Genre et santé

Prendre en compte les différences, pour mieux combattre les inégalités

Depuis une vingtaine d’années, la recherche médicale internationale évolue pour intégrer la question du genre dans les pratiques et les thématiques de recherche. L’objectif est de prendre en compte la façon dont les rôles sociaux et le contexte culturel influencent la santé des femmes et des hommes sur le plan physiologique et pathologique. Intégrer le genre dans la médecine et la recherche répond à un questionnement à la fois scientifique et éthique. Il s’agit de lutter contre les inégalités et les discriminations qui touchent les hommes et les femmes dans les domaines de la santé.

Dossier réalisé avec la collaboration de Jennifer Merchant et Catherine Vidal, co-responsables du groupe « Genre et recherche en Santé » du Comité d’éthique de l’Inserm

Comprendre la problématique

En matière de santé, femmes et hommes ne sont pas logés à la même enseigne. Mais les différences biologiques sont loin d’être seules en cause : les représentations sociales liées au genre féminin ou masculin jouent sur l’attitude des patients, du corps médical et des chercheurs. S’intéresser aux relations entre genre et santé permet de mener une réflexion éthique sur la contribution des facteurs sociaux et culturels aux inégalités de santé entre les sexes. Cette approche vise à enrichir les connaissances sur les origines des différences entre les femmes et les hommes dans la santé, pour de meilleures pratiques cliniques et dans la recherche biomédicale. 

Sexe et genre : une façon d’intégrer tous les déterminants de l’état de santé

Pour appréhender la question du genre en santé, il est d’abord nécessaire de définir ce dont on parle : 

  • le sexe désigne les caractéristiques biologiques (chromosomes, organes génitaux, hormones, fonctions reproductives) qui différencient les mâles des femelles, y compris dans l’espèce humaine.
  • Le genre correspond aux différences non biologiques qui distinguent les individus : c’est un concept qui désigne les processus de construction sociale et culturelle des identités féminine et masculine, et ceux des rapports sociaux entre les sexes.

Le sexe et le genre ne sont pas des variables séparées : elles se rejoignent dans un processus d’interaction entre la biologie et l’environnement social qui se développent dès la naissance, voire avant. Il est important d’inciter les médecins à considérer les différences entre hommes et femmes, non pas comme une simple dichotomie entre mâle et femelle, mais comme le produit d’une intrication entre sexe et genre. Les recherches en santé doivent prendre en compte cette articulation pour expliquer à la fois les différences et les similarités entre les femmes et les hommes dans la physiologie et la pathologie. Penser la médecine à la lumière du sexe et du genre permet d’apporter une vision plus précise des inégalités de santé et de leur origine. 


Une prise de conscience tardive en France

C’est d’abord aux Etats-Unis, entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 qu’une prise de conscience a pris forme, autour de la nécessité d’intégrer la dimension du genre pour repenser la médecine et la recherche. Déjà sensibilisés à la question par les recherches en sciences sociales, un certain nombre de membres féminins du Congrès ont fait évoluer la législation américaine : elles ont imposé à la structure gouvernementale de recherche publique en santé, le National Health Institute (NIH), d’adapter sa politique de recherche pour prendre plus équitablement en compte la notion de sexe et de genre dans ses travaux (ainsi que celle des minorités ethniques). Depuis 1990, le NIH dispose ainsi d’un bureau spécifique (Office of Research on Women’s Health) et d’un budget immuable dans cet objectif. A la même époque, la Food and Drug administration (FDA), en charge de l’homologation des médicaments, a fait évoluer les critères de qualité des essais cliniques devant être conduit en recherche thérapeutique, en y incluant désormais la représentation des femmes. 

Suite à ces premières initiatives nord-américaines, l’OMS a adopté en 2002 une approche politique sur les questions d’équité entre les sexes et selon les genres. Celle-ci se décline dans différents projets dont les principaux visent à résoudre les enjeux sanitaires autour de la maternité, des violences et des infections sexuellement transmissibles. 

En Europe, la prise de conscience a été plus tardive. Elle a d’abord eu lieu dans des pays comme l’Allemagne, ou ceux d’Europe du Nord, qui ont mis l’accent sur la notion de médecine genrée. Plus récemment, la Commission Européenne a également intégré l’égalité de genre comme critère d’excellence scientifique. 

