Résistance aux antibiotiques

Un phénomène massif et préoccupant

Les antibiotiques ont permis de faire considérablement reculer la mortalité associée aux maladies infectieuses au cours du 20e siècle. Hélas, leur utilisation massive et répétée a conduit à l’apparition de bactéries résistantes à ces médicaments. Qui plus est, les animaux d’élevage ingèrent au moins autant d’antibiotiques que les humains ! Résultat : la résistance bactérienne est devenue un phénomène global et préoccupant. Pour éviter le pire, la communauté internationale se mobilise. Mais la route est longue...

Dossier réalisé en collaboration avec Bruno François, unité Résinfit (unité 1092 Inserm/Université de Limoges) et centre d’investigation clinique de Limoges (CIC 1435 Inserm/CHU Limoges), Évelyne Jouvin-Marche, Institut thématique Inserm Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie (I3M), Jean-Luc Mainardi, équipe Structures bactériennes impliquées dans la modulation de la résistance aux antibiotiques au Centre de recherche des Cordeliers (unité 1138 Inserm/ Université de Paris) à Paris, et Marie-Cécile Ploy, unité Résinfit à Limoges.

Comprendre la résistance aux antibiotiques 

À l’origine, les antibiotiques sont des molécules naturellement synthétisées par des microorganismes pour lutter contre des bactéries concurrentes présentes dans leur environnement. Depuis leur découverte, leur utilisation en médecine humaine et vétérinaire a conduit au développement de plusieurs familles d’antibiotiques, naturels, semi-synthétiques ou de synthèse, qui s’attaquent spécifiquement à une bactérie ou à un groupe de bactéries par différents mécanismes d’action (voir encadré). Certains antibiotiques vont agir sur des entérobactéries comme Escherichia coli, retrouvées dans les voies digestives et urinaires, d’autres sur les pneumocoques ou sur Haemophilus influenzae au niveau des voies respiratoires, d’autres encore sur les staphylocoques ou les streptocoques présents au niveau de la peau ou de la sphère ORL.


Les antibiotiques, spécifiques des bactéries

Les antibiotiques ne sont efficaces que sur les bactéries et n’ont aucun effet sur les virus ou les champignons. Ils s’opposent à la croissance des bactéries en inhibant la synthèse de leur paroi, de leur matériel génétique (ADN ou ARN), de protéines qui leur sont essentielles, ou encore en bloquant certaines voies de leur métabolisme. Pour cela, ils se fixent sur des cibles spécifiques. 

Les modes d'action des antibiotiques
Les modes d’action des antibiotiques © Inserm/F. Koulikoff

De la résistance naturelle à la résistance acquise

Certaines bactéries sont naturellement résistantes à des antibiotiques, par le biais de différents mécanismes :

  • production d’une enzyme qui modifie ou détruit l’antibiotique,
  • modification de la cible de l’antibiotique,
  • imperméabilité de la membrane de la bactérie,
  • efflux de l’antibiotique hors de la bactérie.

La plupart du temps, ces mécanismes de résistances innées sont liés à la présence de gènes particuliers, localisés sur le chromosome de la bactérie, et ne concernent qu’un seul antibiotique ou qu’une seule famille d’antibiotiques. Mais une bactérie peut acquérir un, plusieurs, voire l’ensemble de tous ces mécanismes de résistance et devenir ainsi résistante à un ou plusieurs antibiotiques auxquels elle était sensible auparavant. Ces résistances peuvent être secondaires à l’apparition d’une mutation génétique qui affecte le chromosome de la bactérie, ou, le plus souvent, à l’acquisition de matériel génétique (plasmide, transposon) issu d’une autre bactérie, porteur d’un ou plusieurs gènes de résistance. Les résistances plasmidiques représentent 80 % des résistances acquises et peuvent concerner plusieurs antibiotiques, voire plusieurs familles d’antibiotiques.

