Arbovirus : faire face à la menace en métropole

En avril 2023, un avis du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) a alerté sur l’augmentation du risque d’épidémies de dengue, de Zika et de chikungunya en France métropolitaine, en lien avec le changement climatique. Quelle est la situation actuelle ? Quelle évolution probable ? Et que peut faire la recherche biomédicale, notamment celle menée à l’Inserm, pour faire face à cette menace ? Éléments de réponse.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°57

« Au cours des prochains étés », la France pourrait connaître des flambées de dengue, de Zika et de chikungunya, prévient le Covars. Or, souligne le comité d’experts, la métropole n’est pas suffisamment préparée à faire face à ce risque sanitaire, « les capacités de gestion, de prévention et d’anticipation y requérant un renforcement important et rapide ». Heureusement, « grâce à l’expérience de ses territoires ultra-marins déjà confrontés à ces risques, la France a une expertise concrète dans ce domaine, contrairement à la majorité des pays européens. De plus, nous avons la chance d’avoir une communauté de recherche sur ce sujet qui est bien structurée », contrebalance Xavier de Lamballerie, corédacteur de l’avis du Covars et codirecteur du réseau interdisciplinaire français Arbo-France, dédié à la recherche sur les arbovirus. Ceux-ci correspondent à une large famille de virus véhiculés par des insectes et d’autres arthropodes qui se nourrissent du sang d’animaux (moustiques, tiques…). Les agents de la dengue, du Zika et du chikungunya appartiennent à cette famille.

Un moustique posé sous une feuille de plante
Aedes albopictus, aussi nommé « moustique tigre » en raison de ses rayures noires et blanches

Ils sont essentiellement transmis par les moustiques Aedes aegypti, venu d’Afrique, et Aedes albopictus, son cousin originaire de l’Asie du Sud-Est, aussi dit « moustique tigre » en raison de ses rayures noires et blanches. Si la plupart des infections qu’ils provoquent sont sans gravité, ces trois virus peuvent parfois conduire à des complications sévères voire mortelles : des défaillances d’organes en cas de dengue, une microcéphalie (tête anormalement petite) chez des bébés nés de mères infectées par le virus Zika ou encore des douleurs articulaires persistantes et sévères en cas de chikungunya. Certes, la létalité de ces arboviroses est globalement faible : elles sont associées à environ un décès pour mille infections selon la Haute Autorité de santé – contre jusqu’à cinq sur mille pour la Covid. Oui, mais voilà, « si la transmission de ces arboviroses augmente, il y aura aussi plus de formes graves et de risque de saturation des systèmes de santé, et donc davantage de décès », fait remarquer André Cabié, chercheur au centre d’investigation clinique Antilles-Guyane et co-auteur de l’avis du Covars.

Changement climatique et évènements mondiaux

En France, « à ce jour, les arbovirus concernent surtout les territoires ultramarins tropicaux, qui sont confrontés de manière récurrente à la dengue et dont certains ont dû affronter des vagues épidémiques de Zika et de chikungunya », souligne Xavier de Lamballerie. Par exemple, « depuis 2018, La Réunion subit une épidémie de dengue chaque année », illustre Patrick Gérardin, chercheur au centre d’investigation clinique de l’île. Or si une certaine immunité se met en place après chaque épidémie, cette protection diminue avec le temps, ce qui augmente le risque de nouvelles vagues. De plus, concernant la dengue, le risque de formes graves augmente en cas de réinfection.