A partir du début des années 2000, plusieurs organismes de recherche français ont commencé à se saisir de la question, comme l’Institut national d’études démographiques (INED), le CNRS ou l’Inserm. En 2013, le Comité d’Ethique de l’Inserm a créé un groupe de travail sur le thème « Genre et recherche en santé ». Son but est de sensibiliser les chercheurs et les médecins de l’institut à la question des inégalités de santé liées au sexe et au genre et à prendre en compte ces spécificités dans la clinique et la recherche. 


Prendre en compte le poids des représentations sociales pour de meilleures pratiques médicales et de recherche

L’interaction entre sexe et genre est indissociable : l’état de santé d’une personne peut être influencé par la nature de son activité professionnelle, de son niveau d’étude ou de son hygiène de vie. Ces déterminants sont souvent distincts chez les hommes et chez les femmes, parce qu’ils s’inscrivent dans un contexte social et culturel différent. Par exemple, dans leur majorité, les hommes tardent plus souvent à consulter que les femmes. La relation médecin-patient peut être également influencée (bien souvent inconsciemment), par les représentations sociales liées au genre. 

Les recherches en sciences sociales, qui apportent un complément précieux à cette problématique, montrent combien les codes sociaux de la féminité (fragilité, sensibilité, expression verbale) et de la masculinité (virilité, résistance au mal, prise de risque) jouent un rôle dans l’expression des symptômes, le rapport au corps et le recours aux soins. Elles ont aussi montré que ces stéréotypes influencent la façon dont les professionnels de santé dépistent et prennent en charge certaines maladies. 

Prendre en compte l’articulation entre sexe et genre permet de s’interroger sur la façon dont se développent les différences en matière de santé, afin leur apporter une réponse adaptée. Elle s’inscrit nécessairement dans une réflexion de nature éthique qui doit favoriser le développement de bonnes pratiques, voire de nouvelles pratiques, que ce soit dans le domaine de la recherche ou de la clinique. 

Quelques exemples permettent d’illustrer l’importance de considérer à la fois le sexe et le genre dans la médecine et la recherche biomédicale : 

L’infarctus du myocarde

L’infarctus du myocarde est un exemple typique de l’interaction entre sexe et genre. En effet, le risque d’infarctus a longtemps été associé à l’image d’un homme d’âge mûr stressé au travail. De ce fait la maladie est sous-diagnostiquée chez les femmes. Une patiente qui se plaint d’oppression dans la poitrine se verra prescrire des anxiolytiques alors qu’un homme sera orienté vers un cardiologue. Dans certains cas, les symptômes d’infarctus peuvent par ailleurs se manifester de façon atypique chez les femmes. Le risque de retard au diagnostic et à la prise en charge est donc fréquent. Il explique que la majorité des décès liés à l’infarctus concernent aujourd’hui les femmes. 

Genre et santé, attention aux clichés ! Maladies cardiovasculaires – animation pédagogique – 1 min 30 – réalisée par Véronique Kleiner et coproduite par l’Inserm, le CNRS, l’université Paris Diderot, soutenu par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (2017). Genre et Santé : attention aux clichés ! est une série de films d’une minute destinés à éveiller notre vigilance sur les préjugés liés au genre en matière de santé et de recherche biomédicale. L’objectif est de promouvoir une médecine plus égalitaire au service de la santé des femmes et des hommes. Réalisée à l’initiative du comité d’éthique de l’Inserm et de son groupe de travail « Genre et recherche en santé », la série aborde 6 thèmes : dépression, durée de vie, maladies cardio-vasculaires, ostéoporose, douleur et imagerie cérébrale. 

L’ostéoporose

A l’inverse, l’ostéoporose est sous-diagnostiquée chez les hommes car elle est considérée comme une maladie qui concerne les femmes ménopausées. Or, un tiers des fractures du col du fémur chez les hommes sont dues à l’ostéoporose. En conséquence, le risque de deuxième fracture est aussi élevé chez eux que chez les femmes. 

Genre et santé, attention aux clichés ! Ostéoporose – animation pédagogique – 1 min 02 (2017)

La dépression

La dépression est une maladie souvent considérée comme essentiellement féminine, mais elle apparaît aussi fréquente chez les hommes lorsque l’on intègre comme critères diagnostiques des symptômes atypiques, comme l’agressivité et l’augmentation des comportements à risques (consommation d’alcool, de drogues, conduite automobile dangereuse). 

