Mucoviscidose

Des pistes thérapeutiques encourageantes

La mucoviscidose est une des maladies génétiques potentiellement graves les plus fréquentes en France et dans les pays occidentaux. Elle touche surtout les fonctions digestives et respiratoires. Ses symptômes invalidants et les complications infectieuses et fonctionnelles qui en découlent impactent l’espérance de vie des patients. La vague d’innovation thérapeutique qui a démarré au début des années 2010 commence toutefois à porter ses fruits, et devrait encore améliorer le pronostic de la maladie dans les prochaines années.

Dossier réalisé en collaboration avec Claude Férec, unité 1078 Inserm/Université de Bretagne occidentale/EFS, équipe Génétique moléculaire et épidémiologie génétique, Brest

Comprendre la mucoviscidose

La mucoviscidose est une maladie qui touche principalement les poumons, mais aussi le système digestif et reproducteur. D’origine génétique, elle est liée à une anomalie du gène codant pour la protéine CFTR (pour cystic fibrosis transmembrane conductance regulator), porté par le chromosome 7. 

La protéine CFTR est présente dans la membrane des cellules de différentes muqueuses : respiratoire, digestive… Elle fonctionne comme un canal qui permet l’échange d’ions chlorures entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. Lorsque son gène est muté, le canal dysfonctionne. Cette altération se traduit notamment par une diminution de l’eau excrétée au niveau des muqueuses et, en conséquence, par une inflammation et un épaississement du mucus qui la recouvre. Ce phénomène entraîne l’apparition des symptômes habituels de la mucoviscidose. 

La maladie est dite autosomique (liée à l’altération d’un chromosome non sexuel) et récessive : elle ne s’exprime que chez les personnes qui portent deux copies du gène CFTR mutée, une sur chacun de leur chromosome 7. 

Une des maladies génétiques létales les plus fréquentes

On estime qu’environ 200 enfants atteints de mucoviscidose naissent chaque année en France, soit en moyenne 1 sur 4 500 nouveau-nés, avec une forte disparité régionale due aux socles génétiques locaux : la maladie concerne ainsi 1 enfant sur 3 000 en Bretagne, contre 1 sur 7 à 8 000 en Languedoc-Roussillon. Par ailleurs, les populations d’origine européenne sont plus fréquemment concernées que celles d’origine africaine ou asiatique. La France compterait 6 000 patients. 

Aujourd’hui, grâce aux progrès de la recherche et à l’amélioration de la prise en charge de cette maladie, l’espérance de vie moyenne d’un patient est comprise entre 40 et 50 ans, alors qu’elle n’était que de 5 ans dans les années 1960. Il est probable que les enfants malades nés ces dernières années voient leur espérance de vie encore améliorée, du fait des traitements qui sont en développement et commencent, pour certains, à être commercialisés. 

Au coeur des organes : La mucoviscidose – animation pédagogique – 2 min 54 – vidéo extraite de la plateforme Corpus (2014)

Un gène CFTR extrêmement instable

Le gène CFTR peut être porteur de nombreuses mutations : près de 2 000 altérations différentes de ce gène ont été rapportées dans la littérature scientifique, à ce jour. Un lien de causalité entre près de 400 de ces mutations et la physiopathologie de la mucoviscidose a d’ores et déjà été démontré. Il est apparu que ces différentes anomalies génétiques ont des conséquences variées sur la fonctionnalité de la protéine CFTR : certaines vont limiter sa synthèse, d’autres sa fonctionnalité, son positionnement membranaire ou sa stabilité. 

Ces mutations sont catégorisées selon leur nature et leurs conséquences fonctionnelles : 

  • Les mutations de classe 1 conduisent à une absence d’expression cellulaire de la protéine CFTR.
  • Les mutations de classe 2 correspondent à des anomalies de repliement de la protéine ou de sa circulation intracellulaire.
  • Les mutations de classe 3 correspondent à des mutations « faux-sens », qui empêchent la liaison de l’ATP à la protéine, et donc l’ouverture et le fonctionnement normal du canal CFTR.
  • Les mutations de classe 4 sont des mutations qui perturbent directement la fonction canal de la protéine CFTR.
  • Les mutations de classe 5 engendre une diminution de la disponibilité de la protéine CFTR au niveau de la membrane.

Présente chez environ 70% des malades, la mutation de classe 2 Delta F508 est la plus fréquente. Elle expose les personnes touchées à une forme relativement sévère de la maladie. 

