Biomatériau : reconstruire la peau

Pour accélérer la cicatrisation des plaies chroniques ou aiguës qui peinent à guérir naturellement, des scientifiques de l’Inserm et du CHU de Besançon développent un biomatériau qui reproduit l’architecture et les propriétés physiques de la peau humaine. Greffé sur le patient, il boostera la régénération tissulaire.

Un reportage à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°58

Dans un laboratoire, une jeune femme réalise une observation à l’aide d’un microscope imposant. Sur une table à côté d’elle, un écran d’ordinateur présente une image qui correspond à la reconstitution en trois dimensions d’un tissu biologique.
Marion Tissot observe des cellules de peau humaine cultivées en présence du biomatériau développé sur le campus santé de Besançon l’aide d’un microscope confocal © Inserm/François Guénet

Nous sommes au cœur du campus santé de Besançon. Déjà les premières feuilles d’automne recouvrent le sol foulé par les étudiants en effervescence. Dans son laboratoire, le chercheur Gwenaël Rolin nous accueille avec enthousiasme. Aujourd’hui, nous allons tester ensemble le projet TissYou qu’il développe depuis maintenant dix ans : un biomatériau capable de régénérer la peau. Une sorte de pansement intradermique qui accélère la cicatrisation des plaies chroniques ou aiguës. Comment ? « Le biomatériau sera greffé sur la plaie du patient pour que ses propres cellules le colonisent et régénèrent sa peau. Il sera dégradé au fur et à mesure de la cicatrisation, avant de disparaître complètement », explique avec entrain le chercheur. Pour être efficace, le biomatériau doit être souple comme la peau humaine, et accueillant pour les cellules de peau du patient. Nous allons donc vérifier ses propriétés mécaniques et biologiques. Gwenaël Rolin nous invite à le suivre dans la première salle du laboratoire : la démonstration peut commencer.

Un homme tient un petit morceau de tissu blanc, fin et légèrement étirable, entre le pouce et l’index de chacune de ses mains gantées.

Voici à quoi ressemble le biomatériau. Blanc, comme le derme profond humain, il en a la même architecture. Légèrement élastique, comme la peau. Gwenaël Rolin s’apprête à réaliser devant nous la colonisation de cellules de peau dans le biomatériau, comme s’il était déposé dans la plaie d’un patient.

Pour cela, il faut d’abord récupérer des cellules issues de dons de peau humaine. Ces cellules, concentrées dans le tube à essais, sont triées et caractérisées une à une. C’est ce qu’on appelle la technique de « cytométrie de flux », réalisée ici par la doctorante Zélie Dirand.

Une jeune femme place un petit tube dans un gros appareil.
Une autre jeune femme place des petites boîtes de culture cellulaire rondes en plastique dans une étuve.

Une fois les cellules de peau isolées, elles sont cultivées et observées en temps réel par ordinateur dans ce microscope robotisé. 

Plus le noyau des cellules est rouge, plus le gène qui code pour le collagène est exprimé, signe que la cellule ensemencée dans le biomatériau est active et synthétise de nouveaux constituants de la peau.

Un liquide rose est déposé à l’aide d’une longue pipette sur un petit carré de tissu blanc placé dans une boîte de culture en plastique.

Gwenaël Rolin dépose sur le biomatériau le liquide de culture contenant les cellules de peau. Vont-elles bien se répartir dans la matière ?

Voici la visualisation en 3D d’une tranche du biomatériau, huit jours après l’ensemencement des cellules, réalisée par Marion Tissot, technicienne de laboratoire. Chaque disque bleu est un noyau cellulaire. Ici, on voit que les cellules de peau se sont réparties de manière homogène dans le biomatériau. Premier test validé !

Une femme et un homme assis à un bureau sur lequel un écran d’ordinateur montre l’image d’un tissu biologique en trois dimensions.
À gauche, une jeune femme prépare une expérience sur une paillasse de laboratoire. À droite, zoom sur l’expérience : une lanière de tissu blanc, retenue à chaque extrémité par un système de pince, est étiré au maximum de sa résistance par l’appareil dans laquelle elle a été placée.

Après avoir qualifié biologiquement le produit, nous allons mesurer ses propriétés mécaniques, sous l’œil concentré de Tiguida Kadiakhe, doctorante en biomécanique à l’institut CNRS FEMTO-ST. Le produit doit absolument reproduire le derme humain en étant à la fois souple et résistant. Le biomatériau est soumis à une contrainte importante pour contrôler son élasticité et mesurer toutes ses propriétés mécaniques. C’est essentiel qu’il puisse s’étirer pour s’adapter à la pliure d’une phalange ou d’un genou et booster la cicatrisation. Les données sont comparées à celles de la peau humaine. Verdict ? L’élasticité est conforme aux attentes !

Les premiers essais cliniques chez l’humain devraient débuter en 2025. Pour l’heure, le produit vise à être utilisé en chirurgie reconstructrice et pour les plaies chroniques, mais il pourrait aussi être utilisé un jour dans la prise en charge des grands brûlés.


Un reportage réalisé dans l’équipe de Gwenaël Rolin au laboratoire Interactions hôte-greffon-tumeur et ingénierie cellulaire et génique (unité 1098 Inserm/EFS/Université de Franche-Comté) et au centre d’investigation clinique 1431 (CIC 1431 Inserm/CHRU Besançon/Université de Franche-Comté).

Le projet TissYou, bénéficie d’un financement européen Eurostars 2 dont les membres du consortium sont l’institut Right, le CHU de Besançon, la société Rescoll, l’entreprise Straticell (Belgique) et l’institut de recherche Ludwig Boltzmann (Autriche).

Photos : Inserm/François Guénet
Auteur : L. A.

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