AccueilActualitéReportages en laboTraquer les virus émergentsTraquer les virus émergents Publié le : 23/10/2025 Temps de lecture : 5 min Reportages en laboÀ Marseille, une équipe de chercheurs lutte contre les virus transmis par les moustiques et autres arthropodes. Diagnostic, surveillance et prévention : au cœur de l’Unité des virus émergents, les scientifiques multiplient les innovations pour mieux comprendre et anticiper la propagation des arbovirus, de la dengue au virus du Nil occidental en passant par le chikungunya.Un reportage à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°66« Ici, j’ai plusieurs moustiques récoltés près d’un hôpital en région parisienne : des Culex pipiens, le moustique commun, petit et brun, et des Aedes albopictus, les fameux moustiques-tigres, raconte Nazli Ayhan, virologue. Nous savons que l’un des Culex est porteur du virus du Nil occidental (ou West Nile Virus). » Pour mettre la main sur le coupable, la chercheuse de l’Inserm dépose chaque moustique dans un petit tube, avec une bille d’acier : un peu de secousse par-dessus, et direction le séquençage pour vérifier la présence d’un virus, et l’identifier. La scène se passe à Marseille, au sein de l’Unité des virus émergents, fer de lance de la recherche contre les arbovirus ! Arbo-quoi ? Mais si : dengue, chikungunya, West Nile, Zika… Derrière cette diversité de maladies aux conséquences parfois terribles se cache un ensemble de virus transmis par des arthropodes : tiques, moucherons… et moustiques. C’est d’ailleurs cette caractéristique – être transmis par les arthropodes – qui leur a donné leur nom : arbovirus, pour ARthropod-BOrne VIRUSes en anglais. L’Unité des virus émergents occupe des locaux dans l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection et la faculté des sciences médicales et paramédicales.SurveillerAlbin Fontaine © Inserm/François GuénetRetour aux moustiques parisiens : comment l’équipe a‑t-elle su que l’un d’entre eux était porteur du virus du Nil occidental ? « Grâce à leurs excrétats », répond Albin Fontaine, entomologiste. Il a perfectionné des pièges à moustiques avec des pièces imprimées en 3D afin de les garder vivants et de récupérer leurs déjections ! Un seul test PCR a suffi pour tester l’ensemble des excrétats et savoir s’ils étaient porteurs de virus. La surveillance épidémiologique des arbovirus passe en effet autant par celle des humains que celle des moustiques.IdentifierDans le laboratoire de culture cellulaire, Nazli Ayhan (arrière-plan) et Laura Pezzi séquencent le génome des virus. © Inserm/François GuénetLaura Pezzi a quant à elle créé une quarantaine de réactifs indispensables au séquençage des virus. Lyophilisés comme du café instantané, ils résistent à la chaleur. L’intérêt ? Pouvoir transporter les réactifs sans que les composants ne soient perturbés par les hautes températures. « La plupart de ces virus frappe dans les territoires ultra-marins ou dans les pays du Sud, rappelle Xavier de Lamballerie, directeur du laboratoire. Il est essentiel de concevoir des outils peu chers qui peuvent être utilisés dans des conditions difficiles. »Géraldine Piorkowski utilise ici un séquenceur nouvelle génération pour identifier le virus d’un prélèvement. © Inserm/François GuénetDiagnostic, surveillance, épidémiologie : trois axes d’action du laboratoire, également centre national de référence (CNR) des arbovirus. Tous les jours, le CNR reçoit des échantillons pour confirmer ou établir des diagnostics. Selon la nature et la date des prélèvements, les techniques diffèrent pour identifier le virus : une analyse PCR identifie directement le génome, tandis que l’analyse du sérum, la partie du liquide sanguin débarrassé de ses cellules et des protéines de la coagulation, permet de repérer la présence d’anticorps, développés à la suite de l’infection.AutomatiserBastien Rivière devant un automate de pipettage © Inserm/François GuénetEn salle de sérologie, justement, tout est