Par ailleurs, il est aujourd’hui démontré que des gènes modificateurs, qui codent pour des protéines interagissant avec le canal CFTR, peuvent aussi influencer l’expression de la maladie. Ils permettent notamment d’expliquer pourquoi deux patients qui ont le même profil génotypique ne présentent pas la même expression de la maladie. 

Des symptômes respiratoires et digestifs prédominants

La mucoviscidose est une maladie qui se manifeste le plus souvent dès la naissance ou les premiers mois de vie. Elle touche principalement la fonction respiratoire et digestive. 

Au niveau pulmonaire, l’épaississement du mucus encombre les bronches et entraîne en premier lieu une toux chronique, ainsi qu’une gêne et une diminution de la fonction respiratoire. Celle-ci conduit progressivement à une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) puis, à terme, une insuffisance respiratoire. L’encombrement des bronches fait également le lit d’infections bactériennes fréquentes et spécifiques par Staphylococcus aureus (staphylocoque doré), Haemophilus influenzae ou encore Pseudomonas aeruginosa. Enfin, d’autres complications respiratoires peuvent se développer avec le temps, comme des atélectasies (affaissement des alvéoles pulmonaires sur elles-mêmes) ou un pneumothorax (affection de la plèvre). Au niveau des voies respiratoires hautes, les sinusites chroniques sont extrêmement fréquentes. 

Sur le plan digestif, l’hyperviscosité des sécrétions pancréatiques ne permet pas aux enzymes qu’elles contiennent d’être déversées dans l’intestin. Elles restent stockées, altérant le tissu pancréatique lui-même. Ainsi, près de 85% des patients touchés par la mucoviscidose ont une atteinte du pancréas (fibrose puis insuffisance pancréatique). Seuls les porteurs d’une ou deux mutations peu sévères peuvent espérer conserver la fonctionnalité de leur pancréas au-delà de l’âge adulte. L’altération du pancréas peut en outre, à terme, aboutir à un défaut de sécrétion d’insuline et conduire au développement d’un diabète. Par ailleurs, les enzymes pancréatiques jouant un rôle déterminant dans la digestion, les patients atteints de mucoviscidose souffrent d’une malabsorption des graisses, et parfois des nutriments et des vitamines. L’atteinte digestive peut aussi se traduire par des stases (arrêt du transit), des alternances diarrhées/constipation, des douleurs abdominales, voire une atteinte du foie ou des voies biliaires.

Des troubles de la densité minérale osseuse, avec un risque d’ostéopénie ou d’ostéoporose, sont aussi retrouvés chez certains patients adultes. 

Les hommes atteints de la maladie sont généralement stériles : les canaux déférents qui permettent d’évacuer les spermatozoïdes des testicules sont en effet obstrués in utero par un bouchon muqueux, provoquant leur involution. De la même façon les femmes sont souvent moins fertiles, notamment du fait de l’épaississement de la glaire cervicale. 

Un diagnostic systématisé

Dans l’immense majorité des cas, la maladie est diagnostiquée dès la naissance de l’enfant, grâce à la démarche de dépistage systématique implantée dans toutes les maternités de France depuis 2002. Seuls quelques rares cas de mucoviscidose modérée ne seront identifiés qu’à un âge plus avancé, voire adulte. 

Le dépistage systématique se déroule en deux temps : le premier consiste à doser la trypsine immunoréactive dans le sang des nouveau-nés au troisième jour de vie, à partir de quelques gouttes de sang prélevées par une piqûre au talon. Cette molécule est une enzyme pancréatique dont le passage dans le sang est favorisé par l’obstruction in utero des canaux pancréatiques par du mucus. Un taux élevé est associé à un risque élevé de mucoviscidose. Pour les enfants concernés, la présence d’une mutation affectant le gène CFTR est recherchée dans un deuxième temps. 

Une analyse génétique par PCR (Polymerase Chain Reaction) est d’abord utilisée pour rechercher une trentaine de mutations parmi les plus fréquentes. Si aucune mutation n’est identifiée par cette méthode, un « séquençage nouvelle génération » (NGS) est réalisé. Il permet de connaître précisément la séquence des deux copies du gène CFTR du patient, et de poser le diagnostic de mucoviscidose le cas échéant. 

