AccueilActualitéScienceHésitation vaccinale : la santé publique, victime collatérale de la défiance politique ?Hésitation vaccinale : la santé publique, victime collatérale de la défiance politique ? Publié le : 13/10/2025 Temps de lecture : 6 min Actualité, ScienceAntivax, provax... depuis la pandémie de Covid-19, la confiance des Français dans les vaccins est souvent décrite de façon simplifiée, parfois caricaturée. Il existe en réalité une profonde diversité du degré de confiance envers les vaccins, liée à différents paramètres et notamment au rapport entretenu avec la science et la politique. Restait à en décrire toutes les subtilités. Trois chercheurs en sciences sociales de l’Inserm et de l’Ined ont mené ce travail.La fréquence de la défiance vaccinale a particulièrement augmenté au sein de la population française au cours des dernières décennies : les polémiques autour des vaccins contre l’hépatite B dans les années 1990, la grippe H1N1 en 2009, ou bien évidemment la Covid-19 en 2020–2022 l’ont bien montré. De nombreuses études ont été conduites, notamment depuis cette dernière crise, dans le but de comprendre les raisons pour lesquelles certaines personnes sont réticentes vis-à-vis de la vaccination. Beaucoup de paramètres importants peuvent intervenir : sociodémographiques, géographiques, culturels ou encore politiques. Différents travaux ont ainsi montré que le niveau de confiance des Français envers les institutions peut influencer leur attitude par rapport la vaccination. Mais rares sont ceux qui se sont penchés sur la « boîte noire » de cette confiance institutionnelle, un terme large qui renvoie vers différentes institutions et formes de défiance, envers la science, le gouvernement, les autorités sanitaires… C’est notamment pour explorer cette question que trois chercheurs en sciences sociales – Jeremy Ward et Patrick Peretti-Watel, chercheurs Inserm, et Rana Youssef de l’Institut national d’études démographiques (Ined) – ont analysé les données d’une enquête menée dans le cadre d’Icovac-France, un programme de recherche mis en place en 2023 pour étudier l’impact de la crise Covid-19 sur la vaccination en France.La science et le corps médical globalement hors de causeÀ l’été 2023, les chercheurs ont interrogé plus de 4 300 personnes sur leur attitude envers la vaccination en général et différents vaccins en particulier : Covid-19, rougeole, papillomavirus (HPV), hépatite B et grippe. Dans l’ensemble, 4 répondants sur 5 se sont déclarés favorables à la vaccination, avec toutefois deux nuances importantes, souligne Patrick Peretti-Watel : « La grande majorité des personnes interrogées avait une réticence vis-à-vis d’au moins un vaccin, et il existait une forte disparité selon le type de vaccin. » Les réticences étaient en effet minimes pour le vaccin contre la rougeole (12,1 % des participants y étaient défavorables), mais élevées pour celui contre la Covid-19. Concernant ce dernier, 4 personnes sur 10 déclaraient qu’il avait été inutile aux personnes en bonne santé pendant la pandémie.Mais cette enquête visait surtout à recueillir des informations sur le niveau de confiance accordé par les répondants aux différentes institutions. Une très large majorité ont dit faire confiance aux médecins (82,8 %) et à la science (78 %), alors que trois quarts se sont déclarés défiants vis-à-vis des partis politiques et 64,2 % vis-à-vis du gouvernement. Les médias et les agences sanitaires étaient à peine mieux lotis, avec 63,6 % et 45,6 % de défiance.Cinquante nuances d’hésitation vaccinaleDe manière générale, cette enquête montre que les capacités de compréhension et d’utilisation des informations de santé (on parle de « littératie » en santé), la confiance dans la science et les médecins ainsi que dans certains autres acteurs (agences sanitaires, entreprises pharmaceutiques) déterminent davantage les attitudes vaccinales que les caractéristiques sociodémographiques. Cependant, lorsque les résultats sont scrutés en détail, de véritables spécificités existent selon les vaccins considérés. Ainsi, « le rapport à ceux contre la grippe et la Covid-19 est le plus influencé par le niveau de confiance envers les pouvoirs publics et les laboratoires pharmaceutiques. Pour ces deux vaccins, la confiance en la science pèse moins que la confiance envers ces derniers », rapporte Jeremy Ward.Le rapport aux politiques et l’engagement partisan des participants se sont révélés particulièrement impactants, s’agissant de leur attitude vis-à-vis du vaccin contre la Covid-19. « Lorsque le sujet de la vaccination