Genre et santé, attention aux clichés ! Dépression – animation pédagogique – 1 min 22 (2017)

Les exemples de l’influence du sexe et du genre sur la santé sont nombreux et concernent quasiment tous les champs de la médecine : cancer, diabète, obésité, douleur, asthme, arthrose, addiction, vieillissement… 


Le cerveau : entre sexe et genre

Au début du siècle, les médecins anatomistes avaient conclu à une intelligence supérieure de l’homme… parce que son cerveau pèse en moyenne 1 350 grammes, soit 150 grammes de plus que celui de la femme ! Aujourd’hui, on sait que c’est la qualité des connexions entre les cellules nerveuses qui conditionne les capacités cognitives, et non le poids de l’organe. 

Depuis plus de 10 ans, les études par IRM ont démontré que les apprentissages et les expériences vécues modifient la structure et le fonctionnement du cerveau : c’est la plasticité cérébrale. La structuration et la fonctionnalité de notre cerveau est donc propre à chacun : il peut exister moins de différences entre les cerveaux d’un homme et d’une femme qu’entre ceux de deux personnes du même sexe. Et voir des différences entre les sexes n’implique pas que ces différences soient inscrites dans le cerveau depuis la naissance, ni qu’elles y resteront gravées (en raison des propriétés de plasticité du cerveau !). 

Aussi, en neurosciences comme ailleurs, il est impératif de poser la question de l’origine des différences qui peuvent être observées entre les cerveaux de femmes et d’hommes avant de conclure à des différences de prédispositions innées. Il faut en effet prendre en compte d’autres variables que le sexe biologique dans la comparaison des cerveaux des deux sexes : niveau d’instruction, profession, activités (sports, jeux), appartenance ethnique, situation sociale, familiale, statut économique... Par exemple, des tests d’aptitude montrent que, globalement, les capacités d’orientation spatiale sont meilleures chez les garçons que chez les filles. Mais lorsque l’on étudie ces capacités chez les filles qui sont entraînées aux jeux vidéo, les résultats de ces tests sont équivalents à ceux des garçons. Preuve que la différence de résultat n’est pas liée au sexe mais à une différence de pratique culturelle. 

Autre exemple : des filles et des garçons se sont vus présentés deux dessins représentant une forme géométrique complexe en trois dimensions, dans une position différente. L’investigateur leur demandait de déterminer si les deux dessins représentaient ou non la même forme. Lorsque l’exercice était présenté comme un problème géométrique aux enfants, les garçons trouvaient plus souvent la bonne réponse que les filles. Dans un autre groupe, l’exercice était présenté comme un test de dessin : dans ce cas, ce sont les filles qui donnaient plus souvent la bonne réponse, démontrant par là le poids des représentations sociales liées au sexe. 


Les enjeux de la recherche

Sexe, genre et recherche biomédicale

L’étude des liens entre sexe, genre et santé ne correspond pas à une discipline particulière de la recherche, mais à une approche transversale qui permet d’intégrer la globalité de l’être humain pour comprendre ou résoudre les problèmes de santé. Elle doit passer par une évolution méthodologique des pratiques. 

Dans le cadre des recherche précliniques (in vitro ou chez l’animal), la question du sexe des cellules et de celui des animaux sur lesquels sont conduits les travaux de recherche peut se poser. 

  • Sur le plan cellulaire, et même en dehors des cellules sexuelles (gonades, gamètes), il a été montré que certains mécanismes peuvent être différents en fonction du sexe dans divers tissus. Ces données au niveau microscopique sont bien documentées. Cependant leurs conséquences au niveau global de l’organisme sont mal connues, en particulier dans l’espèce humaine.
  • Concernant les recherches utilisant des animaux, beaucoup d’expériences sont conduites chez des mâles uniquement. La raison invoquée est que les cycles hormonaux des femelles sont source de variabilité dans les comportements. Mais d’après des études récentes, il apparaît que ce n’est pas forcément vrai : celles-ci montrent en effet que le principal facteur de variabilité dans les comportements des rongeurs est le nombre d’animaux confinés dans les cages, et non pas leur sexe.

Dans le cadre des essais cliniques, les études ont majoritairement été menées chez des sujets masculins. On a même vu des recherches sur le risque de cancers gynécologiques conduites chez des hommes ! Face à de telles dérives de l’industrie pharmaceutique, la législation rend obligatoire de réaliser les essais cliniques sur des sujets des deux sexes, depuis 30 ans aux Etats Unis et depuis 15 ans en Europe. 

On le voit, ouvrir la recherche médicale à la question du sexe et du genre constitue une nouvelle occasion de poser la question de la validité des modèles utilisés classiquement dans les protocoles de recherche et d’interroger les pratiques pour en construire de plus fiables. Cette approche constitue une innovation dans la médecine pour le plus grand bénéfice des femmes et des hommes. Elle conduit à des recherches de meilleure qualité. 

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