Tabagisme : une étude décrypte les bouleversements biologiques associés

Si l’on connaît les conséquences cliniques du tabagisme chronique − vieillissement prématuré, maladies cardiovasculaires, cancer −, les voies biologiques impliquées ne sont pas totalement décrites. Une équipe vient de mettre en évidence plusieurs biomarqueurs spécifiquement altérés chez les fumeurs, qui pourraient aider à prévenir les risques associés à la consommation de tabac.

Le tabagisme favorise le vieillissement prématuré des tissus et augmente le risque de développer un cancer. Il dégrade aussi la santé cardiovasculaire en favorisant l’augmentation de la rigidité vasculaire et l’épaississement de la paroi de vaisseaux sanguins clés comme l’artère carotide. Si les conséquences de la consommation de tabac sont bien connues, les mécanismes biologiques à l’œuvre ne sont pas encore bien décrits. Aussi, une équipe lorraine est partie à la recherche de biomarqueurs présents dans le sang qui pourraient faire le lien entre le tabagisme et ses répercussions cliniques.

Pour cela, Tripti Rastogi* et ses collègues ont utilisé les données issues de la cohorte Stanislas (pour Suivi temporaire annuel non invasif de la santé des Lorrains assurés sociaux) : mise en place en 1993, celle-ci comprend 1 006 familles nancéiennes composées de 2 parents et d’au moins 2 enfants biologiques, qui ne présentaient pas de maladie chronique au moment de leur recrutement. « L’objectif est d’étudier l’évolution de la santé de ces personnes sur le long terme », explique la chercheuse. Dans ce but, les participants ont régulièrement bénéficié de visites médicales. Ils ont en outre passé différents types d’examens : analyses sanguines et urinaires, électrocardiogramme, échocardiographie… « Pour ce travail, nous avons recherché les liens entre le statut tabagique des participants et les données issues de leurs examens biologiques et cardiovasculaires réalisés au centre d’investigation clinique plurithématique de Nancy entre 2011 et 2015. Des dosages de leurs protéines sanguines ont pu être réalisés dans le cadre du programme de recherche hospitalo-universitaire Fighting Heart Failure », poursuit Tripti Rastogi.

Les participants ont tout d’abord été classés selon leur statut vis-à-vis du tabagisme : fumeur, non-fumeur ou ancien fumeur. Les chercheurs ont alors constaté que l’âge moyen des personnes du premier groupe (36 ans) était bien plus bas que celui des deux autres groupes (respectivement 55 et 58 ans). Malgré cette différence, les examens menés chez les fumeurs ont mis en exergue des altérations habituellement liées au vieillissement : « Les fumeurs montraient par exemple un épaississement de l’artère carotide et une rigidité accrue des artères, deux facteurs qui favorisent généralement l’hypertension artérielle et/ou la formation de plaques d’athérome lors du vieillissement », précise la chercheuse.

Vingt biomarqueurs associés au tabagisme

Sur le plan biologique, Tripti Rastogi a identifié vingt protéines sanguines associées au vieillissement prématuré, dont la concentration sanguine chez les fumeurs actifs est différente de celle observée chez les non-fumeurs. Certaines sont impliquées dans des processus pro-inflammatoires (TNFSF13B, CCL11), d’autres sont connues pour être augmentées lorsque les fonctions vasculaires sont altérées (EDIL‑3), ou ont été associées à des processus qui favorisent la mort cellulaire ou bien au développement d’un cancer (KIT, EDIL‑3). Par ailleurs, les concentrations de protéines importantes pour la régulation de l’inflammation (IL-12) ou le métabolisme des lipides (PLTP) étaient diminuées chez les fumeurs. Ces différences persistent même lorsqu’on prend en compte tous les paramètres propres aux participants (sexe, âge, indice de masse corporelle, pression artérielle, comorbidités et utilisation de médicaments antihypertenseurs ou hypolipémiants), suggérant que ces modifications seraient bien liées au tabagisme.

« Nous avons aussi observé des différences entre les fumeurs et les anciens fumeurs, ainsi qu’entre les anciens fumeurs et ceux qui n’avaient jamais fumé », ajoute Tripti Rastogi. À caractéristiques sociodémographiques égales, les anciens fumeurs présentaient par exemple plus souvent une hypertension artérielle ou une dyslipidémie que ceux qui n’avaient jamais fumé. Ils présentaient aussi 11 protéines dont la concentration sanguine était modifiée par rapport aux non-fumeurs, dont 6 communes avec les fumeurs actifs. « Cela suggère que, en dépit de l’ancienneté de l’arrêt de la consommation (14 ans en moyenne), certaines modifications biologiques induites par le tabac persistent. »

Ce travail a ainsi permis de décrire plusieurs biomarqueurs qui pourraient être décisifs pour le pronostic clinique des fumeurs. « Nous voulons maintenant conduire une analyse rétrospective pour évaluer la trajectoire de ces biomarqueurs au cours du temps, via les bilans de santé réalisés depuis la constitution de la cohorte. Cela nous permettrait de suivre les dynamiques de chacun d’entre eux, depuis le début du tabagisme pour certains des participants. » Ces éléments pourraient être utiles pour développer une approche préventive de l’inflammation et/ou du vieillissement prématuré associés à la consommation de tabac. « Les traitements anti-inflammatoires ou antioxydants qui ont été testés jusqu’à présent n’ont pas montré de véritable efficacité dans la prise en charge du risque cardiovasculaire. Mais ce travail a permis d’identifier un nombre restreint de marqueurs protéiques qui pourraient constituer de nouvelles cibles thérapeutiques. » Une perspective encourageante, même si la meilleure des approches consiste à réduire l’attrait du tabac et à aider ceux qui fument à arrêter le plus tôt possible.

Note :
* Centre d’investigation clinique plurithématique Pierre Drouin, CIC1433 Inserm/Université de Lorraine/CHRU de Nancy et FCRIN INI-CRCT (Cardiovascular and Renal Clinical Trialists) 

Source : T. Rastogi et coll. Impact of smoking on cardiovascular risk and premature ageing : Findings from the STANISLAS cohort. Atherosclerosis, édition en ligne du 23 février 2022. DOI : 10.1016/j.atherosclerosis.2022.02.017

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