L’antibiorésistance – documentaire pédagogique – 13 min 15 – vidéo extraite de la série Grandes Tueuses (2016)

L’antibiorésistance, un phénomène devenu global 

L’efficacité remarquable des antibiotiques contre les infections bactériennes a motivé leur utilisation massive et répétée en santé humaine et animale. Hélas, cet usage immodéré d’antimicrobiens a créé une pression de sélection sur les populations bactériennes et entraîné l’apparition de souches résistantes. En effet, lorsqu’on emploie un antibiotique, seules les bactéries dotées de systèmes de défense contre cette molécule survivent et se reproduisent. Et lorsqu’elles transmettent leurs mécanismes de résistance à d’autres bactéries jusque-là sensibles au médicament (par transfert des gènes associés à ses mécanismes), le phénomène de résistance est amplifié. C’est ainsi que l’utilisation massive des antibiotiques conduit par elle-même, progressivement, à une diminution de l’efficacité de molécules auparavant actives. La mauvaise utilisation des antibiotiques – traitements trop courts, trop longs ou à posologies inadaptées – est également pointée du doigt car elle augmente la pression de sélection.

Pendant longtemps, la majorité des infections résistantes était détectée à l’hôpital. Cependant le phénomène prend de plus en plus d’ampleur en ville. Un traitement antibiotique administré par voie orale, prescrit par exemple dans le cadre d’une infection ORL, peut en effet conduire au développement d’une espèce bactérienne intestinale résistante : l’antibiotique va détruire la flore bactérienne associée et laisser le champ libre à la bactérie résistante. Ces bactéries résistantes sont ensuite se diffuser par voie manuportée, plus ou moins vite selon les conditions sanitaires du pays et les pratiques d’hygiène. Les pratiques de prescription et d’utilisation des antibiotiques étant considérablement variables d’un pays à l’autre, des disparités géographiques existent concernant la fréquence des infections à bactéries résistantes. Mais avec l’explosion du nombre des voyageurs internationaux et le développement du tourisme médical, les bactéries résistantes voyagent aussi : le problème est devenu mondial et préoccupant.

Certaines souches de bactéries pathogènes pour l’humain sont d’ores et déjà multirésistantes, c’est-à-dire résistantes à plusieurs antibiotiques. D’autres sont même devenues toto-résistantes, c’est-à-dire résistantes à quasiment tous les antibiotiques disponibles. Ce phénomène est en augmentation constante et place les médecins dans une impasse thérapeutique : dans une telle situation, ils ne disposent plus d’aucune solution pour lutter contre l’infection.


Homme, animal, environnement : un seul monde

D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de la moitié des antibiotiques produits dans le monde sont destinés aux animaux. Aux États-Unis, à côté d’une utilisation à visée thérapeutique, les éleveurs utilisent aussi systématiquement des antibiotiques à faibles doses comme facteurs de croissance. Or la surconsommation d’antibiotiques induite par cette pratique (interdite en Europe depuis 2006) entraîne l’apparition de résistances. Les bactéries multi-résistantes issues des élevages peuvent ensuite se transmettre à l’humain, directement ou via la chaîne alimentaire. 

Par ailleurs, humains et animaux rejettent une partie des antibiotiques qu’ils absorbent dans l’environnement, via leurs déjections. D’où la présence de bactéries résistantes dans les cours d’eau en aval des villes ou des élevages, voire dans les nappes phréatiques. Hôpital, médecine de ville, pratiques vétérinaires, environnement : à chacun de ces échelons, l’enjeu est donc lié et dépendant des autres. C’est pourquoi l’OMS, suivie par les autres grandes organisations internationales, préconise une vision globale de la lutte contre les antibiorésistances : l’approche One World, One Health (« Un monde, une santé ») dans laquelle la gestion de l’antibiorésistance concerne la santé de tous les écosystèmes, pris dans leur ensemble.

Schéma : Comment les bactéries résistantes se propagent
Comment les bactéries résistantes se propagent © Inserm/F. Koulikoff

L’antibiorésistance : point sur la situation en France

En France, la surveillance continue de l’antibiorésistance dans les établissements de santé (mission Spares) et en ville (mission Primo) permet d’identifier les menaces émergentes ou persistantes, de mettre en place des actions correctrices de ces phénomènes et d’en suivre l’efficacité. Les derniers chiffres disponibles (2022) montrent que la consommation globale d’antibiotiques est en augmentation, notamment celle de molécules à large spectre (qui ciblent plusieurs espèces de bactéries) et des antibiotiques récents efficaces contre les bactéries multirésistantes. La surveillance reste donc de mise afin d’évaluer les répercussions de ces évolutions.

