SLA : les motoneurones malades changent de régime

Les patients atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA ou maladie de Charcot) perdent progressivement l’usage de leurs muscles suite à la mort des motoneurones qui les innervent. La collaboration entre plusieurs équipes bordelaises vient de révéler des mécanismes métaboliques permettant aux motoneurones de résister temporairement à leur dépérissement. Ces mécanismes expliquent certaines caractéristiques paradoxales de la maladie et ouvrent de nouvelles pistes de recherche thérapeutiques.

La sclérose latérale amyotrophique (SLA) est une maladie neurodégénérative grave, qui se manifeste par une paralysie progressive des muscles. Cette paralysie résulte de la mort des motoneurones qui, du cerveau à la moelle épinière et de cette dernière aux muscles, transmettent les influx nerveux. Les mécanismes physiopathologiques qui initient et entretiennent la dégénérescence neuronale sont encore mal connus. L’étude d’une forme génétique de la maladie, liée à la mutation du gène SOD1, a néanmoins permis d’ouvrir une piste : la protéine synthétisée à partir de ce gène muté ne se replierait pas correctement : elle s’agrégerait alors sur les mitochondries, centrales énergétiques des cellules, entraînant leur dysfonctionnement dès le stade embryonnaire. 

Une approche globale

« Beaucoup d’études suggèrent que les mitochondries sont impliquées dans la SLA, mais aussi dans plusieurs maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson, voire dans de nombreux cancers, souligne Rodrigue Rossignol*. Pour en savoir plus, nous avons combiné l’étude du fonctionnement de la mitochondrie et l’analyse globale des voies métaboliques, afin de mieux cerner les fonctions touchées dans cette maladie. Nous avons réalisé ce travail à la fois sur des motoneurones de souris présentant la mutation SOD1 et sur des cellules de peau (fibroblastes) de patients chez lesquels l’origine de la SLA n’est pas connue. L’idée qui sous-tend cette approche exploratoire est que, si des altérations se retrouvent dans les deux modèles, elles pourraient correspondre à des mécanismes centraux dans la maladie. »

Publiés dans le numéro de mars de Scientific Reports, les travaux conduits par l’équipe de Rodrigue Rossignol, en collaboration avec celle de Gwendal Le Masson** et le centre hospitalier de référence sur la SLA de Bordeaux, permettent de mieux comprendre les mécanismes biochimiques mis en jeu dans la SLA. Les chercheurs ont en effet montré que la structure des mitochondries est anormale dans les motoneurones de souris SOD1 et que cette anomalie s’accompagne d’une réduction de l’efficacité énergétique : la quantité d’énergie produite par les cellules diminue pour une même consommation d’oxygène. Cette situation accroît la demande énergétique des motoneurones et des stratégies bioénergétiques de survie sont alors mises en jeu. 

S’adapter pour retarder la mort du motoneurone

En analysant de plus près les motoneurones de souris SOD1, l’équipe a montré que ces cellules augmentent très fortement leur production d’énergie à partir des acides gras. Cette voie métabolique est en effet plus efficace que celle qui utilise le glucose. L’oxydation des acides gras devient alors essentielle pour garder le motoneurone en vie : si l’on bloque ce processus, le motoneurone meurt, alors que cette action n’a que peu d’effet sur un motoneurone sain. 

Cependant, il y a un revers à la médaille : ce mode de production d’énergie conduit à la synthèse de substances, les corps cétoniques, qui sont toxiques pour la cellule lorsqu’ils s’y trouvent en trop grande quantité. Mais là encore, le motoneurone s’adapte en inhibant la voie de production des corps cétoniques au profit d’une voie alternative, conduisant à la synthèse de cholestérol. « On obtient une image cohérente, avec un motoneurone malade qui utilise les acides gras pour essayer de pallier la baisse d’efficacité des mitochondries à produire de l’énergie, et modifie par ailleurs la transformation du produit final qui autrement lui serait fatal », résume Rodrigue Rossignol. 

Cette interprétation est confortée par des études récentes qui ont montré la présence de dépôts de cholestérol au niveau des motoneurones des patients atteints de SLA. Elle permet également d’expliquer pourquoi l’hypermétabolisme observé chez certains patients est associé (paradoxalement) à une diminution de la production énergétique. « Les résultats de nos travaux questionnent les stratégies nutritionnelles parfois envisagées pour augmenter la production d’énergie, comme de fournir des corps cétoniques, qui contrarieraient les efforts d’adaptation de la mitochondrie. »

Suite à ce travail, l’enzyme MTP (Mitochondrial Trifunctional Protein ; HADHA/B), impliquée dans l’oxydation des acides gras et dont la production augmente dans les deux modèles utilisés par les chercheurs, apparaît comme un potentiel biomarqueur de la maladie. Mais avant de permettre le diagnostic précoce ou le suivi de la maladie, son intérêt devra être validé chez un plus grand nombre de patients. Parallèlement, ces résultats ouvrent de nombreuses pistes de recherche, que ce soit pour identifier des molécules capables d’aider la mitochondrie ou pour explorer d’autres fonctions cellulaires que ces chercheurs ont également trouvé altérées dans cette maladie. 

Note

*unité 1211 Inserm/Université de Bordeaux, Maladies Rares : Génétique et Métabolisme, équipe Dysmétabolisme et neurodégénérescence : Métabolisme énergétique, Bordeaux 

**unité 1215 Inserm/Université de Bordeaux, équipe Relation glie-neurones, Neurocentre Magendie, Bordeaux 

Source

M. Szelechowki et coll., Metabolic reprogramming in amyotrophic lateral sclerosis, Scientific Reports, édition du 2 mars 2018.