est politisé, cela peut créer davantage de réticences », souligne Jeremy Ward. Dès lors, les débats politiques autour de cette vaccination lui ont probablement été préjudiciables. « Il existait déjà de nombreux travaux sur la politisation des enjeux vaccinaux, mais cette étude suggère que son influence varie selon les vaccins et les pays », précise Patrick Peretti-Watel. Par exemple, aux États-Unis, la réticence vaccinale vis-à-vis de la Covid-19 est associée à une orientation partisane très prononcée, alors qu’en France, les plus réticents à ce vaccin se retrouvent surtout parmi les dépolitisés. « Cela rejoint des observations d’autres chercheurs qui ont décrit que les personnes qui se sentent discriminées ou abandonnées par les pouvoirs publics ont été plus réticentes vis-à-vis du vaccin contre la Covid-19, à savoir les populations racisées qui vivent en milieu périurbain et celles non racisées du milieu rural », poursuit-il.Il faut se souvenir que les fortes réticences suscitées par les vaccins contre la Covid-19 lors de leur mise sur le marché ont nécessité l’instauration d’une obligation vaccinale pour les soignants et du pass sanitaire en population générale : « Dans ce contexte, s’être fait vacciner ne signifie pas “avoir adhéré à la vaccination”, ce que prouve le taux élevé de répondants qui estiment inutile d’avoir vacciné les personnes en bonne santé durant la pandémie, poursuit le chercheur. Se concentrer uniquement sur le taux de couverture vaccinale n’est donc pas pertinent pour mesurer la confiance réelle. » Raison pour laquelle il était nécessaire de conduire cette étude, de manière à pouvoir hiérarchiser les différents paramètres sociodémographiques et de confiance institutionnelle qui influencent l’adhésion aux différentes vaccinations. L’objectif de ce travail n’était pas de faire des préconisations précises, mais plutôt d’apporter des éléments de réflexion sur la manière d’accompagner la vaccination et la santé publique. « Lorsqu’on met en place des campagnes qui visent à aller à la rencontre des populations pour favoriser la vaccination, on peut rencontrer une forte défiance, reconnaît Patrick Peretti-Watel. Il est donc essentiel de prendre en compte tous les paramètres en amont : la confiance se construit sur le long terme. » Autrement dit, essayer de rétablir la confiance uniquement au moment d’un événement épidémique est trop tardif. C’est pourquoi cette réflexion doit être intégrée dans le temps et à tous les niveaux, afin de mieux anticiper et accompagner la population lors de futures crises sanitaires.Opinions sur les vaccins depuis mai 2021Évolution des opinions sur les vaccins en général et sur différents vaccins (enquêtes Covireivac, Slavaco et Icovac), d’après la figure 9 de la note Vaccinations saisonnières et contexte, expériences et ressentis de la dernière consultation vaccinale, publiée en juillet 2025 dans le cadre de la vague 4 de l’enquête Icovac. Consulter la note (pdf, 463 ko), télécharger les données (xls, 29 ko)Associé aux données des autres enquêtes d’Icovac-France et à celles obtenues lors du programme Slavaco (pour Suivi longitudinal des attitudes à l’égard d’un vaccin contre la Covid-19), conduit de 2021 à 2023 avec un financement de l’Agence nationale de la recherche, ce travail permet de suivre l’évolution des rapports à ces différents vaccins dans le temps. Il apparaît que les niveaux de confiance actuels sur l’ensemble des vaccins évalués sont supérieurs à ceux qui étaient déclarés pendant la fin de la pandémie de Covid-19. Cependant, depuis la fin 2023, un tassement ou une légère diminution est observée. Les prochaines enquêtes sont attendues avec impatience pour déterminer si cette dynamique se confirme ou non.Jeremy Ward est chercheur Inserm au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société (Cermes 3, unité 988 Inserm/CNRS/Université Paris-Cité/École des hautes études en sciences sociales) à Villejuif. Rana Youssef est démographe, ingénieure d’études à l’Institut national des études démographiques (Ined), à Aubervilliers. Patrick Peretti-Watel est chercheur Inserm dans l’unité Virus émergents (unité 1207 Inserm/IRD/Aix-Marseille Université) à Marseille.Source : JK Ward, R Youssef et P. Peretti-Watel. Different vaccines, different trust issues ? Disentangling the effect of trust in various institutions using dominance analysis. Vaccine, 27 août 2025 ; DOI : 10.1016/j.vaccine.2025.127668Autrice : C. G.À lire aussi Vaccins et vaccinationsLa vaccination consiste à protéger un individu contre une maladie en stimulant son système…