Acouphènes

Un fonctionnement aberrant du nerf auditif

Les acouphènes sont des bruits générés spontanément dans la voie auditive, sans qu’ils proviennent de l’extérieur. Leur survenue est le plus souvent liée à une perte auditive. Les chercheurs en clarifient peu à peu les mécanismes, pour être en mesure de proposer des solutions efficaces et durables aux patients les plus affectés. 

Dossier réalisé en collaboration avec Jean-Luc Puel (unité 1298 Inserm/Université de Montpellier, Institut des neurosciences de Montpellier)

Comprendre les acouphènes

Les acouphènes sont des sifflements, des grésillements ou des bourdonnements d’oreille, qui ne proviennent pas du monde extérieur. Ils peuvent être perçus dans une seule oreille (forme unilatérale) ou dans les deux (acouphène bilatérale), de manière continue ou intermittente, transitoire ou persistante. L’acouphène est dit aigu lorsqu’il est récent et présent plusieurs heures par jour. Il devient chronique s’il persiste plus de trois mois.

Environ 10 % de la population adulte seraient concernés par ce trouble auditif, avec un retentissement est très variable d’un individu à l’autre, pouvant aller d’une simple gêne à un handicap sévère dans la vie quotidienne. Les formes très invalidantes représentent moins de 1 % des cas. Les acouphènes peuvent notamment entraîner des difficultés pour s’endormir ou se concentrer. Ils peuvent aussi provoquer des états d’anxiété et de dépression. Un cercle vicieux peut alors s’instaurer : l’anxiété générée par les acouphènes peut amplifier leur perception et aggraver la gêne.

D’où viennent les acouphènes ?

La grande majorité des acouphènes sont d’origine neurosensorielle. Ils résultent d’anomalies du fonctionnement de la voie auditive, qui peuvent survenir à tous les niveaux, de la périphérie (oreille) jusqu’au cortex.

Le plus souvent, il s’agit de lésions ou de dysfonctionnements de l’oreille interne ou des fibres nerveuses auditives. Ainsi, les acouphènes sont associés à des pertes d’audition dans environ 80 % des cas. Et même lorsqu’aucun déficit n’est pas retrouvé à l’audiogramme, l’existence de lésions indétectables des fibres nerveuses auditives n’est pas à exclure. Les acouphènes peuvent aussi être associés à une hyperacousie, c’est-à-dire à une sensibilité exacerbée aux sons.

Face à une déficience auditive, le cortex auditif met en place des mécanismes de compensation qui peuvent devenir aberrants. Des activités anormales générées le long de la voie auditive peuvent alors être interprétées comme des sons par le système nerveux central, sans stimulation acoustique extérieure. Ces signaux sont perçus comme des bruits désagréables, voire insupportables : c’est l’acouphène.

Il existe en outre un lien entre acouphènes et émotions : le cortex auditif interagit en effet avec l’amygdale, une région du cerveau impliquée dans les émotions, qui attribue une valeur positive ou négative aux sons. Si un son est classé comme désagréable, l’amygdale amplifie sa perception par le cortex auditif, qui en retour, le traite comme un signal d’alerte. S’ensuit alors une réaction de stress avec des manifestations physiologiques, comme des frissons ou une accélération du rythme cardiaque… Un phénomène observé chez certains patients qui souffrent d’acouphènes.

Quels sont les facteurs de risque ?

Le risque d’acouphène augmente avec l’âge et avec la perte auditive qui lui est généralement associée (presbyacousie). Il est maximal autour de 65 ans, mais l’âge moyen d’apparition des acouphènes est d’environ 47 ans.

Ce risque augmente également avec l’exposition au bruit au cours de la vie et la survenue de traumatismes sonores. En effet, les niveaux sonores élevés détruisent de façon irréversible des cellules de l’oreille interne (cellules ciliées) et altèrent les fibres nerveuses auditives. Ainsi, dans environ un quart des cas, les acouphènes sont liés à un traumatisme sonore chronique qui résulte d’une activité professionnelle (travail du bois, de l’acier, des minéraux, mécanique, pneumatique, tissage, broyage, concassage, utilisation d’explosifs...). Une étude portant sur des discs jockeys âgés en moyenne de 26 ans, qui travaillent trois nuits par semaine depuis six ans, a montré que 75 % d’entre eux souffrent d’acouphènes.

