Biomatériaux

L’ingénierie tissulaire au secours du corps humain

Vaisseaux artificiels, valves cardiaques, stents, implants dentaires, prothèses de la hanche, os ou cartilage synthétique, cœur artificiel, broches, drains, matériaux de suture, pompes portables ou encore greffes de cellules ou de tissus… Tous ces éléments qui permettent de réparer ou de régénérer le corps humain ont en commun le fait d’être des biomatériaux. Synthétiques, vivants ou hybrides, en quelques décennies ils ont gagné tous les domaines thérapeutiques. Et aujourd’hui, la révolution de l’impression 3D appliquée à la médecine annonce des progrès majeurs dans ce domaine, avec en particulier une baisse drastique des coûts de fabrication.

Dossier réalisé en collaboration avec Joëlle Amédée Vilamitjana et Jean-Christophe Fricain, respectivement directeur de recherche et directeur de l’unité Inserm 1026, Bioingénierie Tissulaire – BioTis, à Bordeaux.

Comprendre les biomatériaux

Un biomatériau, qu’est-ce que c’est ?

Les biomatériaux sont des matériaux, synthétiques ou vivants, utilisables à des fins médicales pour remplacer une partie ou une fonction d’un organe ou d’un tissu. Ils doivent respecter plusieurs obligations : 

  • être bien tolérés par le receveur, c’est à dire ne pas provoquer d’infection, d’inflammation, d’allergie, voire de réaction de rejet s’il s’agit de matériel vivant
  • ne pas contenir de substance toxique, comme des perturbateurs endocriniens ou des agents cancérigènes
  • répondre à des contraintes mécaniques pour s’adapter aux pressions exercées par l’environnement (la pression sanguine pour les prothèses vasculaires, des millions d’ouvertures et fermetures pour une valve cardiaque, le poids du corps pour des prothèses de hanche ou de genou...)

Enfin, ces matériaux doivent pouvoir être mis en forme, être implantables ou injectables, dégradables ou non suivant le cas, éventuellement poreux s’ils doivent être colonisés une fois implantés…. 


Biomatériaux et bioingénierie tissulaire

Les biomatériaux sont aujourd’hui utilisés dans de nombreux domaines thérapeutiques : cardiovasculaire, chirurgie et orthopédie, dentaire, ophtalmologie, dermatologie, urologie, néphrologie, neurologie, endocrinologie... Lorsqu’ils sont utilisés pour régénérer ou améliorer la fonction d’un tissu, on parle de bioingénierie tissulaire.

La bioingénierie tissulaire n’implique pas obligatoirement un biomatériau. Néanmoins, elle y a souvent recours sous la forme d’un échafaudage de polymère poreux, d’une matrice d’hydrogel ou encore une matrice extracellulaire naturelle produite in vitro par des cellules. Les biomatériaux fournissent en effet une structure qui facilite l’organisation des cellules et leurs interactions, en faveur de la création ou de la régénération du tissu. 


Les biomatériaux inertes

Les biomatériaux inertes sont entièrement synthétiques et interagissent peu avec l’environnement du site d’implantation.
Il existe trois types de matériaux de ce type : 

  • des métaux (acier inoxydable, titane...), utilisés dans la fabrication des prothèses de hanche par exemple, ou celle des broches
  • des céramiques qui sont des matériaux inorganiques, tels que l’alumine, zircone, hydroxyapatite, phosphate tricalcique, la silice...
  • des polymères, tels que des plastiques, colles, résines ou encore des hydrogels servant par exemple à la conception de lentilles de contact

Les chercheurs développent également des biomatériaux à partir de matériaux d’origine naturelle : du corail ou d’autres constituants extraits d’organismes végétaux ou animaux comme la chitine, l’alginate, l’héparine, le fucoïdane, la cellulose, le collagène ou la fibrine. 

Il existe aussi des biomatériaux combinant plusieurs matières : on parle de biomatériaux composites. C’est par exemple le cas de prothèses osseuses métalliques sur lesquelles est fixé un revêtement d’hydroxyapatite (principale composante minérale de l’os) pour améliorer l’intégration de l’implant dans le site osseux abimé. Un autre exemple est celui d’une colle, récemment développée à partir de solutions aqueuses de nanoparticules de silice et d’oxydes de fer. Testée chez le rat, elle permet de fermer et cicatriser des blessures profondes en quelques secondes, y compris au niveau d’organes comme le foie. 

Les biomatériaux bioactifs

Les biomatériaux bioactifs qui sont équipés de molécules actives : facteurs de croissance, peptides et analogues… L’idée est d’utiliser ses molécules actives pour contrôler le devenir des cellules de l’organisme amenées à interagir ou à coloniser le biomatériau, ou bien de libérer ces substances dans un but thérapeutique (cas d’une pompe implantable libérant de l’insuline chez un patient diabétique). 

Une équipe Inserm travaille par exemple sur un biomatériau bioactif pour réparer du cartilage. Il comprend une membrane nanofibreuse à base de collagène et de polycaprolactone ressemblant à la matrice extracellulaire qui entoure le cartilage et contient des nanoréservoirs qui renferment des facteurs de croissance de l’os.

