Alcoolisation fœtale : un impact sur la rétine qui pourrait faciliter le diagnostic précoce

Le dépistage des troubles causés par une exposition in utero à l’alcool reposera-t-il un jour sur un simple examen du fond d’œil des nouveau-nés ? À Rouen, une équipe Inserm vient en effet de montrer, chez la souris, que les anomalies neurovasculaires et neuronales provoquées par l’alcoolisation fœtale se retrouvent au niveau de la rétine.

La consommation d’alcool pendant la grossesse altère le développement cérébral du fœtus. Des anomalies sont observées au niveau des neurones et des vaisseaux sanguins du cerveau. Dans les cas les plus sévères, les enfants naissent avec un syndrome d’alcoolisation fœtale caractérisé par une malformation du crâne et du visage, un handicap mental ou encore des atteintes de différents organes. Dans cette situation, le diagnostic est relativement aisé à poser. En revanche, les cas modérés sont difficiles à repérer. Les enfants présentent le plus souvent des troubles cognitifs et comportementaux qui se manifestent par des difficultés d’apprentissage, de concentration, de mémorisation ou encore par une grande agitation. Mais ces signes ne sont généralement repérés qu’à l’entrée en primaire. Dès lors, le lien avec l’exposition in utero à l’alcool ne peut être que difficilement (voire pas du tout) établi.

Pourtant, diagnostiquer précocement des troubles d’alcoolisation fœtale permettrait de mettre plus précocement en place un accompagnement adapté pour en modérer les manifestations. Dans ce but, le projet porté par Carole Brasse-Lagnel au sein de l’équipe de Bruno Gonzalez, directeur de recherche Inserm, dans l’unité de recherche Génomique du cancer et du cerveau à Rouen, est destiné à identifier des marqueurs biologiques associés à ces troubles. Les chercheurs se sont en particulier demandé si les altérations vasculaires qui surviennent dans le cerveau pouvaient être retrouvées au niveau de la rétine. Cette piste est particulièrement intéressante compte tenu du fait que les vaisseaux rétiniens peuvent être observés de façon non invasive dès la naissance, par un simple examen du fond d’œil.

Perturbation du réseau microvasculaire 

Pour étudier l’impact de l’exposition à l’alcool sur le développement vasculaire de la rétine, l’équipe a travaillé chez la souris. Des femelles en gestation ont reçu plusieurs jours de suite une dose d’alcool suffisante pour les plonger en état d’ivresse, puis les rétines de leurs souriceaux ont été étudiées ex vivo à différents moments, entre 0 et 15 jours après leur naissance. En effet, « Contrairement à la rétine humaine, celle des souris se développe après la naissance, de sorte que dans notre modèle ce processus n’est pas concomitant à l’exposition à l’alcool. Mais c’est aussi souvent ce qui se passe chez l’humain : les femmes boivent de l’alcool tant qu’elles ne se savent pas enceintes et arrêtent ensuite, alors que la rétine de l’embryon n’est pas encore formée », explique Carole Brasse-Lagnel.

L’observation des rétines des souriceaux a montré une altération des plus petits vaisseaux. « En cas d’exposition fœtale à l’alcool, le réseau microvasculaire est y moins dense et désorganisé », précise la chercheuse. En outre, l’équipe a constaté un déficit en neurones à calrétinine, des cellules qui participent à la transmission du signal visuel vers le cortex. « Ce déficit pourrait s’expliquer par les anomalies vasculaires car nous montrons que ces neurones migrent le long des vaisseaux. Il pourrait aussi contribuer aux troubles de la vision fréquemment retrouvés chez les enfants exposés in utero à l’alcool », estime Carole Brasse-Lagnel.

L’objectif de l’équipe est maintenant d’évaluer si l’observation des anomalies du réseau microvasculaire in vivo, par fond d’œil à la naissance, permet d’établir une corrélation fonctionnelle avec l’apparition des troubles de l’alcoolisation fœtale. Pour cela l’équipe s’est dotée d’un appareil qui permet d’effectuer cet examen chez les souriceaux et a établi une collaboration avec l’équipe de Serge Picaud, directeur de recherche Inserm à l’Institut de la Vision. « Nous espérons identifier une caractéristique du réseau microvasculaire observable par ce simple examen et associée à l’exposition à l’alcool in utero. Si nous y parvenons et que les résultats sont transférables chez l’Homme, il sera possible d’effectuer un dépistage précoce des enfants à risque de troubles neurodéveloppementaux afin de mettre en place un suivi précoce », espère-t-elle.


Carole Brasse-Lagnel est chercheuse dans l’équipe Epigenetics and Pathophysiology of Neurodevelopmental Disorders, dans l’unité Cancer and Brain Genomics (Unité 1245 Inserm/Université de Rouen-Normandie), à Rouen.

Ces travaux s’inscrivent dans le Groupement d’intérêt scientifique Autisme et troubles du neurodéveloppement dont l’équipe fait partie.


Source : M. Dumanoir et coll. In Utero Alcohol Exposure Impairs Retinal Angiogenesis and the Microvessel-Associated Positioning of Calretinin Interneurons. eNeuro, édition en ligne du 26 avril 2023 ; doi : 10.1523/ENEURO.0295–22.2022

Auteur : A. R.

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