Acouphènes

Un fonctionnement aberrant du cortex auditif

Les acouphènes sont des bruits générés spontanément dans la voie auditive, sans qu’ils proviennent de l’extérieur. Ils sont le plus souvent liés à une perte auditive, même s’ils ont parfois une autre origine. Les chercheurs en clarifient peu à peu les mécanismes, pour tenter de proposer des solutions efficaces et durables aux patients les plus affectés. 

Dossier réalisé en collaboration avec Jean-Luc Puel (unité Inserm 1051/université de Montpellier, Institut des neurosciences de Montpellier)

Comprendre les acouphènes

Les acouphènes sont des sifflements, des grésillements ou des bourdonnements d’oreille, quine proviennent pas du monde extérieur. Survenant dans une seule ou deux oreilles, ils peuvent être continus ou intermittents, transitoires ou persistants.  Un acouphène persistant peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. 

Dans environ 80% des cas, les acouphènes sont associés à des troubles de l’audition. Dans les autres cas, bien qu’aucun déficit ne soit retrouvé à l’audiogramme, l’existence de lésions indétectables des fibres nerveuses auditives n’est pas à exclure. 

Une perte auditive serait le plus souvent à l’origine des acouphènes. Face à une déficience de l’audition, le cerveau va se réorganiser pour s’adapter et tenter de pallier cette déficience. Hélas, cette réorganisation peut entrainer un fonctionnement aberrant du cortex auditif. Dans certains cas, des activités anormales générées le long de la voie auditive seront interprétées comme des sons par le système nerveux central. Le cerveau entendra alors donc des sons qui ne correspondent pas à une stimulation acoustique extérieure : c’est l’acouphène !

Un traumatisme induit par intervention chirurgicale, une inflammation liée à une otite moyenne, un médicament toxique pour le système auditif (médicament ototoxique) ou encore un problème vasculaire pouvant générer une gêne à proximité du nerf auditif peuvent également être des causes d’acouphènes.

Une pathologie fréquente

Environ 10% de la population adulte serait touchée par les acouphènes, avec des formes très invalidantes dans moins de 1% des cas.

Le risque d’acouphène augmente avec l’âge et la presbyacousie (perte auditive liée à l’âge), atteignant un pic autour de 65 ans. Ce risque augmente également avec l’exposition au bruit au cours de la vie et la survenue de traumatismes sonores. Une récente étude portant sur des discs jockeys de 26 ans, travaillant trois nuits par semaine depuis six ans, montre que 75% d’entre eux souffrent d’acouphènes.

Le retentissement des acouphènes est très variable d’un individu à l’autre, pouvant aller d’une simple gêne à un handicap sévère dans la vie quotidienne. Les acouphènes peuvent, notamment, entrainer des difficultés pour s’endormir ou pour se concentrer. Ils peuvent aussi provoquer des états d’anxiété et de dépression.

Une prise en charge possible

En cas d’acouphènes, il est utile de consulter pour rechercher une perte auditive. En cas de déficit avéré, une aide auditive permet le plus souvent d’améliorer l’audition et de détourner le patient de ses acouphènes. 

Néanmoins, il n’existe pas de traitement des acouphènes à proprement parler. Dans les cas invalidants, des solutions peuvent toutefois être proposées pour en réduire le retentissement : 

  • des masqueurs d’acouphènes peuvent être proposés. Il s’agit de prothèses qui émettent un bruit de fond, modéré mais permanent, qui masque les acouphènes et en limite la perception ;
  • des thérapies cognitivo-comportementales permettent aux patients d’apprendre à mieux vivre avec leurs acouphènes. Par exemple, la sophrologie peut les aider à supprimer la connotation négative du son et à relativiser son importance. Des thérapies comportementales proposées dans certains hôpitaux les aident à détourner leur attention de cette gêne ;
  • en cas d’anxiété et/ou de dépression, une prise en charge par un psychiatre ou par un psychologue, ainsi que des médicaments (anxiolytiques, antidépresseurs) peuvent être utiles.

