L’abus d’alcool altèrerait le circuit de la récompense dans le cerveau des ado

Une nouvelle étude indique que l’alcoolisme chez les adolescents est associé à une altération des fibres nerveuses dans le tronc cérébral, et à une modification du « système de récompense ». Les jeunes concernés deviennent alors hypersensibles aux « récompenses » : de quoi suspecter un risque accru de maintien dans la dépendance.

Les conséquences du binge drinking, consistant à boire de grandes quantités d’alcool ponctuellement, notamment à l’occasion de soirées festives, ont été étudiées chez les jeunes de 16–18 ans. Mais l’effet d’une consommation élevée et régulière d’alcool chez les jeunes adolescents (autour de l’âge de 14 ans) a été peu explorée, probablement en raison du caractère assez exceptionnel de ce comportement à cet âge. C’est donc à ce travail que se sont attelés André Galinowski, Jean-Luc Martinot et leur collaborateurs de l’unité de recherche Neuroimagerie et psychiatrie* (Gif-sur ‑Yvette).

Dans ce but, les chercheurs ont recruté des jeunes de la cohorte IMAGEN, un projet européen destiné à évaluer l’influence des facteurs biologiques, psychologiques et environnementaux sur le développement du cerveau pendant l’adolescence. Parmi les 1 510 jeunes qui avaient rempli un questionnaire sur leur consommation d’alcool à 14 ans, 32 avaient une consommation problématique (score AUDIT égal ou supérieur à 7). 

10 questions pour faire le point sur son risque d’addiction à l’alcool

Le questionnaire AUDIT (Alcohol Use Disorders Identification Test), développé par l’Organisation mondiale de la santé, permet d’établir un score selon le niveau et les habitudes de consommation. Un score inférieur à 7 indique un risque faible ou anodin (simples consommateurs). Un score compris entre 7 et 10 correspond à une consommation problématique, à risque. Au-delà, la dépendance à l’alcool est probable. 

Le questionnaire a de nouveau été rempli à l’âge de 16 ans : 34 adolescents supplémentaires, abstinents à 14 ans avec un score AUDIT de 0, étaient devenus de gros consommateurs à 16 ans (score >7). Les chercheurs ont également sélectionné 128 adolescents témoins, totalement abstinents à 14 et à 16 ans. Des questionnaires et un entretien avec un psychiatre ont permis d’écarter de l’analyse les jeunes ayant des antécédents familiaux d’alcoolisme, consommant d’autres types de drogue, ou souffrant de troubles psychiatriques de type dépression, schizophrénie... 

Le tronc cérébral, cible de l’alcool

Les chercheurs ont analysé des images du cerveau de l’ensemble des participants, obtenues par IRM aux âges de 14 ans et de 16 ans. Ils ont observé des anomalies chez les consommateurs problématiques âgés de 14 ans, absentes chez les témoins. Elles étaient localisées dans le mésencéphale, le cerveau reptilien, une région cérébrale très conservée au sein des espèces en raison de son implication dans des fonctions vitales essentielles : le tonus général, la respiration, la fonction cardiaque... Des groupes de neurones irradient par ailleurs de cette zone vers d’autres régions du cerveau, contrôlant notamment le système de récompense. Ce système renforce la motivation à des actions ou des comportements qui le « mettent en marche » : quand un individu attend une récompense à l’issue d’une action il sera plus enclin à l’effectuer. Cette récompense peut être matérielle (une somme d’argent), ou biologique avec une libération d’endorphine qui procurera un sentiment de bien-être. 

Plaisir et Addiction – vidéo pédagogique – 4 min – extraite de la série POM Bio à croquer (2013)

Les anomalies observées dans le mésencéphale des jeunes alcooliques correspondent à une altération des fibres nerveuses, notamment au niveau de la myéline, la substance qui recouvre les fibres et favorise les conductions nerveuses. « On peut en déduire que le développement de ces fibres est perturbé chez ces jeunes », clarifie Jean-Luc Martinot. De plus, des tests ont montré que ces adolescents sont hypersensibles à la récompense : ils sont plus efficaces que les adolescents témoins quand une récompense sous forme de sucreries est promise au terme de l’action demandée. « Cela peut faire craindre une hypersensibilité à l’envie des effets hédoniques de l’alcool, entretenant le cercle vicieux de la dépendance pour se sentir mieux », s’inquiète Jean-Luc Martinot. 

Autre observation, les chercheurs ont retrouvé ces mêmes altérations chez les adolescents devenus alcooliques à l’âge de 16 ans. Ils ont en outre, constaté que de légères anomalies étaient déjà présentes dans cette même région lorsqu’ils avaient 14 ans et qu’ils étaient abstinents, suggérant une possible prédisposition. « Nous avions déjà trouvé ces altérations mésencéphaliques chez des adultes sortis de leur dépendance à l’alcool. Ces nouveaux travaux confirment l’effet d’une consommation importante d’alcool sur le mésencéphale des adolescents. Une preuve supplémentaire qu’il faut renforcer la prévention ciblant le tout début de l’adolescence », conclut Jean-Luc Martinot. 

Note :
*unité 1000 Inserm/Université Paris-Sud, équipe Neuroimagerie et psychiatrie, Gif-sur-Yvette 

Source : A Galinowski et coll. Heavy drinking in adolescents is associated with change in brainstem microstructure and reward sensitivity. Addiction Biology, juillet 2019. DOI : 10.1111/adb.12781