Hémochromatose génétique

Trop de fer, c'est l'enfer

Maladie génétique la plus fréquente d’occident, l’hémochromatose reste pourtant mal connue. En cause : des symptômes peu spécifiques, et surtout très variables d’un malade à l’autre... Cette inégalité, les chercheurs tentent aujourd’hui de mieux la comprendre. Leur objectif : améliorer la prise en charge des patients. En attendant, le diagnostic est encore trop souvent tardif. C’est bien dommage car de simples saignées suffisent à enrayer l’accumulation délétère de fer dans l’organisme, provoquée par la pathologie.

Dossier réalisé en collaboration avec Olivier Loréal, directeur de recherche à l’Inserm, responsable de l’équipe « Fer et foie » dans l’unité mixte de recherches 991 « Foie, métabolismes et cancer », Hôpital Pontchaillou de Rennes.

Comprendre l’hémochromatose

Maladie génétique caractérisée par une hyperabsorption intestinale de fer, l’hémochromatose entraîne des dépôts de fer dans l’organisme qui détruisent peu à peu les organes. On estime qu’une personne sur 300 est porteuse de la principale anomalie génétique prédisposant à l’apparition de cette pathologie, les hommes étant trois fois plus touchés que les femmes. C’est aujourd’hui la maladie génétique pour laquelle le nombre de sujets prédisposés est le plus important en occident. De l’ordre de 200 000 personnes seraient porteuses de cette prédisposition génétique en France, 2 200 000 en Europe et 2 millions aux États-Unis. 

Quand la mécanique s’emballe

Structure of the HFE protein © Emw - Own work
Structure of the HFE protein © Emw – Own work

Chaque jour, nous ingurgitons environ 20 mg de fer. Mais seuls 1 à 2 mg sont absorbés au niveau de notre intestin, le reste est directement éliminé dans les selles. Cette absorption intestinale limitée est strictement contrôlée par une protéine synthétisée par le foie, l’hepcidine. Une fois franchie la barrière intestinale, le fer absorbé se retrouve dans le sang. Là, il est véhiculé par une autre protéine, la transferrine. 

Chez les malades souffrant de la forme la plus fréquente de la maladie – l’hémochromatose héréditaire HFE de type 1 – cette belle mécanique se dérègle. En cause, des mutations sur le gène HFE indispensable à l’expression correcte de l’hepcidine. Résultat : privé de cette protéine garde-fou secrétée dans le sang par le foie, l’intestin ouvre les vannes au fer : ce dernier s’engouffre en grandes quantités dans le sang (5 à 8 mg par jour), surchargeant la transferrine jusqu’à 80% voire 100% de sa capacité (contre 30% en temps normal). 

Foie, rate, pancréas, cœur, os, muscles, peau... Jour après jour, les organes sont alors progressivement surchargés en fer sous la forme de dépôts de ferritine, ce qui les détruit peu à peu. Le stock global de fer dans l’organisme franchit allègrement le cap des 3–4 grammes réglementaires... jusqu’à des niveaux pouvant friser les 20 à 30 g dans les formes sévères ! 


Mais au fait, le fer... à quoi ça sert ?

Grâce à Popeye (et même si les épinards ne sont finalement pas si riches en fer que ça), nous le savons tous : le fer est important pour notre organisme ! Mais concrètement à quoi nous sert-il ? Son rôle principal se joue dans la moelle osseuse à qui il est délivré par la molécule de transport sanguine, la transferrine. Là, il est utilisé comme principal ingrédient pour fabriquer l’hémoglobine, cette précieuse molécule qui permet à nos globules rouges de transporter l’oxygène à tous les organes. En fin de vie, les globules rouges sont détruits dans la rate : leur fer est alors récupéré pour maintenir constant notre stock de 3 à 4 grammes de fer. Le fer est aussi impliqué dans une foule de fonctions physiologiques : respiration cellulaire, métabolisme des lipides, synthèse de protéines, de neurotransmetteurs... et même d’ADN. 