automatisé. Dès la création du laboratoire, Xavier de Lamballerie a misé sur l’automatisation : « Les intérêts sont multiples : reproductibilité des expérimentations, gain de temps pour d’autres tâches, rapidité… » Un choix d’autant plus crucial que le laboratoire met à la disposition d’autres équipes sa plateforme de caractérisation immuno-sérologique, Ismev. « Nous utilisons aussi l’intelligence artificielle pour analyser si des cultures cellulaires sont infectées par un virus », explique Karine Barthélemy, virologue Inserm et codirectrice, avec Stéphane Priet, de la plateforme.Xavier de Lamballerie, directeur du laboratoire (debout), et les deux codirecteurs de la plateforme Ismev, Stéphane Priet et Karine Barthélemy, observent les images de cultures cellulaires. © Inserm/François GuénetÉquipement haute-sécuritéBastien Rivière, derrière la vitre du laboratoire P3. Les laboratoires de virologie sont classés en fonction de la dangerosité des agents biologiques qu’ils étudient. Le niveau P3 désigne un laboratoire confiné où sont analysés des agents pathogènes de classe 3 qui peuvent provoquer une maladie grave chez l’humain, mais pour lesquels il existe une prévention sanitaire ou un traitement (VIH, dengue, H1N1, SARS-CoV‑2…) © Inserm/François GuénetAu quatrième étage, dans le laboratoire P3, l’assistant ingénieur Bastien Rivière, teste les capacités neutralisantes du sérum d’un patient. Il est équipé d’une combinaison en Tyvek®, de deux paires de gants, et d’un masque relié à un boîtier de filtration de l’air : « Il est en isolement respiratoire par rapport à l’environnement P3 », explique Guillaume Durand, médecin-biologiste et virologue. Un autre laboratoire P3, situé dans les locaux de la faculté, abrite une animalerie. Car l’Unité des virus émergents développe aussi de la recherche préclinique, l’étape où les molécules sont conçues, étudiées, avant d’être testées sur les humains : modèles animaux, thérapie antivirale, vaccins…Mobiliser l’humainIntégrées à l’ensemble des disciplines qui animent l’unité, les sciences humaines et sociales ne sont pas en reste. Médecin de santé publique, Pierre Verger et ses collègues se penchent sur la question de l’hésitation vaccinale : qu’est-ce qui, dans les conditions de vie, peut l’expliquer ? Une étude auprès de 19 000 infirmiers et infirmières a révélé le rôle de la perception d’une dégradation des conditions de travail. « Deux mécanismes entrent en jeux : une dégradation du lien envers les autorités, qu’elles soient nationales ou locales, et ainsi une diminution de la confiance. Et une baisse de l’engagement dans ce qu’on leur demande de faire », explique Pierre Verger. Identifier les raisons de la défiance de telle ou telle population envers une molécule, un mode opératoire, un traitement est fondamental : rien ne sert de développer un vaccin ou un médicament si les personnes auxquelles ils sont destinés ne l’acceptent pas !La grande fierté de Xavier de Lamballerie ? Avoir fédéré les acteurs de la recherche sur les arbovirus, grâce à ArboFrance. Ce réseau multidisciplinaire et multi-institutionnel, porté par l’ANRS MIE – agence autonome de l’Inserm –, facilite la préparation et la réponse aux épidémies d’arbovirus humains et animaux en métropole et dans les territoires ultra-marins. « Il a contribué à l’élaboration d’EVA, la plus grande collection mondiale de virus », souligne Santiago Betancur, coordinateur du réseau. Un outil précieux alors que le changement climatique favorise l’implantation des moustiques vecteurs et augmente les risques d’épidémies en France métropolitaine.L’Unité des virus émergents (unité 1207 Inserm/Aix-Marseille Université/Université de Corse Pasquale Paoli/IRD) est dirigée par Xavier de Lamballerie. Texte : J. C.Photos : Inserm/François GuénetÀ lire aussi Arbovirus : faire face à la menace en métropoleActualité, Science Hésitation vaccinale : la santé publique, victime collatérale de la défiance politique ?Actualité, Science