Un des phénomènes les plus inquiétants concerne l’émergence de souches d’entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC). Ces enzymes détruisent les carbapénèmes, les antibiotiques utilisés en dernier recours dans les situations cliniques les plus graves. La diffusion des EPC favorise l’apparition d’infections face auxquelles les médecins se trouvent en situation d’impasse thérapeutique. Au niveau européen, ce phénomène est particulièrement inquiétant en Grèce, à Chypre ou en Italie. En France, la fréquence des infections à EPC progresse chaque année dans les établissements de santé et semblent aussi circuler à bas bruit en ville et en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Les souches de Staphylococcus aureus résistantes à la méticilline (SARM) sont responsables d’infections diverses, pulmonaires et osseuses, ainsi que de septicémies, en particulier dans les services hospitaliers les plus sensibles (par exemple en « soins intensifs »). Toutefois, des mesures spécifiques, notamment d’hygiène, ont permis de réduire leur fréquence puisqu’elles ne représentent plus que 12 % des souches de Staphylococcus aureus détectées contre 33 % en 2001. De la même façon, la fréquence des infections nosocomiales à Acinetobacter baumannii résistante aux béta-lactamines a diminué depuis une dizaine d’années grâce aux mesures mises en place pour contrer leur émergence. Ces bactéries capables de persister dans l’environnement restent sous surveillance étroite car elles se développent préférentiellement chez des malades immunodéprimés et vulnérables. 

Les entérobactéries productrices de bêta-lactamases à spectre étendu (EBLSE) forment un autre groupe de bactéries qui est surveillé de près, en ville comme à l’hôpital Certaines d’entre elles, comme Escherichia coli ou Klebsiella pneumoniae, sont ainsi devenues résistantes aux céphalosporines de 3e génération (C3G), qui constituent les antibiotiques de référence pour traiter les infections qui mettent en jeu ces espèces bactériennes. Toutefois, leur fréquence est stable depuis 2019.

Enfin, la Pseudomonas aeruginosa, responsable de nombreuses infections nosocomiales, présente une résistance aux carbapénèmes dans près de 30 % des cas. Certaines souches devenues toto-résistantes sont notamment retrouvées chez les patients atteints de mucoviscidose ou transplantés pulmonaires. 


Résistance aux antibiotiques : le classement de l’OMS

En mai 2024, l’OMS a actualisé la liste des bactéries résistantes qui représentent une menace à l’échelle mondiale. 

Les entérobactéries et les Acinetobacter baumannii résistantes aux carbapénèmes, les entérobactérales résistantes aux carbapénèmes et aux céphalosporines de 3e génération et les Mycobacterium tuberculosis résistants à la rifampicine représentent une urgence critique du fait de leur résistance élevée. 

Six autres bactéries représentent une urgence élevée à l’échelle internationale : Salmonella Typhi résistante aux fluoroquinolones, Shigella spp. (dysenterie) résistante aux fluoroquinolones, ainsi que Enterococcus faecium résistante à la vancomycine, Neisseria gonorrhoeae résistante aux céphalosporines et/ou aux fluoroquinolones de 3e génération, Pseudomonas aeruginosa résistante aux carbapénèmes, Staphylococcus aureus résistante à la méticilline qui posent toutes les quatre des problèmes d’infections lourdes et d’antibiorésistance. Enfin, les streptocoques de groupe Arésistants aux macrolides, les streptocoques de groupe B résistants à la pénicilline, les Haemophilus influenzae (otites) résistants à l’ampicilline et les Streptococcus pneumoniae résistants aux macrolides, l’urgence est modérée.


La lutte s’organise 

Réduire et mieux cibler la consommation d’antibiotiques

Dans l’objectif de préserver le plus longtemps possible l’efficacité des antibiotiques disponibles, il faut réduire leur consommation afin de limiter la pression de sélection sur les bactéries. Les plans de rationalisation des prescriptions et les campagnes de sensibilisation destinées au grand public ont fait baisser la consommation au début 21e siècle, mais elle est aujourd’hui repartie à la hausse, en particulier en ville. La France reste parmi les premiers utilisateurs mondiaux. 