Les enjeux de la recherche

De nombreuses pistes sont explorées pour parvenir à mieux soulager les patients, ou même à supprimer durablement les acouphènes. Sans succès à ce jour… mais avec des espoirs réels ! 

Compte-tenu du lien entre troubles de l’audition et acouphènes, améliorer la prévention des pertes auditives et leur prise en charge permettrait de réduire l’incidence des acouphènes. L’exposition au bruit est une cause première de troubles de l’audition : des niveaux sonores élevés détruisent de façon irréversible des cellules de l’oreille interne (cellules ciliées) et altèrent les fibres nerveuses auditives. Ainsi, un traitement limitant la destruction des cellules ciliées, administré dans les heures qui suivent un traumatisme, pourrait atténuer le risque d’apparition des acouphènes. De tels traitements sont en cours de développement (voir notre dossier Troubles de l’audition / surdités).

Des thérapies sonores sont également en cours d’expérimentation. L’idée est d’induire une réorganisation du cortex auditif pour supprimer (ou au moins atténuer) les acouphènes. Concrètement, le patient est exposé à une musique ou à un bruit dépourvu de la fréquence sonore caractéristique de ses acouphènes. Il s’agit d’un traitement à long terme, conduit sur plusieurs mois. 

Des essais de stimulation magnétique transcrânienne ont eu lieu il y a une dizaine d’années. Cette stratégie vise à utiliser les stimulations magnétiques pour provoquer la réorganisation du cortex auditif et réduire les acouphènes. Les résultats obtenus jusqu’ici ne sont pas convaincants. Des stimulations électriques ont également été testées dans le même objectif. Nécessitant l’implantation d’électrodes dans le cerveau, cette technique a été abandonnée dans cette indication : les acouphènes revenaient chez les quelques patients implantés. 

En 2011, des travaux ont suggéré l’intérêt de stimuler le nerf pneumogastrique (aussi appelé nerf vague), situé au niveau du cou. Chez le rat, le couplage de stimuli sonores spécifiques avec des stimulations brèves et répétées du nerf vague semble en effet inverser durablement les modifications neuronales liées à la perte auditive, et réduire les acouphènes. Un protocole clinique a débuté en Belgique, chez des patients souffrant depuis plus d’un an d’acouphènes sévères et d’une perte auditive permettant toutefois d’entendre les stimuli sonores. 

Côté thérapies pharmacologiques, des essais cliniques sont en cours pour tester l’efficacité de molécules à action locale, capables de bloquer les acouphènes dans des modèles animaux. Il s’agit d’antagonistes des récepteurs NMDA sensibles au glutamate. Il semble en effet que les récepteurs NMDA situés sur les fibres nerveuses auditives jouent un rôle majeur dans l’apparition des acouphènes. Ils répondent à la présence excessive de glutamate, principal neurotransmetteur du système auditif, entrainant un surcroit d’excitabilité.

Un essai clinique de phase 3 (AM-101) est en cours dans plusieurs pays, dont la France où sept centres sont impliqués. Le protocole consiste à effectuer des injections répétées de la molécule AM-101 à travers le tympan, à l’aide d’une seringue. L’essai est réalisé chez des personnes ayant des acouphènes depuis moins de trois mois ou anciens de trois à six mois. L’objectif est d’évaluer les effets de la molécule AM-101 à court terme. Les premiers résultats sont attendus pour la fin 2016. Si la molécule se révèle efficace, une mini pompe rechargeable sera nécessaire pour administrer le médicament à volonté. Cette pompe sera implantée dans le rocher, derrière le tympan. Un prototype a été réalisé en partenariat entre l’Inserm (à Montpellier) et le CEA-Leti (Grenoble), mais son développement est loin d’être achevé. 

Une autre société a lancé un essai de phase 1 utilisant un principe actif voisin de l’AM-101, la gacyclidine. La molécule est administrée sous la forme d’un gel, diffusé par un aérateur transtympanique (les fameux « yoyos » utilisés chez les enfants souffrant d’otites récidivantes). 

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