Des molécules actives peuvent aussi être utilisées pour améliorer la vascularisation d’un biomatériau insuffisamment poreux pour qu’il soit colonisé par les cellules de l’hôte.

Les biomatériaux vivants

Des tissus ou des organes vivants, manipulés afin de changer leurs propriétés, sont considérés comme des biomatériaux. C’est par exemple le cas d’une valve aortique porcine traitée pour devenir stérile et dénuée de cellules vivantes, ou encore celui de tissus vivants obtenus à partir de cellules en culture, comme des fragments de peau issus de cellules du patient ou de cellules souches. 

La production de biomatériaux vivants a démarré dans les années 70, aux Etats-Unis, avec le développement la bioingénierie cutanée. La fabrication de tissus cutanés (à partir de cellules du patient à traiter) est utilisée dans la prise en charge des grands brûlés depuis les années 1980. La qualité des tissus produits s’est améliorée dans les années 90, grâce à l’utilisation de polymères synthétiques servant d’échafaudages pour les cellules. Devenue omniprésente, cette stratégie permet la conception de matériaux 3D implantables pouvant être colonisés par des cellules. 

Sur ce principe, les chercheurs tentent aujourd’hui de produire divers types de tissus. Certains travaillent par exemple sur la régénération du cartilage à partir de cellules souches mésenchymateuses. D’autres sont parvenus à transformer des cellules souches adipeuses en cellules qui pourraient être capables de remplacer des disques intervertébraux abimés.

Les biomatériaux hybrides

Les biomatériaux hybrides correspondent à l’association de matériel synthétique et de matériel vivant. Ils contiennent des cellules dont les fonctions sont variables : elles peuvent être destinées 

  • à produire des facteurs nécessaires à la réparation du tissu
  • à produire une matrice extracellulaire servant d’échafaudage pour d’autres cellules
  • à se différencier en cellules spécifiques et fonctionnelles du tissu à réparer

Ces biomatériaux sont très prometteurs, mais chaque indication nécessite d’identifier et de tester des cellules particulières, répondant à des besoins spécifiques (cellules différenciées, cellules souches adultes ou embryonnaires...). Ce type de biomatériaux est par exemple testé dans le cadre d’un projet européen coordonné par l’Inserm et l’Université de Nantes, visant à favoriser la réparation des tissus osseux dans le cas des traitements de fractures non consolidées (projet REBORNE).

Un essai clinique pour traiter les fractures non consolidées – animation pédagogique – 2 min 11 

Les chercheurs tentent en outre d’évaluer précisément le devenir de ces cellules après leur implantation, ainsi que leur contribution exacte dans la reconstruction du tissu par rapport aux cellules du tissu hôte. Ils utilisent pour cela des techniques d’imagerie (microscopie, IRM...). L’analyse histologique du tissu nouvellement formé permet en outre d’identifier la présence des cellules implantées dans le biomatériau, grâce à des marquages spécifiques. 

Les enjeux de l’impression 3D et de la bio-impression

Depuis un peu plus de vingt ans, on assiste à l’avènement de la fabrication additive – ou impression 3D – de biomatériaux. On procède pour cela par empilement de couches successives sur un support, comme avec de l’encre sur une feuille. 

L’impression 3D permet de produire des pièces en série à moindre coût, mais aussi de fabriquer des pièces sur mesure, conformes à l’anatomie du patient grâce à des fichiers 3D obtenus par imagerie médicale. En 2011, une mâchoire en titane imprimée en 3D, était implantée pour la première fois. Deux ans plus tard, une femme de 22 ans recevait une prothèse de crâne imprimée en 3D aux Pays-Bas. En France, l’impression 3D est aujourd’hui sollicitée par de nombreux hôpitaux pour fabriquer des prothèses de genou ou de hanche sur mesure. Elle est aussi utilisée pour préparer des interventions complexes (notamment en chirurgie maxillo-faciale), en réalisant une réplique 3D des tissus à opérer. 

Depuis 2005, les chercheurs travaillent sur la bio-impression, c’est à dire l’impression 3D de tissu avec une encre faite de cellules et non plus de matériaux synthétiques. Des impressions de fragments de peau et de cornée sont déjà possibles et des chercheurs américains ont fabriqué une oreille humaine grâce à des cellules imprimées sur un échafaudage biodégradable. 

Bioprinting – reportage et interview – 4 min 38 – films extrait de la série Des idées plein la tech’ (2011)

Mais les chercheurs doivent apprendre à gérer une 4e dimension avant de tenter des implantations chez l’homme : la dimension temporelle, au cours de laquelle les cellules imprimées vont s’organiser, migrer et se différencier de manière autonome pour former des tissus fonctionnels. D’ici cinq ans, des premières expérimentations pourraient avoir lieu chez l’homme avec des tissus simples de type peau. Et d’ici une quinzaine d’années, la bio-impression pourrait bien permettre d’obtenir des organes entiers comme un poumon ou encore un foie. 

Pour en savoir plus sur la bio-impression

Des organes imprimés en 3D... vraiment ? – interview – 2 min 37 – extrait de la série Canal Détox (2017)

Pour aller plus loin