Trop de fer, c’est l’enfer 

La maladie évolue d’abord lentement. Le fer peut s’accumuler progressivement et en silence dans l’organisme... jusqu’à constituer une véritable surcharge. A ce stade, généralement entre 20 et 40 ans, la situation est susceptible de se compliquer si la pathologie n’a pas encore été détectée et traitée. 

Les premières manifestations de la maladie apparaissent le plus souvent autour de 40 ans chez l’homme et 50 ans chez la femme. Les patients peuvent alors souffrir de fatigue chronique et de douleurs articulaires dans les hanches, mais aussi dans les doigts et les poignets : c’est la poignée de main douloureuse. D’autres signes sont visibles à l’œil nu : la peau s” assombrit, les cheveux se raréfient.... 

Si rien n’est fait, des complications, autrement plus invalidantes, peuvent survenir chez certains patients. Les atteintes causées au foie peuvent évoluer vers une cirrhose, bien connue pour augmenter le risque de cancer de cet organe. Côté cœur, il y a un risque d’insuffisance cardiaque. Les bouleversements peuvent aussi être hormonaux, par exemple lorsque le pancréas ne parvient plus à produire l’insuline, conduisant au diabète. L’atteinte des testicules peut engendrer une impuissance, celle des ovaires une ménopause précoce, etc.

Du diagnostic au dépistage

Fatigue, pigmentation de la peau, arthrite atypique, gros foie, diabète.... En cas de signes évocateurs de la maladie, le médecin va d’abord prescrire une prise de sang pour contrôler deux paramètres cruciaux. Tout d’abord, on mesure le taux de saturation de la transferrine, généralement supérieur à 50% chez les patients. La prise de sang permet aussi de doser la concentration en ferritine : chez la femme hémochromatique, elle franchit le cap des 200 microgrammes par litre, celui des 300 chez l’homme. A ces tests sanguins, vient si besoin s’ajouter une IRM, pour détecter la présence éventuelle de dépôts de fer dans le foie. Cet organe est en effet en première ligne : tout le sang issu de l’intestin passe d’abord par lui. 

Pour affirmer la cause génétique d’une surcharge en fer ainsi mise en évidence, le médecin fait pratiquer un test génétique capable de déceler l’anomalie du gène HFE responsable d’environ 90% des cas d’hémochromatose héréditaire : la mutation C282Y. Cette mutation est présente en deux copies chez les porteurs de la maladie, une héritée du père, l’autre de la mère (ce qu’on appelle des « noces de fer »). 

L’idéal est bien sûr d’effectuer cette batterie de tests diagnostics avant les manifestations sévères de la maladie qui surviennent vers 40–50 ans. Malheureusement, on estime que 85% des diagnostics sont encore trop tardifs. En cause : des symptômes communs avec de nombreuses autres pathologies, et très variables d’un malade à l’autre. 

Frères, sœurs, père et mère : les membres de la famille d’un hémochromatique peuvent bénéficier de ce protocole diagnostic... sans avoir à attendre les éventuels premiers symptômes. C’est ce qu’on appelle le dépistage familial, proposé dès l’âge de 18 ans dans les centres de génétique médicale. Une démarche vivement recommandée ! Si le test génétique révèle la présence d’une seule mutation, le sujet est « porteur sain » : il n’est pas prédisposé à la maladie, mais peut (contribuer à) la transmettre à sa descendance. Quant à la possibilité de dépister la mutation C282Y chez tout le monde (dépistage massif), la Haute autorité de santé juge pour le moment cette option trop coûteuse et trop difficile à mettre en œuvre. 


D’autres formes plus rares

Liée à une mutation C282Y sur les deux copies du gène HFE, l’hémochromatose héréditaire de type 1 est la forme la plus fréquente de la maladie. Mais il y en a de plus rares. Par exemple, il existe aussi des formes juvéniles de la maladie (types 2A et 2B) liées à d’autres mutations, sur des gènes impliqués dans le métabolisme du fer. Comme leur nom l’indique, elles touchent les jeunes avec de graves complications possibles dès 16–18 ans telle l’insuffisance cardiaque. Enfin, on recense aussi un type 3 et un type 4, moins sévères. Le premier est du à une mutation d’un gène codant un récepteur de la transferrine sur les cellules du foie. Quant au type 4, il se caractérise par la mutation du gène de la ferroportine, la protéine que les cellules utilisent pour fournir le fer au plasma. 


