Les FODMAPs, des sucres qui altèrent la barrière intestinale

Lactose, fructose, fructane, galactanes… : les FODMAPs sont des sucres difficiles à digérer, qui fermentent dans le côlon. Leur consommation peut favoriser les douleurs et l’inconfort ressentis par les personnes qui souffrent du syndrome de l’intestin irritable, mais les mécanismes qui les impliquent dans cette symptomatologie sont encore mal compris. À Toulouse, Jasper Kamphuis vient de mettre en évidence le rôle d’un produit issu de leur fermentation : les AGE. Ces résidus entraineraient la survenue d’anomalies structurelles de la barrière intestinale.

Le syndrome de l’intestin irritable (SII) est un trouble du fonctionnement de l’intestin qui entraîne des douleurs abdominales et une perturbation du transit. Il toucherait jusqu’à 10 % de la population, avec un impact parfois important sur la qualité de vie. L’origine de ce trouble et ses mécanismes demeurent mal connus, mais on sait qu’il est associé à une altération de la barrière intestinale. En outre, la consommation de FODMAPs (pour fermentable oligo‑, di‑, mono- saccharides and polyols) – des sucres mal absorbés au niveau de l’intestin grêle et fermentés par les bactéries intestinales dans le côlon – semble aggraver les symptômes sans que l’on sache exactement pourquoi. Certains patients sont donc incités à réduire leurs apports en aliments qui en contiennent : oignons, lentilles, soja, asperges, brocoli et autres choux, haricots, ail, certains fruits, lait, produits sucrés avec du sirop de maïs ou encore certains édulcorants…

Pour comprendre l’effet biologique des FODMAPs sur le système intestinal, Jasper Kamphuis a conduit des travaux chez la souris, d’abord à INRAE puis à l’Inserm* au sein de l’Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires. Pendant trois semaines, le chercheur et ses collègues ont administré deux types de FODMAPs à des rongeurs, du lactose et des fructo-oligosaccharides. Ils ont ensuite analysé la barrière intestinale de ces animaux, ainsi que celle de souris témoins qui n’avaient pas reçu de FODMAPs. Certains animaux nourris avec des FODMAPs ont en outre reçu de la pyridoxamine, une vitamine B6 qui a la propriété de bloquer la formation des résidus de glycation issus de la fermentation des FODMAPs. Ces résidus, nommés AGE (pour advanced glycation end-product), sont soupçonnés de contribuer aux symptômes du SII : « De précédents travaux suggèrent que les AGE augmentent le recrutement local d’un type de globules blancs, les mastocytes. Or, ces derniers interagissent avec les cellules de la paroi intestinale qui produisent le mucus, un facteur clé de la qualité de la barrière intestinale. L’utilisation de la pyridoxamine devait donc nous permettre de vérifier si d’éventuelles anomalies associées à la prise de FODMAPs étaient dues aux AGE ou à d’autres molécules », explique le chercheur.

Les AGE, intermédiaires clés

En étudiant la composition de la barrière intestinale des souris qui avaient consommé des FODMAPs, l’équipe a constaté une accumulation de mastocytes et une irrégularité de la couche de mucus, épaisse à certains endroits et fine à d’autres, alors qu’elle est d’épaisseur égale chez les animaux témoins. « Là où le mucus est fin, on peut supposer que l’efficacité du rôle de barrière joué par la paroi intestinale est réduite, augmentant le risque d’accroissement de la perméabilité intestinale », détaille le chercheur. L’équipe a par ailleurs confirmé l’implication des AGE, puisque les animaux qui avaient consommé des FODMAPs et qui étaient supplémentés en pyridoxamine présentaient une couche de mucus régulière. « Bloquer la formation des AGE a empêché l’apparition des anomalies de la muqueuse intestinale : ces molécules sont donc bien les médiateurs de l’effet des FODMAPs sur la barrière intestinale. »

Toutefois, il ne peut être envisagé d’utiliser la pyridoxamine en tant que traitement pour les patients atteints de SII : « Pour ce travail, elle a été administrée à des doses très élevées, inenvisageables chez l’humain, clarifie d’emblée Jasper Kamphuis, mais cela nous a permis de comprendre les mécanismes médiés par les FODMAPs. À terme, on pourrait aider à limiter la formation des AGE par d’autres moyens, dans le but de limiter les exclusions alimentaires qui sont difficiles à vivre à long terme pour les patients car elles sont nombreuses », conclut-il.

Note :
*unité 1291 Inserm/CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier, Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires (Infinity), équipe Asthme, allergie et immunothérapie

Source : J. Kamphuis et coll. Increased fermentable carbohydrate intake alters colonic mucus barrier function through glycation processes and increased mast cell counts. FASEB J, édition en ligne du 8 avril 2022. DOI : 10.1096/fj.202100494RRR

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