Catherine Boileau : L’exploratrice de l’hypercholestérolémie familiale

Depuis bientôt 40 ans, Catherine Boileau est fascinée par la biochimie et la génétique, qu’elle associe pour mieux comprendre des maladies comme l’hypercholestérolémie familiale ou le syndrome de Marfan. La chercheuse vient de recevoir le Prix scientifique de la fondation Lefoulon-Delalande pour avoir co-découvert en 2003 le rôle du gène PCSK9 dans le métabolisme du cholestérol.

Certains scientifiques sont semblables à des explorateurs, prêts à chercher de nouvelles pistes là où les autres pensent avoir déjà tout découvert. Catherine Boileau*, spécialiste des maladies cardiovasculaires, est de cette trempe-là. Dans les années 1990, on pense tout connaître du métabolisme du cholestérol et de l’hypercholestérolémie familiale, une maladie héréditaire caractérisée par une élévation du taux de « mauvais » cholestérol (LDL). Lorsque ces lipoprotéines ne se sont pas éliminées correctement, elles s’accumulent dans la paroi des vaisseaux et entraînent la formation de dépôts appelés « athéromes », responsables d’infarctus du myocarde ou d’accidents vasculaires cérébraux.

Catherine Boileau
Catherine Boileau. Crédits : Inserm/François Guénet

« À cette époque, le paradigme était que cette maladie était bien connue. Mais avec certains collègues, nous avions l’intuition que des pièces du puzzle manquaient encore », se souvient la chercheuse. Et ils avaient raison : en 2003, les scientifiques mettent la main sur un nouveau gène impliqué dans le métabolisme du cholestérol. Nommé PCSK9, celui-ci assure la synthèse de l’enzyme du même nom, jusque-là inconnue, et dont la neutralisation permet d’abaisser le taux de LDL. Une découverte réalisée par-delà les frontières. En France, Catherine Boileau et son équipe suivent des familles touchées par l’hypercholestérolémie familiale et étudient en particulier une région du chromosome 1. 

« Le séquençage du génome de l’Homme n’avait pas encore abouti. Pour dénicher un gène intéressant, il fallait presque tout faire à la main, explorer une région donnée des chromosomes jusqu’à ce qu’on trouve ce qu’on recherchait... Il y avait beaucoup d’échecs, c’était très frustrant. Une des étudiantes en thèse que j’encadrais, Marianne Abi Fadel, aujourd’hui doyenne de la faculté de pharmacie de Beyrouth, au Liban, nous a été d’une aide indispensable dans cette tâche ingrate », explique Catherine Boileau. De l’autre côté de l’Atlantique, Nabil Seidah, biochimiste à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, vient de découvrir avec ses collègues une enzyme exprimée dans le foie, les reins et les intestins, et dont le gène est présent dans une région spécifique du chromosome 1. Cette dernière information aiguille le scientifique canadien vers sa collègue française, avec qui il partage sa trouvaille. Bingo ! PCSK9, auparavant nommé NARC‑1, est bien le gène qui, lorsqu’il est muté, est impliqué dans l’hypercholestérolémie familiale, et ouvre la porte au développement de nouveaux traitements. 

Un traitement en essai clinique de phase III

Quinze ans plus tard, c’est presque chose faite : une thérapie est testée en essai clinique de phase III afin de comparer son efficacité à celle d’un traitement standard sur une large population de patients. En mai 2018, c’est la récompense : Catherine Boileau, Nabil Seidah et Helen Hobbs, de l’École médicale du Sud-Ouest de l’université du Texas aux États-Unis, sont nommés lauréats exaequo du Prix scientifique de la fondation Lefoulon-Delalande pour leur co-découverte de PCSK9. « Si nous avons pu avancer si vite, c’est aussi grâce à une spécificité française portée par l’Inserm, qui est de faciliter les interactions entre la recherche et la clinique. Ce lien nous a permis d’étudier plus facilement les aspects génétiques familiaux de l’hypercholestérolémie familiale », remarque la chercheuse. 