Dans ce contexte, il est important que les médecins puissent : 

  • distinguer les infections virales des infections bactériennes car les antibiotiques n’agissent pas les virus. Des tests de dépistage rapide existent pour les angines, maladies très fréquentes, la plupart du temps virales et beaucoup trop souvent associées à la prescription d’antibiotiques. Malheureusement, ces tests restent sous-utilisés en France.
  • choisir un antibiotique pertinent :en cas d’infection bactérienne, mieux vaut éviter l’utilisation systématique d’antibiotiques précieux (récents ou à large spectre) lorsque d’autres – plus courants ou à spectre plus étroit – suffisent et sont aussi efficaces. Le médecin doit donc savoir à quelles molécules réagit la bactérie responsable de la maladie de son patient. Pour cela, il existe déjà des tests rapides de détection de la résistance à certains antibiotiques. Autre option envisagée : la réalisation d’antibiogrammes « ciblés » par les laboratoires d’analyses, testant la sensibilité de la bactérie isolée chez le patient à une gamme réduite d’antibiotiques, et non à la plupart des molécules disponibles. Il s’agit là aussi d’inciter le médecin à choisir un antibiotique courant plutôt qu’une des céphalosporines les plus récentes.
  • adapter le traitement aux besoins, en particulier limiter sa durée au strict nécessaire. À l’hôpital, lorsqu’une antibiothérapie probabiliste (prescription réalisée avant que la nature exacte de l’infection ne soit établie) est démarrée, il faut la réévaluer dans les 48–72 heures avec les résultats du laboratoire. Lorsqu’une antibiothérapie de plus de 7 jours est prescrite, cela doit se faire en accord avec un référent en antibiothérapie. Ce dernier a pour mission de diffuser la politique du bon usage des antibiotiques et son application pratique au sein des établissements de soin, en se reposant sur des recommandations élaborées par les différentes instances.

Plus largement, l’information, la formation et la sensibilisation au bon usage des antibiotiques et aux risques d’antibiorésistance sont des piliers importants pour contrôler leur émergence.

Une prise de conscience internationale

En mai 2015, l’OMS, la FAO (Food and Agriculture Organization, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et l’lWOAH (Office international des épizooties, devenu WOAH, l’Organisation mondiale de la santé animale) ont adopté un Plan d’action mondial pour combattre la résistance aux antimicrobiens. Il se décline en cinq axes : 

  • sensibiliser le personnel de santé et le public
  • renforcer la surveillance et la recherche
  • prendre des mesures d’assainissement, d’hygiène et de prévention des infections
  • optimiser l’usage des antimicrobiens en santé humaine et animale
  • soutenir des investissements durables pour la mise au point de nouveaux traitements, diagnostics ou vaccins

Déjà engagée dans la lutte, l’Union européenne a lancé des plans d’action dès 2001. Les réseaux ESAC-net et  EARS-Net permettent ainsi de conduire respectivement la surveillance de la consommation et celle de la résistance aux antibiotiques. L’Europe finance également des programmes de recherche (European partnership on Animal health and welfare et European partnership for One health antimicrobial resistance) ainsi que des programmes pour améliorer les politiques de santé publique et la sensibilisation des populations et des professionnels (EU-JAMRAI). Des mesures spécifiques sont également prises en santé animale pour limiter l’utilisation d’antibiotiques et ne pas utiliser des antibiotiques critiques pour la santé humaine. La France décline les grandes orientations européennes dans le cadre de feuilles de route interministérielles et dans une approche « Une seule santé ». La dernière stratégie interministérielle de lutte contre la résistance aux antimicrobiens, annoncée en novembre 2023 pour une période de 10 ans, inclut des actions d’organisation, de surveillance et de communication, et met l’accent sur l’amélioration de l’usage des antibiotiques ainsi que sur la prévention et le contrôle des infections. Elle comprend également des financements pour la recherche et l’innovation (voir plus loin).

Les enjeux de la recherche

Développer de nouveaux antibiotiques

De nouveaux antibiotiques sont nécessaires pour lutter contre les bactéries multirésistantes. Le marché des antibiotiques étant beaucoup moins rentable que celui de médicaments prescrits au long cours, par exemple les antihypertenseurs, les entreprises pharmaceutiques ont peu investi dans cette recherche. Cependant, de nouvelles molécules ont été commercialisées ces dernières années : la ceftolozane, une céphalosporine associée à un inhibiteur de bêta-lactamases, ou le tazobactam, qui agissent notamment contre les Pseudomonas résistants aux béta-lactamines.