En métropole, entre mai et décembre 2022, l’agence Santé publique France a enregistré « seulement » 272 cas de dengue, 22 de chikungunya et 3 de Zika. Cependant, ces chiffres pourraient exploser à l’avenir. En cause, notamment le changement climatique : « En raison de la hausse des températures et/ou des variations d’humidité, l’aire de répartition du moustique tigre ne cesse de s’étendre vers le nord », explique Xavier de Lamballerie. Mais le Covars alerte également sur « les grands évènements internationaux prévus prochainement en métropole » comme la Coupe du monde de rugby en septembre 2023 et les jeux Olympiques en 2024. En effet, en engendrant d’importants mouvements de populations, ils augmentent le risque d’épidémie. Problème : il n’existe à ce jour aucun traitement antiviral contre ces trois virus, ni aucun vaccin contre les fièvres Zika et chikungunya. Concernant la dengue, deux vaccins sont disponibles, mais chacun a ses limites : le Dengvaxia® est réservé aux plus de 6 ans déjà infectés au moins une fois ; le Qdenga® est quant à lui encore à l’étude pour s’assurer de son efficacité et de sa sécurité à long terme. Par ailleurs, en France, le système de surveillance, de détection et de gestion de ces maladies reste « perfectible », estime le Covars.

La recherche sur tous les fronts

Cependant, la recherche biomédicale, et notamment celle conduite à l’Inserm, travaille à améliorer la plupart de ces points. Ainsi, à Marseille, l’équipe de Xavier de Lamballerie participe à l’évaluation d’un antiviral contre la dengue : la molécule JNJ-1802, développée par le laboratoire belge Janssen. Lors de travaux publiés en mars 2023, celle-ci s’est avérée « très efficace » chez le macaque rhésus.

À La Réunion, l’équipe de Patrick Mavingui, directeur de l’unité Processus infectieux en milieu insulaire tropical, contribue quant à elle au développement d’une approche pour lutter contre les moustiques tigres sans insecticides, des produits nuisibles pour l’environnement et contre lesquels ces insectes peuvent développer des résistances. Leur idée ? Utiliser une bactérie nommée Wolbachia qui rend ce moustique stérile. « La start-up SymbioTic a réalisé un premier lâcher de mâles stérilisants à La Réunion en 2022. Un second est prévu en 2024. Si son efficacité est confirmée, cette technique pourrait être utilisée en métropole », indique Patrick Mavingui.

Autre recherche intéressante : à la Martinique et à La Réunion, d’autres équipes Inserm tentent d’identifier des facteurs qui permettent de prédire si une personne infectée par la dengue est à risque de forme grave. « En savoir plus est essentiel pour orienter précocement les patients et éviter une saturation de la médecine de ville ou des services hospitaliers en cas de forte épidémie », explique Olivier Maillard, chercheur au centre d’investigation clinique de La Réunion. Lors de travaux parus en avril 2023, l’épidémiologiste et ses collègues ont noté qu’une origine ouest-européenne (par rapport à des origines locales), un antécédent de maladies cardiovasculaires ou encore un retard de diagnostic et de prise en charge augmentent le risque de complications. Mais impossible de citer tous les projets en cours sur la dengue, Zika et le chikungunya… D’autant qu’il s’en lance de nouveaux régulièrement ! En avril 2023, par exemple, le consortium Arbo-France (piloté par l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes) réuni autour d’André Cabié a soumis à financement un vaste projet qui inclut l’ensemble des territoires français (métropole et outremer), destiné à identifier des facteurs prédictifs de formes graves de dengue, de nature cette fois génétique ou biologique. Ainsi, à mesure que le risque augmente, la riposte contre les arbovirus s’accélère. « Nous sommes à l’orée d’une nouvelle ère », estime Xavier de Lamballerie. De quoi mieux faire face à une épidémie si elle survenait, comme le craint le Covars, l’un « des prochains étés » ?

Pour en savoir plus 


Xavier de Lamballerie : unité 1207 Inserm/IRD/Aix- Marseille Université, Virus émergents

André Cabié : CIC 1424 Inserm/Centre hospitalier de Cayenne ; unité 1058 Inserm/EFS/Université des Antilles/Université de Montpellier, Pathogenèse et contrôle des infections chroniques et émergentes

Patrick Gérardin, Olivier Maillard : CIC 1410 Inserm/CHU de La Réunion

Patrick Mavingui : unité 1187 Inserm/Université de La Réunion/CNRS/IRD


Auteur : K. B.

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