D’autres événements sont susceptibles d’abimer les fibres nerveuses auditives et d’augmenter le risque d’acouphènes : un traumatisme induit par intervention chirurgicale, une inflammation liée à une otite moyenne, une neuropathie, un médicament toxique pour le système auditif (médicament ototoxique) ou encore un problème vasculaire localisé à proximité du nerf auditif.

Toutefois, dans près de 40 % des cas, la cause des acouphènes dont souffre un patient est inconnue et leur apparition semble spontanée.

Un soulagement est possible

Si les acouphènes motivent une forte demande médicale, il n’existe pas de traitement curatif à ce jour. La prise en charge consiste actuellement à masquer les acouphènes pour réduire la gêne qu’ils provoquent et améliorer le vécu des patients. 

En premier lieu, il est nécessaire de rechercher l’existence d’une perte auditive. En cas de déficit avéré, une aide auditive permet le plus souvent d’améliorer l’audition et de détourner le patient de ses acouphènes : réhabiliter l’audition permet de mieux percevoir l’environnement sonore et donc de masquer le bruit fantôme.

Des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) peuvent être proposées. Elles sont destinées à modifier les perceptions du patient pour lui permettre de prendre le contrôle de ses acouphènes et mieux vivre avec. Cette approche peut passer par un panel varié de techniques ou exercices : gestion du stress, distraction attentionnelle, analyses critiques des pensées délétères (« mon acouphène est insupportable, je le subirai à vie » ...) et élaboration de pensées alternatives pour se détacher de leur perception… Plusieurs études ont montré l’efficacité des TCC dans la prise en charge des acouphènes, à moyen comme à long terme.  Différentes techniques de relaxation (sophrologie, hypnose, méditation de pleine conscience, yoga…) peuvent aussi aider à supprimer la connotation négative d’un acouphène et à relativiser son importance. Les résultats sont cependant aléatoires.

La thérapie sonore correspond quant à elle à l’utilisation de « masqueurs d’acouphènes », destinés à réduire la sensibilité aux acouphènes, voire à s’y habituer. Il s’agit de prothèses qui émettent un bruit de fond, modéré mais permanent, appelé bruit blanc. L’objectif est de favoriser la reprogrammation du système nerveux pour réduire ou supprimer l’attention portée aux acouphènes. Il s’agit d’un traitement à long terme, conduit sur plusieurs mois. Toutefois la mise en place de protocoles standards efficaces reste à l’étude. À ce jour, l’efficacité de cette approche est modérée, et pas forcément supérieure à d’autres types d’interventions telles que les thérapies cognitivo-comportementales ou les techniques de relaxation.

En cas d’anxiété et/ou de dépression, une prise en charge par un psychiatre ou par un psychologue et la prescription de médicaments (anxiolytiques, antidépresseurs) peuvent être utiles : en réduisant les scores de dépression et d’anxiété, l’intensité des acouphènes et la gêne associée diminuent.

Les enjeux de la recherche

Des travaux sont conduits pour progresser dans la compréhension des mécanismes physiologiques à l’origine des acouphènes. Ils sont indispensables pour mieux caractériser ce trouble sur le plan clinique et découvrir de nouveaux traitements. Plusieurs pistes préventives et thérapeutiques sont explorées. 

Réduire le risque lié aux traumatismes sonores

Compte-tenu du lien entre troubles de l’audition et acouphènes, améliorer la prévention des pertes auditives et leur traitement permettrait de réduire l’incidence des acouphènes. Une piste intéressante est celle de la prise en charge des traumatismes sonores, une cause importante d’apparition des acouphènes, liée à la destruction des cellules ciliées de l’oreille interne. Un traitement protecteur, administré dans les heures qui suivent un traumatisme, pourrait atténuer le risque d’acouphènes. Cette approche est en cours de développement (voir notre dossier Troubles de l’audition / surdités).

