Salmonellose : une alternative aux antibiotiques produite par des bactéries du microbiote intestinal

Des bactéries naturellement présentes dans notre intestin semblent produire des substances capables d’inhiber la croissance et la virulence de certaines salmonelles. L’identification de ces composés pourrait ouvrir la voie au développement d’une alternative aux antibiotiques.

La salmonellose est une infection généralement d’origine alimentaire, responsable de douleurs abdominales, de diarrhée, de nausées et de vomissements parfois graves. Elle est due à des bactéries de la famille des salmonelles qui parviennent à franchir la barrière intestinale. Parmi elles, Salmonella Heidelberg (S. Heidelberg) a la particularité de présenter de nombreuses résistances aux antibiotiques, de sorte que des alternatives à ces derniers seraient utiles à la prise en charge des patients infectés. Une des pistes envisagées est de recourir à des probiotiques : ces bactéries bénéfiques pour notre santé produisent en effet des métabolites qui pourraient lutter contre certains pathogènes intestinaux. À l’institut Numecan à Rennes, Latifa Bousarghin et son équipe se sont penchées sur les propriétés de Bacteroides fragilis (B. fragilis), une bactérie de la famille des Bacteroidota − les plus abondantes dans l’intestin − qui favorise le maintien de l’équilibre du microbiote. « Dans des études précédentes, nous avions montré que la présence de B. fragilis réduit la capacité de S. Heidelberg à passer la barrière intestinale chez la souris. Nous avons poursuivi ce travail pour comprendre les mécanismes responsables de ces propriétés », précise la chercheuse. En collaboration avec Sophie Tomasi de l’Institut des sciences chimique de Rennes (unité CNRS 6226), elle s’est attelée à l’identification et la caractérisation des composés sécrétés par B. fragilis qui sont à l’origine de l’effet anti-infectieux observé.

D’un mélange de composés aux molécules actives

Ce travail est réalisé à partir de B. fragilis cultivées en laboratoire, ou plus exactement à partir de leur surnageant de culture − le milieu liquide dans lequel les bactéries se multiplient in vitro et où on l’on retrouve les métabolites qu’elles sécrètent dans leur environnement. Compte-tenu de la richesse de ce surnageant, il a d’abord été fractionné pour séparer les composés proches du point de vue physico-chimique. Six fractions différentes ont ainsi été recueillies, puis individuellement mises au contact de S. Heidelberg. Deux d’entre elles ont été capables d’inhiber la croissance de la bactérie pathogène. Administrées à des souris infectées, ces mêmes fractions ont réduit la réaction inflammatoire au niveau intestinal et diminué la capacité du pathogène à passer la barrière intestinale.

Le travail d’identification des composés bioactifs a ensuite été engagé. Deux d’entre eux ont été faciles à reconnaître car ils sont naturellement présents dans les sucs biliaires produits par le foie : l’acide cholique et l’acide désoxycholique. « On sait déjà que, pris isolément, ces deux acides biliaires n’ont pas d’action antibactérienne démontrée in vivo. Ils ont probablement besoin de cofacteurs biologiques pour être actifs contre S. Heidelberg »,explique Latifa Bousarghin. La chercheuse poursuit donc les analyses chimiques pour découvrir la nature des autres molécules potentiellement actives. « Nous testerons ensuite chacun des composés identifiés, individuellement ou mélangés en petit nombre, pour déterminer quels sont ceux qui présentent un intérêt. »

Une piste pour plusieurs développements cliniques

D’autres expérimentations en cours visent à déterminer si ces métabolites sont actifs contre d’autres espèces bactériennes pathogènes pour l’Homme ou l’animal. Enfin, « les analyses menées chez la souris ont montré que ces mêmes fractions de surnageant ont un impact sur les bactéries du microbiote intestinal qui sont connues pour être associées à des maladies comme l’anxiété ou la dépression… ». Ces résultats ouvrent donc la voie à d’autres travaux dans ce domaine.

« Les antibiotiques bloquent directement certaines voies importantes du métabolisme bactérien, mais le stress engendré est tel qu’il favorise le développement de résistances à ces antibiotiques, rappelle la chercheuse. L’approche probiotique est différente.B. fragilis ou ses métabolites ne s’attaquent pas à la bactérie, mais plutôt à la façon dont celle-ci interagit avec les cellules de l’hôte. Cela permet de réguler plus finement sa virulence, et réduit probablement le risque de voir une résistance se développer. » Avec l’aide d’Inserm Transfert, son équipe a déposé un brevet relatif à l’utilisation de B. fragilis pour lutter contre certaines infections bactériennes : une démarche qui permettra d’envisager le développement clinique de cette approche lorsque les données précliniques le justifieront.


Latifa Bousarghin est enseignante à l’université de Rennes et chercheuse dans l’unité Nutrition métabolismes et cancer (Numecan, unité 1317 Inserm/INRAE/Université de Rennes, Rennes, France).


Source : T. Gautier et coll. Bacteroides fragilis derived metabolites, identified by molecular networking, decrease Salmonella virulence in mice model. Front Microbiol du 10 novembre 2022. doi : 10.3389/fmicb.2022.1023315

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