AVC ischémique : le double jeu du tPA neuronal

Naturellement produite par les vaisseaux sanguins, une protéine appelée activateur tissulaire du plasminogène (ou tPA) contribue à lutter contre la formation de caillots. En cas d’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, une forme de la protéine produite en laboratoire est administrée à haute dose pour désobstruer l’artère cérébrale affectée. Mais certains neurones synthétisent également cette protéine. À Caen, une équipe Inserm montre que dans un contexte proche de l’AVC ischémique, ce tPA d’origine neuronale a une action ambivalente : protectrice pour les neurones qui le sécrètent, mais toxique pour les neurones voisins. 

Un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique correspond à l’obstruction d’une artère par un caillot sanguin. Pour la désobstruer et rétablir au plus vite l’oxygénation et l’alimentation de la partie du cerveau concernée, les médecins utilisent une forme recombinante, produite en laboratoire, d’une protéine naturellement libérée par les vaisseaux sanguins : l’activateur tissulaire du plasminogène (ou tPA). Cette protéine dont le rôle est de fluidifier le sang possède en effet une activité dite « fibrinolytique », c’est-à-dire qu’elle a la capacité de détruire les petits caillots en formation. Il s’avère qu’une fraction de tPA est également produite par des cellules cérébrales, sans que son rôle en cas d’ischémie soit élucidé : les études jusqu’ici conduites ont donné des résultats contradictoires, mettant tantôt en avant des effets de survie cellulaire, tantôt des effets neurotoxiques. Pour avancer sur la question, une équipe du centre Cyceron à Caen s’est en particulier intéressée au tPA produit par les neurones, « très difficile à détecter et dont l’action est méconnue », souligne Carine Ali, qui a codirigé ces travaux dans l’équipe de Denis Vivien.

Un double effet, sans lien avec l’activité fibrinolytique

Les chercheurs ont travaillé chez la souris. Ils ont développé des vecteurs viraux qui permettent à la fois de démasquer les neurones qui synthétisent du tPA et d’inhiber spécifiquement la synthèse de la protéine dans ces neurones. Après avoir injecté ces vecteurs aux animaux, ils ont déclenché dans leur cerveau une transmission excessive du neurotransmetteur glutamate, très toxique pour les neurones. Nommé « nécrose excitotoxique », cet événement mime une partie des effets d’un AVC ischémique lors de sa phase aigüe. L’analyse du cerveau des animaux réalisée dans la foulée a permis aux chercheurs de constater que la protéine tPA neuronale joue alors un double jeu, sans aucun lien avec l’activité fibrinolytique de celle produite par les vaisseaux sanguins. Il est en effet apparu que le tPA neuronal a une action protectrice vis-à-vis des neurones qui le produisent, mais au contraire délétère pour les autres. Pour preuve, l’élimination ciblée du tPA dans ce modèle expérimental a augmenté la mortalité des neurones producteurs et a protégé les neurones voisins. « Finalement tout le monde avait raison, estime Carine Ali au sujet des précédents travaux. Le tPA neuronal a une action ambivalente selon sa cible. »

Vers des tPA thérapeutiques améliorés

Les mécanismes d’action de la protéine, protecteurs ou au contraire toxiques, restent à identifier. Mais plusieurs hypothèses sont posées : « Ces observations laissent supposer l’existence de plusieurs cibles moléculaires du tPA neuronal, impliquées dans des mécanismes de mort cellulaire intriqués, comme l’apoptose, la nécrose et l’autophagie. C’est ce que nous recherchons maintenant, explique-t-elle. Ces connaissances permettront à terme de développer de nouvelles formes de tPA thérapeutique, plus efficaces et avec moins d’effets indésirables – notamment neurotoxiques – par rapport à la forme recombinante actuellement utilisée dans la prise en charge des AVC ischémiques », conclut-elle.


Carine Ali et Paul Prunotto sont chercheurs dans l’équipe tPA et troubles neurovasculaires au sein de l’unité Physiopathologie et imagerie des maladies neurologiques (PhIND), dirigée par Denis Vivien (unité 1237 Inserm/Université de Caen-Normandie, Institut BB@C, Centre Cyceron), à Caen.


Source : P. Prunotto et coll. The Janus face of endogenous neuronal tPA : promoting self-protection and worsening the death of neighboring neurons. Cell Death Dis, 12 avril 2024 ; doi : 10.1038/s41419-024–06655‑0

Autrice : A. R. 

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Denis Vivien.
Accident vasculaire cérébral ischémique © Inserm/Ribeiro, Maria-Joao