La piste la plus avancée aujourd’hui consiste à utiliser des molécules qui inhibent l’action des enzymes (bêta-lactamases, céphalosporinases, carbapénèmases) produites par certaines bactéries et à l’origine de leur résistance aux antibiotiques. Depuis quelques années, des représentants d’une nouvelle famille d’antibiotiques, les diazabicyclooctanes (DBO), sont disponibles. Le premier d’entre eux est l’avibactam. Associé à la ceftazidime, une céphalosporine de 3e génération, il est efficace contre certaines bactéries gram négatif multirésistantes, car elle inhibe les bêta-lactamases, les céphalosporinases et certaines carbapénèmases. Le relebactam est également utilisé en combinaison avec l’imipéneme et la cilastatine contre les bactéries multi-résistantes. D’autres DBO sont en développement en combinaison avec différentes bêta-lactamines pour optimiser leur efficacité et contourner l’émergence de mutations qui compromettraient leur efficacité. D’autres inhibiteurs sont en développement ou en usage comme les boronates (vaborbactam, taniborbactam) qui, en association à un carbapénème, démontrent également une efficacité intéressante contre des souches productrices de carbapénèmases.

Des recherches sont également menées pour développer un type original d’antibiotique, qualifié de « cheval de Troie » : l’idée de cette nouvelle approche repose sur l’utilisation des systèmes qui permettent le transport des nutriments à l’intérieur des bactéries pour y faire entrer des antibiotiques auxquels les bactéries sont normalement résistantes. Ainsi, le céfidérocol est l’assemblage d’une céphalosporine et d’une molécule dite « sidérophore ». Cette dernière à une forte affinité pour le fer présent dans l’environnement de la bactérie, et dont cette dernière a besoin pour son métabolisme. Une fois dans le cytoplasme, la céphalosporine peut déployer son activité anti-bactérienne.

Développer d’autres stratégies thérapeutiques

Si de nouveaux antibiotiques sont nécessaires pour traiter les situations d’impasse thérapeutique, leur utilisation entraînera inévitablement de nouvelles résistances bactériennes. Pour sortir de ce cercle vicieux, il est crucial de modifier notre approche de la lutte contre les infections bactériennes. Cela implique, d’une part de développer des approches dont les mécanismes d’action minimisent le risque de résistance et, d’autre part, de changer les mentalités concernant l’usage des antibiotiques, aussi bien parmi le grand public que chez les professionnels de santé. La multiplication des stratégies permettrait en outre de combiner plusieurs d’entre elles pour améliorer la lutte contre des pathogènes responsables d’infections sévères.

Les vaccins

La vaccination antibactérienne est une approche efficace pour réduire la circulation de certains pathogènes. Ainsi, le vaccin pneumococcique a largement réduit la fréquence des infections invasives à pneumocoque, comme les pneumonies, les méningites ou les septicémies. Ces vaccins sont plus difficiles à développer que des vaccins antiviraux, mais certains sont prometteurs : actuellement, une approche qui utilise des composés issus de bactéries responsables d’infections urinaires (dont Escherichia coli) fait l’objet d’études cliniques de phase 3. Si ces études sont concluantes, ce vaccin permettra de prévenir les infections urinaires récidivantes, dont la prise en charge actuelle est très génératrice d’antibiorésistance.

Les anticorps monoclonaux

Des anticorps monoclonaux dirigés contre des éléments structurels bactériens spécifiques permettent théoriquement de lutter contre un germe précis, sans risque de conduire au développement de résistance ou de détruire des bactéries bénéfiques pour l’organisme. Leur liaison à l’antigène bactérien qu’ils reconnaissent engendre des processus immunitaires cellulaires (phagocytose) ou humoraux (production d’anticorps spécifiques) permettant d’éliminer le microorganisme ciblé. D’autres anticorps monoclonaux peuvent inhiber la formation du biofilm qui permet aux bactéries de se lier les unes aux autres et de se protéger contre les attaques du système immunitaire. Des anticorps monoclonaux sont également développés afin de cibler les toxines produites par certaines bactéries, neutralisant ainsi leur activité toxique. Deux premiers anticorps monoclonaux antibactériens ont été commercialisés : le raxibacumab et l’obiltoxaximab qui ciblent la toxine de l’anthrax (Bacillus anthracis).

Plusieurs dizaines d’autres sont en développement aujourd’hui, notamment afin de lutter contre les infections à Pseudomonas ou à staphylocoque. Mais jusqu’à présent, aucune biothérapie dédiée à des infections courantes n’a pu aboutir à une commercialisation.