La neuromodulation pour soulager : plusieurs approches à l’étude

Différentes stratégies de modulation de l’activité du système nerveux sont évaluées pour leur capacité à améliorer le confort des personnes gênées par leurs acouphènes. 

La stimulation de la langue

L’association de la thérapie sonore et d’une stimulation électrique sur la langue semble apporter un bénéfice. Ce dispositif a été testé chez plus de 300 participants, à raison d’une utilisation 60 minutes par jour pendant 12 semaines. Il se compose d’écouteurs sans fil qui délivrent des séquences sonores tandis que des impulsions électriques sont délivrées à la surface de la langue par plusieurs électrodes. Environ 70 % des patients ont ressenti une diminution de la sévérité de leurs acouphènes. Le dispositif est aujourd’hui approuvé par l’agence des produits de santé américain (FDA) sous le nom Lenire.

La stimulation du nerf vague (ou nerf pneumogastrique)

Le couplage de la thérapie sonore avec des stimulations brèves et répétées du nerf vague (au niveau du cou) semble également réduire les acouphènes. C’est ce qu’indique une étude clinique conduite sur 20 patients atteints d’acouphènes chroniques. Ce résultat devra être vérifié en testant l’approche sur un plus grand nombre de patients.

La stimulation électrique transcrânienne

L’utilisation de la stimulation électrique transcrânienne pourrait réduire l’intensité des acouphènes en modulant l’activité électrique du cerveau. En pratique, plusieurs zones corticales (cortex pré-frontal ou temporal) sont excitées de façon non invasive à l’aide d’électrodes posées à la surface du crâne des patients. Un effet favorable a été observé chez certains, sans qu’il soit possible de conclure à l’efficacité de ce traitement. L’approche continue à être explorée.

Le neurofeedback

Cette technique de modulation de l’activité cérébrale utilise notre capacité à la contrôler volontairement en réponse à un retour visuel et/ou auditif de nos mouvements ou pensées. L’utilisation de cette approche dans la prise en charge des acouphènes repose sur le fait que des ondes cérébrales de certains patients qui en souffrent sont altérées. Le neurofeedback pourrait permettre de restaurer ces ondes et de diminuer ainsi le caractère agressif de l’acouphène. Cette piste n’a pas encore donné lieu à la publication de résultats.

Les approches médicamenteuses en échec à ce jour

Il n’existe actuellement aucun traitement médicamenteux des acouphènes et plusieurs essais cliniques visant à tester l’intérêt de différentes molécules se sont soldés par des échecs ou des abandons.

C’est le cas pour les agonistes et antagonistes de la dopamine. Dans la cochlée, la dopamine module l’activité des fibres du nerf auditif. Le pramipexole, un agoniste des récepteurs à la dopamine D2 / D3, a été étudié chez des patients presbyacousiques souffrant d’acouphènes : il a présenté une certaine efficacité par rapport au placebo, toutefois le développement n’a pas été poursuivi. Le sulpiride, un antagoniste de la dopamine, a lui aussi provoqué une diminution des acouphènes – avec un effet renforcé en cas d’association avec de l’hydroxyzine (antihistaminique et anxiolytique) ou de la mélatonine. Mais là encore, il n’y a pas eu de suite donnée à ces premiers résultats.

D’autres essais ont porté sur l’utilisation d’antagonistes des récepteurs NMDA sensibles au glutamate (le principal neurotransmetteur excitateur du système auditif). Situés sur les fibres nerveuses auditives, ces récepteurs jouent un rôle majeur dans l’apparition des acouphènes, en réponse à la présence excessive de glutamate. L’utilisation d’une molécule capable de bloquer cette voie, le keyzilen (AM-101), a semblé apporter un bénéfice chez des patients souffrant d’acouphènes aigus. Mais l’essai clinique de phase 3 qui a suivi n’a malheureusement pas confirmé cette efficacité. Idem pour la gacyclidine (OTO-313).

Pour aller plus loin