Pour comprendre l’approche « exploratoire » de Catherine Boileau, il faut revenir quelques décennies en arrière, lorsqu’elle était encore sur les bancs de la fac. « J’ai eu un professeur de biochimie extraordinaire et j’ai commencé à être captivée par la chimie organique et la biochimie. J’aimais la logique inhérente à ces disciplines, la façon dont fonctionnaient les voies métaboliques, avec une précision d’horloger : ce sont des merveilles d’invention ! » raconte-t-elle. Mais la chercheuse veut creuser plus loin : la génétique et le « côté mathématique » des lois de transmission des gènes la fascinent aussi. Reçue à l’internat de pharmacie à Paris en 1980, elle devient ensuite assistante hospitalo-universitaire jusqu’en 1989 à l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne- Billancourt. « Je pensais dédier ma carrière aux analyses biologiques, mais deux concours de circonstances successifs en ont décidé autrement. Tout d’abord en 1987 quand, aux côtés de Philippe Sansonetti, aujourd’hui directeur d’unité l’institut Pasteur, je découvre ce qu’est la recherche scientifique. Ensuite lorsque je rencontre Claudine Junien, spécialiste de la génétique médicale, qui me propose de faire une thèse… en génétique humaine ! » explique Catherine Boileau. Les prémices du diagnostic moléculaire émergent et la scientifique se penche sur celui de la myopathie de Duchenne, une maladie génétique caractérisée par une dégénérescence progressive des muscles, et sur le syndrome de Marfan qui, lui, affecte le tissu conjonctif et se manifeste aux niveaux cardiovasculaire, musculo-squelettique, ophtalmologique et pulmonaire. 

« Clairement, les maladies m’intéressent », remarque la scientifique. En 1996, elle crée une consultation multidisciplinaire, dirigée par Guillaume Jondeau* et installée à l’hôpital Bichat, pour les patients atteints du syndrome de Marfan, qui facilite notamment le diagnostic complexe de cette maladie. En 1998, afin de fédérer les chercheurs qui travaillent à l’identification de nouveaux gènes impliqués dans l’hypercholestérolémie familiale, elle lance un réseau national de recherche dédié à cette maladie génétique. Celui-ci s’est progressivement transformé pour devenir le projet CHOPIN, porté par Bertrand Cariou** du CHU de Nantes, et vise à instaurer une prise en charge personnalisée de cette maladie. D’après l’Association nationale des hypercholestérolémies familiales, près de 300 000 personnes souffriraient aujourd’hui en France de cette maladie. « C’est un véritable problème de santé publique. On ne devrait pas attendre le premier infarctus pour la déceler : celle-ci est héréditaire et nous avons les moyens de la diagnostiquer très en amont et de mener des actions de prévention auprès des malades. Or seul 1% d’entre eux seraient diagnostiqués ! regrette Catherine Boileau. Le dosage du cholestérol devrait être rendu obligatoire mais il n’existe plus aujourd’hui en France de campagne nationale de dépistage des hypercholestérolémies. » Pour la scientifique et ses collègues, le prix qu’elle vient de recevoir sert aussi à ça : mettre sous le feu des projecteurs une maladie trop souvent oubliée. 

Dates clés

  • 1980–1984. Internat de pharmacie à Paris
  • 1984–1989. Assistante hospitalo-universitaire à l’hôpital Ambroise-Paré, université Paris 5
  • 1993. Thèse en génétique humaine sur le syndrome de Marfan et l’hypercholestérolémie
  • Depuis 1994. Directrice d’un groupe de recherche dans différentes unités Inserm (unités 73, 383, 781, 698 et maintenant 1148) Depuis 2014. Professeur des universités-praticien hospitalier au département de génétique de l’hôpital Bichat

Note :

*unité 1148 Inserm/Université Paris 13-Paris Nord/Université Paris Diderot- Paris 7, Laboratoire de recherche vasculaire translationnelle (LVTS), équipe Maladies cardiovasculaires structurelles

**unité 1087 Inserm/CNRS/Université de Nantes – CHU de Nantes, Institut du Thorax ; CIC 1413 Inserm/Université de Nantes 

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°41.