La phagothérapie

La phagothérapie consiste à traiter les infections à l’aide de phages, des virus qui infectent et tuent spécifiquement certaines bactéries. Cette approche permet d’éliminer les bactéries pathogènes ciblées sans affecter les autres, contrairement aux antibiotiques à spectre large. Le développement industriel de cocktails de phages, préparés à l’avance ou « sur-mesure » pour lutter contre une bactérie spécifique, reste néanmoins complexe. En effet, il s’agit d’une approche qui nécessite du temps afin de caractériser la souche pathogène chez le patient, puis d’identifier le ou les phages actifs sur la bactérie et de les produire en quantité. En outre, le devenir des phages dans les tissus environnant le site infectieux n’est pas encore bien connu. Par ailleurs, il est possible que ces phages soient plus performants s’ils sont administrés en association à des antibiotiques. Cette approche est donc pour l’heure réservée à des cas complexes, où les options thérapeutiques sont rares, voire inexistantes.


Protéger le microbiote

Différentes pistes sont développées afin de protéger le microbiote intestinal des patients qui doivent recevoir une antibiothérapie. En effet, l’administration orale d’antibiotiques présente l’inconvénient de tuer certaines bactéries bénéfiques à l’organisme qui résident dans le tube digestif, un mécanisme qui favorise localement la sélection de souches résistantes. Le développement d’antibiotiques qui respectent le microbiote, ou l’administration conjointe d’un antibiotique et de molécules protectrices du microbiote (comme des probiotiques) constituent des pistes qui permettent de contourner cette difficulté. C’est sur cette idée, que la transplantation fécale s’est développée : ce traitement, qui consiste à administrer un microbiote sain à une personne atteinte d’une infection récidivante à Clostridioides difficile, permet aujourd’hui de lutter contre la maladie. Cette piste semble toutefois difficile à exploiter pour d’autres bactéries intestinales résistantes.


L’immunorestauration

Finalement, des études cliniques d’immunorestauration sont aujourd’hui en cours afin d’aider les patients immunodéprimés à prévenir et lutter contre les bactéries pathogènes : elles reposent sur l’administration de médiateurs physiologiques des défenses immunitaires (interleukines immunostimulantes, interféron...) ou de molécules qui stimulent leur immunité (anti-PD1/PDL1…). Cette approche repose sur l’utilisation des médicaments déjà existants, et s’adresse à des patients vulnérables, parmi les plus à risque de développer une infection nosocomiale et une antibiorésistance.

Un programme prioritaire de recherche piloté par l’Inserm

Initié en 2020 dans le cadre du programme d’investissement d’avenir de l’État français (PIA3) et doté de 40 millions d’euros sur 10 ans, un programme prioritaire de recherche piloté par l’Inserm vise à développer de nouvelles stratégies et de nouvelles mesures pour optimiser l’usage des antibiotiques et inverser la courbe de prévalence des résistances.

Les projets de recherche financés dans ce programme s’articulent autour de 4 grandes thématiques : dynamiques et contrôle de l’émergence, de la transmission et de la dissémination des résistances dans toutes les dimensions du One Health, optimisation de l’usage des antibiotiques en médecine humaine et vétérinaire, déterminants individuels, ethnologiques et sociologiques, économiques, politiques et culturels de l’antibiorésistance, et innovation thérapeutique. Ils portent sur des thématiques aussi diversifiées que la dynamique des transmissions bactériennes Homme-animal et leur dissémination dans les écosystèmes, les études de caractérisation des communautés bactériennes (y compris celles du sol) et leur résistance, l’étude de nouvelles cibles bactériennes, d’antibiotiques et de thérapies alternatives aux antibiotiques, ainsi que des études visant au bon usage d’antibiotiques afin d’en réduire leur consommation chez l’humain. S’y ajoutent trois projets « structurants » (plateforme ABRomics et réseaux Promise et Dosa), pour la mise en commun des données, des expertises et des besoins.

Enfin, le programme s’est investi dans l’organisation et la structuration de deux projets de recherche avec des partenaires à Madagascar, au Cambodge, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Le projet RAMSES a pour ambition d’étudier les facteurs socio-économiques et de régulations qui influent l’émergence et la dissémination des résistances dans les 4 pays. Le projet CircUs vise quant à lui à analyser la circulation des entérobactéries multirésistances chez les humains, les animaux et l’environnement dans les zones rurales et périurbaines.

Pour en savoir plus sur le programme prioritaire de recherche Antibiorésistance

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