Un test biologique complémentaire est systématiquement réalisé. Ce test dit ‘de la sueur’ permet de doser les ions chlorures après avoir favorisé la sudation du patient. Leur taux est anormalement élevé chez les malades atteints de mucoviscidose. Il est aussi utilisé chez les enfants ou adultes qui n’ont pas bénéficié du dépistage néonatal. 

Les couples dans lesquels existe une personne malade et ceux qui ont déjà un enfant atteint de mucoviscidose bénéficient d’un conseil génétique. Ces rendez-vous sont notamment l’occasion de proposer une enquête génétique familiale, étendue ‘en cascade’ aux frères et sœurs. Ce travail permet d’identifier les porteurs sains de la famille : si les deux futurs parents sont concernés, ils pourront bénéficier, s’ils le souhaitent, d’un diagnostic prénatal ou d’une procréation médicalement assistée avec diagnostic préimplantatoire. 

Enfin, lors du suivi échographique des femmes enceintes, l’observation d’un intestin hyperéchogène peut être le signe d’un bouchon muqueux intestinal provoqué par la maladie. Dans ce cas, une analyse génétique est conduite chez parents à la recherche de mutations CFTR. S’ils sont porteurs, l’analyse sera portée chez le fœtus par une amniocentèse. 

Une prise en charge très spécialisée

Dès l’établissement du diagnostic, les personnes atteintes de mucoviscidose sont suivies au sein de centres de soins spécialisés, les Centres de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM). Le traitement qui leur est proposé a longtemps été symptomatique, afin de réduire les manifestations de la maladie et leurs complications. Mais depuis quelques années, la prise en charge est devenue spécifique, grâce au développement de molécules qui pallient les défauts de fonctionnalité de la protéine CFTR. Elles agissent en augmentant le nombre et la disponibilité de la protéine CFTR (on parle de « correcteurs ») ou en améliorant son ouverture et sa fonctionnalité (« potentiateurs ») au niveau de la membrane cellulaire. 

Le premier modulateur de CFTR qui a été développé, en 2012, est l’ivacaftor (Kalydeco®). Il s’agit d’un potentiateur qui a reçu une autorisation européenne de mise sur le marché dans la mucoviscidose associée aux mutations de classe 3. Depuis, des correcteurs ont été développés (lumacaftor, elexacaftor, tezacaftor) et sont ou seront prochainement commercialisés en association avec l’ivecaftor et/ou avec un autre correcteurs (Orkambi, Symkevi, Kaftrio). Très récemment, une trithérapie (Trikafta®) a démontré son efficacité avec une amélioration de la fonction respiratoire et de l’état général des patients atteints de mucoviscidose. Elle pourrait être disponible en France dans les prochains mois. 

Le traitement symptomatique qui constituait auparavant la prise en charge de référence reste cependant nécessaire pour les 10 à 15% de malades porteurs d’une mutation rare qui ne répond pas aux nouveaux médicaments, ou pour ceux qui y sont intolérants. Dans ce cas, leur prise en charge repose sur l’utilisation de mucolytiques et de fluidifiants bronchiques, associée à des séances régulières de kinésithérapie qui améliorent l’expectoration bronchique. La recherche d’infections bactériennes à risque respiratoire est réalisée de façon périodique et des antibiothérapies préventives peuvent être envisagées ponctuellement. Les vaccinations contre les agents infectieux respiratoires sont recommandées. Ceux qui répondent aux nouveaux médicaments peuvent également avoir recours à ces traitements de façon plus espacée, si la situation clinique l’exige.

En cas d’insuffisance respiratoire terminale, une oxygénothérapie devient nécessaire. Une greffe pulmonaire peut aussi être envisagée en dernier recours. 

Afin de traiter les manifestations extrapulmonaires, des traitements anti-inflammatoires, des extraits pancréatiques, des vitamines et supplémentations caloriques sont également prescrits. 

Coupe de bronche humaine
Coupe de bronche humaine. Marquage en rouge des noyaux cellulaires, en vert de la protéine CFTR (Cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) impliquée dans la mucoviscidose. © Inserm/Pascal Trouvé

Les enjeux de la recherche

Depuis la découverte du gène défectueux CFTR, en 1989, les efforts de recherche se sont accentués. La diversité des mutations de ce gène et celle de leurs conséquences expliquent la difficulté à développer des traitements curatifs. L’amélioration de l’espérance de vie des personnes malades qui a été obtenue depuis une trentaine d’années a uniquement reposé sur l’ensemble des soins préventifs et symptomatiques qui leurs sont prodigués dès le plus jeune âge. Cependant, depuis quelques années, les progrès de la recherche thérapeutique ont permis d’ouvrir une ère de traitements innovants et efficaces qui rétablissent en partie la fonction assurée par le gène CFTR. Ils devraient prochainement conduire à une véritable évolution de l’espérance de vie des patients. 