Des saignées efficaces

Il n’existe pas encore de médicament permettant de guérir de l’hémochromatose. Le traitement de référence actuel consiste à pratiquer des saignées (ou phlébotomie) pour réduire le taux de fer dans le sang, et ainsi les dépôts de ferritine dans les organes. En retirant de la circulation des globules rouges à l’hémoglobine très riche en fer, l’organisme est en effet obligé de puiser dans sa réserve de fer pour en fabriquer de nouveau. 

Au départ, une saignée par semaine est généralement nécessaire, durant laquelle on prélève près de 300 à 400 ml de sang selon le poids et le sexe. C’est le « traitement d’attaque ». Schématiquement, en retirant 400 ml de sang, on récupère 200 mg de fer. Dès que le taux sanguin de ferritine passe sous la barre des 50 microgrammes par litre, les saignées ne sont plus pratiquées que tous les 2, 3 ou 4 mois... mais à vie. Objectif : rester sous ce seuil de 50 microgrammes par litre ; c’est le « traitement d’entretien ». 

Instaurées tôt, ces saignées améliorent rapidement la fatigue et permettent d’éviter les complications graves : atteinte du foie et du cœur, diabète... Si une cirrhose s’était déjà installée, elles ne réduisent pas le risque de développer un cancer du foie, mais évitent l’apparition d’autres complications. 

Dans de très rares cas, les saignées ne sont pas réalisables (ex : mauvais réseau veineux) ou contre-indiquées (anémie, problèmes cardiovasculaires...). On peut alors administrer des médicaments capables d’éliminer le fer (chélateurs du fer). La pratique reste exceptionnelle car ces médicaments peuvent provoquer quelques effets secondaires, au contraire des saignées. 

Les enjeux de la recherche

Les chercheurs tentent aujourd’hui d’éclaircir plusieurs zones d’ombre qui persistent autour de cette maladie. Première grande question : pourquoi une telle inégalité entre les porteurs de la double mutation génétique C282Y ? En effet, certains développent de nombreux symptômes et d’autres peu, voire aucun ! Par exemple, on estime que seuls 50 % des hommes porteurs présentent des anomalies biochimiques (saturation de la transferrine, hausse du taux de ferritine). L’inégalité homme/femme aussi est intrigante, avec des manifestations moins fréquentes chez ces dernières que chez les hommes, et plus tardives : autour de 50 ans, contre 40 ans pour leurs homologues masculins. A l’Inserm, diverses études sont menées pour élucider les facteurs génétiques et environnementaux susceptibles d’expliquer ces différences. Alcool, pertes de fer via les règles, consommation de fer par le fœtus durant la grossesse, mutations dans d’autres gènes régulant l’activité de l’hepcidine et le métabolisme du fer, rôle de la testostérone, implication d’autres métaux, gènes impliqués dans le métabolisme des sucres et des graisses... de nombreuses pistes sont explorées ! 

Les chercheurs tentent en outre d’éclaircir d’autres mystères qui continuent de planer sur la maladie : pourquoi les saignées ne soulagent pas les douleurs ostéo-articulaires, pourquoi la maladie peut provoquer de l’ostéoporose, etc. Là aussi, des équipes Inserm enquêtent pour en savoir plus sur les mécanismes en jeu. 

Côté traitement, on l’a vu, les saignées sont simples, sûres, peu coûteuses... et surtout efficaces : initiées assez tôt, elles permettent aux patients de vivre aussi longtemps que les sujets sains. Toutefois, elles restent contraignantes pour le malade, parfois désagréables et irréalisables dans certains cas. Voilà pourquoi les scientifiques explorent aussi des pistes thérapeutiques complémentaires ou alternatives dont pourraient bénéficier tous les patients. Parmi elles : un traitement à base d’hepcidine, ou de molécules capables d’en augmenter la production... 

Pour aller plus loin

Associations de patients