Hémochromatose : contrôler la ferritine ne suffirait pas

Chez les patients atteints d’hémochromatose, le niveau de saturation de la transferrine, molécule de transport du fer dans l’organisme, pourrait être aussi important à prendre en compte que le taux de ferritine. C’est ce que suggèrent des travaux préliminaires, qui devront toutefois être confirmés par une étude clinique. 

Voilà une découverte qui pourrait bien modifier la prise en charge de l’hémochromatose dans les années à venir. Une équipe Inserm vient* de montrer que le taux de ferritine, la protéine qui stocke le fer dans les cellules, n’est pas le seul indicateur de la surcharge en fer chez les patients atteints d’hémochromatose.

L’hémochromatose est une maladie génétique caractérisée par une hyper absorption intestinale du fer. En cause : une mutation du gène codant HFE qui intervient dans la régulation de l’hepcidine, une protéine synthétisée par le foie qui contrôle cette absorption. Cette anomalie ouvre grand la porte au passage du fer à travers la barrière intestinale. Il passe alors dans le sang où il est capté et transporté par la transferrine jusque dans les cellules où il est stocké par la ferritine. Mais cet excès provoque une saturation des molécules de transferrine, débordées par la demande, ainsi qu’une élévation de la concentration de ferritine, révélatrice d’un stock trop important en fer. L’excès de fer dans l’organisme entraine des symptômes généraux de type fatigue et perte de la libido, mais également des symptômes plus spécifiques comme des douleurs articulaires. 

Actuellement le traitement de la cette maladie repose sur des saignées réalisées tous les trois à six mois. Elles permettent de réduire la concentration de fer dans le sang et de réduire les stocks. Leur rythme se fonde sur la concentration de ferritine, l’objectif étant d’atteindre un taux inférieur à 50 μg/l. Mais chez une fraction de patients, les symptômes persistent voire s’aggravent malgré le bon contrôle de ce facteur. Une observation qui a poussé les chercheurs à s’intéresser à un autre acteur du métabolisme du fer : la transferrine. 

« Chaque molécule de transferrine peut porter deux atomes de fer. Chez des sujets sains, elle est saturée à hauteur de 40 à 45% environ. Mais chez les malades, ce taux peut atteindre 80, 90 voire 100% de sorte que le fer s’accumule dans le sang et génère des formes de fer libres, toxiques pour les cellules. Nous avons voulu voir si cette saturation de la transferrine pouvait être un autre indicateur de l’état de santé des malades, indépendamment du taux de ferritine. Il est tout à fait possible que les stocks de fer ne soient pas démesurés, mais que le trafic du fer dans l’organisme soit quant à lui très important et associé à des symptômes », explique Edouard Bardou-Jacquet, responsable des travaux. 

Saturation de la transferrine et taux de ferritine faiblement associées

Pour le vérifier, les auteurs ont effectué une analyse auprès de 266 patients recrutés dans un centre à Rennes, suivis pendant treize ans et demi en moyenne. Ils ont récupéré toutes les données biologiques les concernant grâce à des prises de sang effectuées environ tous les six mois. En parallèle, ils ont demandé aux patients de remplir un questionnaire d’évaluation de leurs symptômes : capacité sportive, aptitude au travail, libido, présence et nature de douleurs articulaires... 

En comparant les taux de ferritine et de saturation de la transferrine, ils ont constaté que ceux-ci n’étaient que faiblement corrélés. Des niveaux de saturation élevés ont été retrouvés dans 26% des échantillons dont les taux de ferritine étaient inférieurs à 50 μg/l. Mais surtout, le niveau de saturation de la transferrine est bien corrélé à une aggravation des symptômes. Ceux-ci apparaissent après six ans d’exposition à des niveaux élevés, indépendamment du niveau de ferritine. Et plus le niveau de saturation est important, plus ce temps se réduit : il peut tomber à 8 mois pour une saturation de plus de 75%. 

« La saturation de la transferrine semble être un indicateur supplémentaire à prendre en compte pour le traitement des patients. Chez les sujets concernés, il faudrait probablement augmenter le rythme des saignées. C’est ce que nous allons maintenant vérifier dans le cadre d’une étude clinique. Nous allons déposer une demande de Programme hospitalier de recherche clinique et espérons débuter l’essai en 2018. Cela permettra de vérifier si, en abaissant le niveau de saturation de la transferrine à moins de 50%, en plus d’une ferritine inférieure à 50 μg/l, nous parvenons à contrôler les symptômes chez tous les patients. Alors seulement, nous saurons s’il est pertinent de modifier les recommandations actuelles de prise en charge pour intégrer la prise en compte de ce nouveau facteur », conclut Edouard Bardou-Jacquet. 

Note :

*unité 1241 Inserm/Université de Rennes, NuMeCan, Rennes 

Source :

E. Bardou-Jacquet et coll. Worse Outcomes of Patients With HFE Hemochromatosis With Persistent
Increases in Transferrin Saturation During Maintenance Therapy. Clin Gastroenterol Hepatol, édition en ligne du 19 janvier 2017