Développement : Quand le toucher éveille au monde

Avant même la naissance, le toucher est le sens privilégié par le bébé pour découvrir son environnement. Dès la quatrième semaine de grossesse, certains récepteurs du toucher surgissent déjà : c’est la première capacité sensorielle à apparaître chez le fœtus, et la fondation sur laquelle l’enfant va développer son rapport au monde par les sens. Or, le toucher est important pour la croissance physique, mais aussi pour le bien-être émotionnel, les fonctions cognitives et la santé globale des bébés. À tel point que le manque de contact humain peut être à l’origine de retards de développement conséquents.

Le laboratoire COMETE* (Mobilités : vieillissement, pathologie, santé) à l’université de Caen Normandie étudie comment les compétences sensorielles des bébés et des jeunes enfants sont liées au développement de leur attention et de leurs performances cognitives. Nadège Roche-Labarbe et son équipe espèrent ainsi découvrir de nouvelles pistes de prévention, de dépistage et de remédiation pour les troubles de développement – parmi lesquels on compte ceux de l’attention, des apprentissages et du spectre autistique. Plongée dans la sensorialité, si délicate, des tout-petits.

Une chercheuse à son ordinateur, avec un enfant équipé d’un bonnet d’électrodes qui permet de suivre son activité cérébrale
Reportage au laboratoire COMETE, unité 1075 Inserm/Université de Caen ©Inserm/François Guénet

Le programme scientifique DECODE articule des projets de recherche sur le thème du développement des comportements sensoriels et du dépistage des troubles associés. Il repose sur la collaboration de plusieurs spécialités : psychologie et sciences cognitives, néonatalogie et pédiatrie, imagerie cérébrale et ingénierie biomédicale. « Nous nous intéressons à l’influence de l’environnement néonatal sur le développement des structures et fonctions du cerveau, et tentons de comprendre comment cet impact va se répercuter sur la qualité du développement cognitif, jusqu’aux performances à l’âge scolaire », explique Nadège Roche-Labarbe.

Une soignante et une chercheuse devant le planning du service néonatalogie
Au CHU de Caen Normandie ©Inserm/François Guénet

Environ 40 % des nouveau-nés prématurés présentent des troubles du développement pendant l’enfance. Ils ont en commun des anomalies sensorielles et de l’attention. Le projet NEOPRENE vise à établir un lien entre le sens du toucher et le développement de l’attention, afin d’identifier des marqueurs de risque du développement atypique. Les différences de structure cérébrale, connexions neuronales et capacités cognitives observées chez les enfants nés prématurés sont mises en relation avec leurs capacités tactiles – à 35 semaines d’âge gestationnel, puis à 2 ans.

À gauche : Une chercheuse place un petit dispositif sur le bras d’un nouveau-né prématuré. À droite : Elle équipe ensuite le bébé un bonnet d’électrodes.
Victoria Dumont prépare un nouveau-né pour évaluer sa perception tactile ©Inserm/François Guénet

Pour évaluer la perception tactile des nouveau-nés prématurés, un appareil vibrant appelé « matrice » est posé sur l’avant-bras de l’enfant. Un alignement de quatre modules qui vibrent dans un sens ou dans l’autre génère une sensation de caresse. Si la vibration est régulière, le bébé s’attend à recevoir la prochaine. Les chercheurs étudient ensuite l’activité électrique du cerveau pour déterminer s’il perçoit – ou non – un changement de sens ou de tempo dans le stimulus. La mesure de cette activité électrique est réalisée grâce à un électroencéphalogramme (EEG). Il permet d’obtenir une résolution spatiale précise de l’activité des neurones au moment où vibre la matrice. Grâce à ces données, l’équipe peut apprécier la capacité des prématurés à s’habituer à une sensation répétée et à prédire les stimuli à venir. Cette compétence essentielle leur permet de s’adapter à leur environnement.

Antoine Le Boedec et Nadège Roche-Labarbe étudient les images obtenues par IRM du cerveau d’un bébé.
Antoine Le Boedec et Nadège Roche-Labarbe ©Inserm/François Guénet

Antoine Le Boedec, interne en radiologie, analyse des images par résonance magnétique (IRM) du cerveau des bébés. Il observe des variabilités du volume cérébral et dans les connexions qui se forment entre les neurones du cerveau. Il cherche ainsi des signes qui permettraient de prédire des troubles ultérieurs du développement psychomoteur et du comportement.

Les enfants recrutés à la naissance reviennent deux ans plus tard pour une évaluation comportementale et des tests psychométriques. Sont évalués trois éléments critiques : la sensorialité, l’attention et les fonctions exécutives, c’est-à-dire l’ensemble des processus mentaux mis en œuvre pour gérer les comportements, les pensées et les émotions lors d’une situation nouvelle.

Un enfant de dos. Équipé d’un bonnet d’électrode, il fait face à un écran avec un jeu vidéo
Un enfant démarre le test ANT (attention network task) ©Inserm/François Guénet
Une fillette lance un coussin
Évaluation de la motricité globale ©Inserm/François Guénet

Le développement de l’attention chez les enfants est évalué avec un test ANT (attention network task). Il s’agit d’un jeu vidéo minimaliste, dans lequel l’enfant doit décider si un animal va vers la droite ou la gauche. Des élément « distracteurs » qui se déplacent dans des directions identiques ou opposées apparaissent à l’écran ; l’enfant doit inhiber les distractions et se concentrer sur l’animal central.

La motricité globale, importante pour la coordination des mouvements et l’équilibre, est jaugée par des lancers de sac, ou des sauts sur des tapis. Les chercheurs évaluent également la capacité des enfants à fixer un objectif, puis à l’atteindre en adaptant leur comportement.

Une fillette introduit une pièce en plastique dans une tirelire
Évaluation de la motricité fine ©Inserm/François Guénet

Les capacités sensorielles se construisent grâce au mouvement, qui lui-même dépend des informations sensorielles reçues. Une batterie de tests MABC (movement assessment battery for children) permet d’estimer le contrôle moteur des enfants. La motricité fine, utile pour l’écriture par exemple, est testée grâce à des jeux où l’enfant place des jetons dans une tirelire, ou enfile des perles.

Entre 0 et 2 ans, le cerveau est encore hautement plastique. Si des difficultés sensorielles sont repérées assez tôt, les interactions avec les enfants pourraient être renforcées de manière à les compenser. En attendant, les chercheurs mettent l’accent sur les bienfaits de la présence des adultes et de leurs câlins – une richesse que la médecine ne pourra jamais substituer.

Un reportage à retrouver dans le n°51 du magazine de l’Inserm

Note :
* unité 1075 Inserm/Université de Caen Normandie

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