AccueilActualitéScienceTroubles fonctionnels intestinaux : d’où vient l’intolérance aux sucres ?Troubles fonctionnels intestinaux : d’où vient l’intolérance aux sucres ? Publié le : 24/07/2025 Temps de lecture : 4 min Actualité, ScienceUne étude menée par une équipe Inserm rouennaise indique que plus de la moitié des patients atteints de troubles fonctionnels intestinaux présente des symptômes après l’ingestion de lactose et/ou de fructose. Pour autant, ces symptômes ne sont pas forcément liés à des difficultés d’assimilation.Syndrome de l’intestin irritable (SII), constipation, diarrhée, dyspepsie et ballonnement dits « fonctionnels »… Les troubles fonctionnels intestinaux (TFI) toucheraient jusqu’à 40 % des adultes. Pendant longtemps, ils ont été décrits comme des symptômes digestifs non explicables par un problème organique sous-jacent. On sait désormais qu’ils impliquent des mécanismes variés, liés à l’alimentation, au microbiote, à des anomalies associées à une inflammation intestinale, mais aussi à des perturbations de la communication nerveuse entre l’intestin et le cerveau. Afin de mieux refléter cette complexité, on parle donc dorénavant de troubles de l’interaction intestin-cerveau (ou DGBI pour Disorders of Gut-Brain Interaction) et non plus de TFI.Deux suspects souvent incriminésLe fructose et le lactose, deux sucres particulièrement fréquents dans notre alimentation, sont souvent incriminés par les personnes qui souffrent de DGBI. Les patients rapportent fréquemment que leurs symptômes digestifs (douleurs, ballonnements, diarrhées…) surviennent après ingestion d’aliments qui en contiennent. Mais derrière cette notion d’intolérance, les mécanismes peuvent être de nature différente. L’intolérance peut s’expliquer par une assimilation intestinale incomplète de ces sucres, qu’il s’agisse d’une mauvaise absorption (malabsorption) du fructose ou d’une mauvaise digestion (maldigestion) du lactose. Dans ce cas, les sucres non absorbés fermentent dans l’intestin et produisent des gaz qui favorisent l’apparition de symptômes digestifs. Cependant, l’intolérance peut aussi se manifester sans qu’il existe de problème d’assimilation : elle peut alors être liée à des perturbations de la communication entre l’intestin et le cerveau qui entraînent un transit trop rapide ou une hypersensibilité intestinale. Or l’incertitude sur l’origine d’une intolérance complique le diagnostic et la prise en charge diététique des patients.Comment le lactose est-il assimilé ?Le lactose est un glucide présent dans le lait des mammifères (y compris dans le lait maternel humain). Pour être assimilé, il doit d’abord être décomposé en glucose et en galactose, deux sucres facilement absorbés par l’organisme. Ce processus nécessite une enzyme produite par l’intestin, la lactase. Dès lors, un déficit en lactase conduit à la maldigestion du lactose : la molécule qui ne peut être dissociée en sucres assimilables fermente dans l’intestin et favorise l’apparition de symptômes digestifs.Pour y voir plus clair, Chloé Melchior, gastroentérologue et enseignante chercheuse dans l’équipe Inserm dirigée par Moïse Coëffier à l’université de Rouen, a monté une étude conduite auprès de d’environ 300 patients atteints de DGBI. Tous ont été reçus au sein de l’hôpital de jour du service de physiologie digestive du CHU de Rouen dirigé par Guillaume Gourcerol, où ils ont bénéficié d’une évaluation complète. Ils ont en outre répondu à différents questionnaires pour documenter l’intensité de leurs symptômes gastro-intestinaux et extra-intestinaux (maux de tête, douleurs musculaires, fatigue...), le retentissement sur leur qualité de vie ou encore leurs potentiels symptômes anxieux ou dépressifs. « Des tests respiratoires permettent de diagnostiquer une mauvaise assimilation du lactose ou du fructose en analysant l’air exhalé par le patient après ingestion d’une dose test d’un de ces sucres. Mais aucune valeur ne permet de qualifier les situations d’intolérance, explique la chercheuse. Aussi, nous avons demandé aux patients de remplir un questionnaire sur les symptômes ressentis, à intervalles réguliers durant les quatre ou cinq heures qui ont suivi l’ingestion de la dose de glucide, un à la fois. Nous avons identifié les personnes qui étaient intolérantes à l’un et/ou l’autre des deux sucres, à partir d’un seuil défini d’intensité des symptômes ressentis. »Intolérance n’est pas toujours synonyme de malabsorptionCe travail a ainsi mis en évidence que 59 % de la cohorte présentaient une intolérance au fructose et/ou au lactose. « Il s’agit principalement de femmes, qui ont souvent plusieurs DGBI concomitants. Leurs symptômes sont souvent plus sévères et leur qualité de vie moins bonne que les autres. » Mais seulement deux tiers des patients intolérants présentaient une maldigestion du lactose ou une malabsorption du fructose. Ces résultats montrent bien que de nombreuses personnes sont intolérantes sans problème d’assimilation.« En comparant les caractéristiques de ceux qui souffrent d’une intolérance à ceux qui n’en présentent pas, nous avons constaté des différences selon le sucre considéré », précise Hiba Mikhael-Moussa, doctorante qui a conduit l’analyse. L’intolérance au lactose serait souvent liée à une mauvaise assimilation de ce glucide, surtout chez les personnes avec des symptômes sévères. Mais ce lien semble moins clair pour le fructose : d’autres facteurs non étudiés ici comme une hypersensibilité intestinale, des réactions locales de type allergique, ou une altération du microbiote intestinal, pourraient participer à la genèse des symptômes.Ces résultats ont des implications pratiques : ils soulignent que certains patients, même sans problèmes d’assimilation, ressentent des symptômes après ingestion de lactose ou de fructose. Pour ceux-là, la place des régimes d’exclusion reste à démontrer. « Un régime pauvre en glucides, comme le régime pauvre en FODMAP, peut néanmoins améliorer les symptômes des DGBI avec ou sans problèmes d’assimilation, mentionne Chloé Melchior. Tout cela confirme la complexité des troubles de l’interaction intestin-cerveau, l’importance de mieux comprendre leurs mécanismes et celle de mieux évaluer chaque patient de manière holistique, en tenant compte des facteurs psychologiques, pour lui proposer une prise en charge personnalisée qui soit la plus efficace pour lui » conclut la chercheuse.Chloé Melchior est chercheuse dans le laboratoire Nutrition inflammation et axe microbiote-intestin-cerveau (unité 1073 Inserm/Université de Rouen-Normandie) à Rouen.Source : H Mikhael-Moussa et coll. Is Carbohydrate Intolerance Associated With Carbohydrate Malabsorption in Disorders of Gut-Brain Interaction ? Am J Gastroenterol du 8 avril 2025 ; doi : 10.14309/ajg.0000000000003483Autrice : C. G.À lire aussi La rage au ventre : C’est quoi le syndrome de l’intestin irritable ? 😖C’est quoi Une info à digérer : c’est quoi le système nerveux entérique ?C’est quoi Web-émission – Gluten : ami ou ennemi ?Culture scientifique