Thérapie génique : des vecteurs aux ciseaux génétiques

Historiquement, la première idée qui a émergé pour parvenir au traitement de la mucoviscidose a été de corriger les anomalies génétiques qui en sont responsables par thérapie génique. Cette approche utilise un vecteur viral modifié pour introduire dans les cellules souches pulmonaires du patients une version fonctionnelle du gène CFTR, qui va remplacer le gène muté. Les essais cliniques conduits jusqu’à présent ont été décevants car les vecteurs utilisés (adénovirus, lentivirus) se sont avérés immunogènes, et le succès du ciblage des cellules souches aléatoire. Pour pallier ces inconvénients, des vecteurs de synthèse sont aujourd’hui développés. Le premier d’entre eux, nommé GL67A (développé par un consortium britannique), donne des résultats positifs mais modestes. Ceci s’explique notamment par la difficulté de l’agent thérapeutique à pénétrer le mucus respiratoire pour atteindre les cellules cibles. Des travaux de formulation sont conduits pour améliorer ce paramètre et de nouveaux vecteurs viraux sont à l’étude. Leur efficacité devra ensuite être évaluée, utilisés seuls ou en association avec des modulateurs de la fonction CFTR. La question du ciblage des organes gastro-intestinaux est aussi une difficulté pratique à l’utilisation de la thérapie génique. 

D’autres approches relatives ou proche de la thérapie génique sont également développées : 

  • la première consiste à apporter aux cellules l’information nécessaire à la production de protéines CFTR fonctionnelles, sous la forme d’ARN messager (ARNm). Puisque le gène muté conduit à la production de messagers anormaux, l’idée de cette approche est d’en apporter, directement in situ, des qui permettent la synthèse de la protéine normale. Les premières études cliniques sont en cours.
  • la seconde repose sur l’édition du gène CFTR (« gene editing ») grâce aux « ciseaux moléculaires » : le système CRISPR/Cas9 permet d’envisager de corriger le gène CFTR par le biais d’une machinerie protéique capable de repérer la zone défectueuse, de l’isoler et la remplacer par la partie normale du gène. Cette approche est prometteuse car les modifications génétiques qu’elle induit persistent pendant toute la vie de la cellule et évite l’utilisation d’ADN exogène. Elle reste néanmoins encore expérimentale, et sa mise en œuvre est compliquée par la difficulté à atteindre les cellules souche pulmonaires.
  • la dernière approche correspond à l’utilisation d’oligonucléotides antisens (OAS) : elle consiste non pas à modifier le gène mais à corriger l’ARNm produit à partir du gène muté, qui, en conséquence, transporte également l’anomalie génétique. Les premières études cliniques sont en cours.

Moduler la fonction CFTR

Depuis la première description du canal défectueux, les efforts de recherche ont permis de développer des modulateurs de la protéine CFTR. Outre ceux qui sont déjà commercialisés, ou qui le seront prochainement, d’autres candidats médicaments sont en phase de développement, d’essais cliniques ou précliniques. Parallèlement à cette famille de molécules, qui agissent sur la protéine préexistante mutée, deux approches expérimentales sont à l’étude :

  • la première vise à accroître la traduction de l’ARNm de CFTR en protéine. Deux types de molécules sont développées : les unes visent à stabiliser sa durée de vie du messager (amplificateurs), les autres sont des antagonistes de microARN (ARN endogènes capables de réprimer l’expression du gène CFTR) qui permettraient d’en augmenter la production.
  • la seconde répond au cas spécifique des mutations qui empêchent la lecture complète du gène et donc l’expression de la protéine CFTR. Elle s’appuie sur l’utilisation d’agents dits de « translecture », développés spécifiquement pour permettre la lecture complète du gène muté et donc la production de la protéine.

Au vu de l’arsenal existant et en développement et des essais cliniques qui évaluent l’efficacité des molécules expérimentales, seules ou en association, il est probable qu’une amélioration du pronostic de la maladie puisse être observée, à moyen terme, pour la majorité des personnes souffrant de mucoviscidose. 

Pour aller plus loin