébraux associés à la dépendance, notamment en s’intéressant aux structures du cerveau déjà connues pour jouer un rôle dans l’addiction. Le recours à des modèles animaux d’addiction à l’alcool permet d’étudier les bases neurobiologiques de cette dépendance et de rechercher de nouveaux traitements. 

Des molécules sont en cours d’évaluation, comme l’oxybate de sodium, la gabapentine, le topiramate, la buprénorphine, le CBD, la N‑acétylcystéine, les inhibiteurs des histones désacétylases, certains psychédéliques (psilocybine et LSD) ou encore une combinaison de traitements (cyproheptadine et prazosine)). Elles agissent sur des neurotransmissions ou sur « l’axe du stress » dont l’activité augmente pendant le sevrage, constituant un facteur de rechute.

La stimulation cérébrale profonde qui cible des sites impliqués dans l’addiction (noyau accumbens ou du noyau sous-thalamique du cerveau) a été testée : des résultats positifs ont été obtenus chez le rat et chez l’humain (en cas de rechutes multiples). Il s’agit toutefois d’une méthode lourde, passant par une chirurgie agressive qui consiste à introduire des électrodes dans les zones profondes du cerveau.

Comprendre la vulnérabilité individuelle

Un autre objectif est de mieux comprendre les facteurs impliqués dans la vulnérabilité individuelle à la dépendance et au développement de pathologies comme celles qui affectent le foie.

Ainsi, des études génétiques sont conduites, notamment sur le génome entier, pour permettre l’identification des variations génétiques associées à la dépendance. Les chercheurs s’intéressent également aux mécanismes de développement des maladies associées à la dépendance à l’alcool. Ils ont par exemple mis en place un modèle expérimental de la comorbidité alcoolisme-schizophrénie chez le rat. Dans ce modèle, une exposition à l’alcool à l’adolescence, même lorsqu’elle est très faible, rend les animaux particulièrement vulnérables à l’alcoolisme.

Une autre priorité essentielle est de comprendre les différences liées au sexe (facteurs biologiques) et au genre (facteurs sociaux), car de grandes différences existent entre les hommes et les femmes face à la vulnérabilité à l’alcool.


Le microbiote intestinal

La flore intestinale pourrait bien jouer un rôle important dans la vulnérabilité à l’alcool. Des études montrent un lien entre sa composition et le risque de dépendance à l’alcool, notamment via l’anxiété/dépression et le craving qui favorisent les rechutes. Il existe également un lien entre la composition de ce microbiote et l’apparition de complications chez les dépendants, en particulier celle de maladies hépatiques. Transplanter le microbiote d’un patient alcoolique qui présente une hépatite alcoolique sévère chez une souris saine provoque en effet l’apparition d’une inflammation et de lésions hépatiques dans les jours qui suivent. En revanche, la flore de personne alcoolique sans complication hépatique n’entraîne pas de problème hépatique chez les souris transplantées. Une nouvelle piste à explorer pour lutter contre la dépendance et les risques liés à l’alcool.


Des caractéristiques bientôt prédictives de l’efficacité du traitement ?

Certains gènes impliqués dans le développement de l’alcoolodépendance pourraient également avoir une influence sur la réponse du patient à son traitement. Le candidat le plus intéressant aujourd’hui est un polymorphisme du gène OPRM1, codant un récepteur des opioïdes endogènes. Il pourrait être associé à une meilleure efficacité de la naltrexone, mais les résultats disponibles sont contradictoires et ne permettent pas encore de conclure. Des études suggèrent en outre que la plus grande réactivité du circuit cérébral de la récompense, notamment l’activation du striatum ventral (noyau accumbens) à la présentation d’un signal environnemental associé à l’alcool, est elle aussi associée à une meilleure efficacité de la naltrexone. Des travaux sont toujours en cours pour déterminer si la motivation à consommer (pour ressentir des effets agréables ou pour se soulager d’un état ressenti comme désagréable) pourrait prédire la réponse à la naltrexone.

D’autres équipes s’intéressent par ailleurs à l’épigénétique, ces signaux chimiques présents sur l’ADN qui contrôlent l’expression des gènes et peuvent être modifiés par différents facteurs, dont l’alcool. Les mécanismes épigénétiques sont par exemple fortement impliqués dans le développement cérébral. Se pose donc la question du dépôt précoce de marques épigénétiques après exposition à l’alcool, par exemple in utero, et de leur persistance dans le temps. Ce champ de recherche offre des possibilités diagnostiques et thérapeutiques.

Le fardeau sociétal

Des travaux consistent à évaluer l’ampleur des retombées socio-économiques de la consommation excessive d’alcool. Une étude montre qu’il s’agit d’une des toutes premières causes d’hospitalisation en France (pour le traitement de l’alcoolisation elle-même et de ses conséquences). Ainsi, en 2012, plus de 580 000 séjours hospitaliers ont été induits par la consommation problématique d’alcool. De plus, plus de 2,7 millions de journées d’hospitalisation ont été enregistrées en psychiatrie, représentant 10,4% du total.

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