Stéphanie Debette, Grand Prix Inserm 2024

Le Grand Prix Inserm revient cette année à Stéphanie Debette, successivement directrice du laboratoire Inserm Bordeaux Population Health et de l’institut hospitalo-universitaire VBHI sur la santé vasculaire cérébrale. Médecin, chercheuse et universitaire, elle a de multiples casquettes ; chacune lui sert à faire progresser d’une façon ou d’une autre la cause des maladies vasculaires cérébrales, notamment l’accident vasculaire cérébral et la démence.

Stéphanie Debette © Inserm/François Guénet
Stéphanie Debette, unité 1219 Inserm/Université de Bordeaux, Bordeaux Population Health ; IHU VBHI sur la santé vasculaire cérébrale © Inserm/François Guénet

La grande cause des petits vaisseaux cérébraux

« Il faut savoir saisir sa chance. » Stéphanie Debette fait plusieurs fois ce constat en repensant à son parcours. Pourtant, quand on sait provoquer les rencontres, innover en recherche, quand on n’hésite pas à prendre son bâton de pèlerin pour dénicher des spécialistes, des fonds, des volontaires pour faire avancer la science… c’est beaucoup de modestie que d’invoquer le sort ! Non décidément, la carrière de Stéphanie Debette laisse peu de place au hasard. D’abord, elle fait des études de médecine. Fascinée par le cerveau, elle se spécialise en neurologie mais sait déjà qu’elle se consacrera à la recherche pour « contribuer à améliorer la prévention et les soins en santé humaine ».

Elle se dédie en particulier à l’épidémiologie génétique après un master et une thèse à l’institut Pasteur de Lille. « Cette discipline consiste à identifier des facteurs génétiques associés aux maladies communes, multifactorielles. Nous savons désormais que toute pathologie, y compris infectieuse comme on l’a vu avec la Covid-19, a une composante génétique, avec des variations dans le génome associées à une susceptibilité accrue, ou au contraire à une protection face à la maladie. Les repérer permet de mieux comprendre les mécanismes en jeu, d’accélérer la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques et de développer des approches préventives ou curatives plus personnalisées. » Ce domaine de recherche va connaître un tournant au moment même où Stéphanie Debette s’y plonge. Là se trouve peut-être en effet un hasard. Celui d’être arrivée au bon moment. « Les technologies de génotypage à haut débit progressaient vite au début des années 2000 et, avec la constitution de grands consortiums internationaux, elles ont conduit à une véritable révolution dans l’identification des déterminants génétiques des maladies communes. Le Royaume-Uni et les États-Unis lançaient ainsi les premières études d’association pangénomiques, qui analysent très rapidement des millions de variants génétiques simultanément chez des milliers d’individus et permettent de repérer des facteurs de susceptibilité », se rappelle-t-elle.

Déchiffrer la partition du génome

Cette révolution lui permet de mener à bien un premier projet ambitieux confié au début de son master, sur les déterminants génétiques de la dissection des artères cervicales, un saignement dans la paroi d’une artère carotide ou vertébrale, cause majeure d’accident vasculaire cérébral (AVC) chez les jeunes. La maladie est cependant assez peu fréquente à l’échelle de la population et il n’y a à cette époque encore aucun échantillon biologique à analyser : « Je suis partie de rien. Nous avons sollicité plusieurs experts en France et en Europe en créant le consortium Cadisp et réuni près de 1 400 échantillons. Il a aussi fallu apprendre à conduire une étude pangénomique pour tirer quelque chose de cette collection précieuse. Ce baptême du feu m’a permis de découvrir toutes les étapes d’un projet de recherche collaboratif de grande ampleur », raconte-t-elle. Finalement, des avancées importantes ont été apportées sur cette maladie et des pathologies associées. « Au fil du temps, mon expertise s’est enrichie avec de nouvelles techniques, sur de nouvelles populations, au travers de nouvelles collaborations. »

C’est le cas de son postdoctorat effectué à Boston en 2008, autre étape marquante que Stéphanie Debette attribue en partie au hasard. Alors qu’elle s’y rend pour un congrès, elle voyage à côté d’une statisticienne de la cohorte américaine Framingham, qui vise à analyser les facteurs de risque des maladies les plus fréquentes, en particulier cardiovasculaires. La statisticienne oriente l’épidémiologiste vers une collègue qui présente les premiers résultats d’études pangénomiques à partir de cette cohorte. La rencontre aboutit sur la promesse d’un postdoctorat pour étudier pendant deux ans les maladies liées au vieillissement cérébral (AVC, déclin cognitif, démences…). Cette expérience américaine a constitué un tournant dans la carrière de la scientifique, marquée par l’énergie incomparable des équipes, l’apprentissage des techniques pangénomiques et la participation active à de nouveaux consortiums internationaux dans son domaine, qui « ont permis un changement d’échelle dans les recherches menées et leur enrichissement par des expertises très diverses ».

Après les années outre-Atlantique

Forte de cette expatriation, elle est ensuite invitée à rejoindre le laboratoire Inserm de neuroépidémiologie installé à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. « J’ai candidaté à une chaire d’excellence de l’Agence nationale de recherche. Je venais d’accoucher de mes filles jumelles et ai finalisé le dossier dans la salle des parents à l’hôpital ! », se souvient cette femme étonnante au détour de la conversation. Elle crée ainsi une petite équipe pour poursuivre son travail sur les facteurs de risque du vieillissement cérébral, en particulier grâce à la cohorte des Trois-Cités, qui suit sur le long terme des milliers de personnes âgées. Quand ce laboratoire déménage à Bordeaux, elle décide de rester à Paris et en intègre un autre, toujours Inserm, sur la génétique des maladies cérébrovasculaires rares. Stéphanie Debette entre en parallèle au service de neurologie de l’hôpital parisien Lariboisière, reconnu pour son expertise dans la prise en charge et la recherche sur les maladies vasculaires cérébrales.

Ce parcours l’amène à son tour à Bordeaux en 2014, comme professeure d’université-praticienne hospitalière dans son ancien laboratoire de neuroépidémiologie, qui avait intégré entre temps un grand centre de recherche en épidémiologie et santé publique. Elle obtient à son arrivée une bourse du Conseil européen de la recherche, afin d’explorer les déterminants génétiques de variations subtiles des structures cérébrales observées en imagerie dans la cohorte I‑Share, qui suit des dizaines de milliers d’étudiants sur une décennie. Objectif : dénicher des facteurs et mécanismes précoces qui pourraient expliquer la susceptibilité de développer plus tard des maladies liées au vieillissement cérébral, notamment AVC et démences.

À partir de là, la progression de la scientifique n’est plus horizontale mais verticale. Elle devient en 2016 directrice d’équipe dans l’unité Inserm dont le nom est désormais Bordeaux Population Health (BPH). Son équipe grossit, génère quantité de données génétiques sur le vieillissement cérébral, étend ses relations internationales et développe des consortiums, notamment pour le projet européen transdisciplinaire Bridget sur les facteurs de risque et protecteurs des maladies neurodégénératives. « Il a permis d’identifier pour la première fois des facteurs de susceptibilité génétiques à la dilation des espaces présents le long des petites artères qui irriguent le cerveau. Or la dilation de cette sorte de gaine est associée à la maladie des petits vaisseaux cérébraux et à un risque accru d’AVC et de démence », explique la chercheuse. En 2022, elle prend la tête du BPH, qui compte alors près de 500 personnes.

Plongée dans les méandres universitaires

Entre temps, le « hasard » a encore frappé. Après avoir accepté en 2018 la vice-présidence en charge des relations extérieures à l’université de Bordeaux, Stéphanie Debette est missionnée pour monter une alliance d’universités européennes, une initiative qui vise à accroître la visibilité et la compétitivité des universités en Europe sur la scène internationale. Cet outil de la Commission a aussi pour but de former des citoyens engagés dans la réalisation des objectifs de développement durable. « Appelée Enlight, cette alliance a été une belle réussite. Et l’importance de ces enjeux sociétaux a été une révélation personnelle : ils nous concernent tous, notamment l’équité d’accès à la prévention et aux soins innovants, mais sont encore trop peu intégrés dans le monde de la recherche. Cela m’a incitée à augmenter considérablement, dans des travaux de recherche ultérieurs, la participation de patients et de cohortes d’origine non européenne, en particulier asiatiques et africains, grâce à des collaborations mondiales. Cela s’avère essentiel pour accroître le potentiel d’innovation et aller vers des applications cliniques profitables à l’ensemble des populations. »

Plus récemment, Stéphanie Debette a été invitée à candidater à la création d’un institut hospitalo-universitaire sur la santé vasculaire cérébrale à Bordeaux. Lauréat de l’appel à projets, l’Institut pour la santé vasculaire cérébrale (ou VBHI pour Precision and global Vascular Brain Health Institute) réunit plus de 150 chercheurs situés à l’intersection de trois pôles d’excellence bordelais : neurosciences, santé publique et recherche cardiovasculaire. Directrice de cet IHU, Stéphanie Debette est persuadée que la France peut jouer un rôle important dans l’accélération de la découverte de nouvelles solutions thérapeutiques pour les maladies du cerveau, « fléau de notre siècle », rappelle-t-elle. C’est avec conviction qu’elle prendra également, en janvier 2025, la tête de l’Institut du cerveau à Paris. « Encore de nouveaux défis passionnants et une opportunité sans précédent de fédérer des forces complémentaires majeures dans la recherche sur le cerveau en France », se réjouit-elle. Cet autre IHU regroupe en effet plus de 800 scientifiques d’excellence et dispose de plateformes technologiques inégalées dans le pays.

Vers de nouvelles thérapies

Après déjà dix-huit ans de recherches, quel bilan dresser ? Stéphanie Debette a reçu de nombreux prix, qui saluent le rayonnement de ses travaux. « Ces études, effectuées avec mes équipes, en collaboration avec des laboratoires internationaux, ont aidé à mieux comprendre les mécanismes moléculaires des maladies vasculaires cérébrales, notamment la maladie des petits vaisseaux cérébraux et les dissections artérielles cervicales. Elles ont aussi contribué à des recommandations cliniques européennes qui permettent une meilleure prise en charge des patients atteints de ces pathologies. Enfin, nos prochains programmes de recherche et d’innovation visent à accélérer le développement de nouveaux traitements et d’approches préventives en vue d’améliorer la santé cérébrale des patients et des populations. »

À travers la remise du Grand Prix 2024, l’Inserm reconnaît le talent de Stéphanie Debette, qui témoigne de son grand bonheur d’œuvrer au sein de l’Institut avec des équipes formidables pour faire avancer la science : « Ce prix revient à toutes celles et ceux avec qui j’ai travaillé étroitement, je le reçois donc avec humilité et reconnaissance. »

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