Du neuf dans la sexualité des ados

Une entrée dans la sexualité plus tardive, une parole plus libre, des rapports un peu moins bien protégés, ou encore des violences numériques qui voient le jour. Toutes les études sont formelles : la sexualité des adolescents est en pleine évolution !

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°64

« L’enquête Contexte des sexualités en France 2023 (CSF-2023), menée auprès de plus de 20 000 adultes, montre qu’il y a eu ces dernières années des évolutions très importantes avec notamment des pratiques qui se diversifient, le recours à la sexualité numérique, mais aussi des violences préoccupantes et une utilisation insuffisante de la prévention », résume sa coresponsable scientifique Nathalie Bajos, sociologue et directrice de recherche Inserm à Paris. Or, la sexualité des adolescents connaît aussi des changements notables, certains similaires, comme en témoignent l’Enquête nationale en collèges et en lycées chez les adolescents sur la santé et les substances (EnCLASS) ou encore l’étude Vie affective et violences sexuelles à l’adolescence (Vavisa).

Une entrée dans la sexualité plus tardive

« Le premier constat d’EnCLASS 2022, qui a interrogé plus de 10 000 élèves, est que, contrairement à ce que certains discours laissent entendre, les adolescents ne prennent pas toujours plus de risques en matière de sexualité, souligne sa coordinatrice Emmanuelle Godeau, enseignante chercheuse à l’École des hautes études en santé publique à Rennes. En effet, nous observons qu’entre 2010 et 2022, il y a un net recul de la proportion des élèves qui ont eu des rapports sexuels, notamment au collège, où ils sont deux fois moins nombreux. L’entrée dans une sexualité active est donc plus tardive ; une tendance observée aussi dans l’enquête CSF-2023. »

Autre similitude, « au collège, le pourcentage d’élèves à éprouver des sentiments amoureux vis-à-vis du même sexe ou des deux sexes est passé de 1,6 % en 2018 à 3,9 % en 2022 pour les garçons, et de 4,1 % à 9,4 % pour les filles », décrit la chercheuse. Et de préciser : « Contrairement à CSF- 2023, EnCLASS n’interroge pas les élèves sur leurs pratiques sexuelles. Nos résultats montrent donc que davantage d’adolescents s’autorisent à déclarer une attirance ou des sentiments amoureux homosexuels ou bisexuels qu’auparavant. »

Des rapports moyennement protégés

Côté contraception, la désaffection pour la pilule perdure aussi bien au lycée que chez les femmes âgées de 18 à 29 ans, au profit dans ce cas d’autres moyens (préservatif, stérilet...). Mais en parallèle, la contraception d’urgence augmente fortement. Et en 2023, plus de la moitié des femmes de moins de 30 ans qui ont eu une grossesse dans les cinq ans ne la souhaitait pas. « L’usage du préservatif a quant à lui diminué au collège, complète Emmanuelle Godeau. Ce n’est pas satisfaisant, mais la baisse est moindre que dans d’autres pays. » En revanche, il y a moins de lycéennes que de collégiennes qui l’utilisent, et à peine la moitié des jeunes femmes de l’enquête CSF-2023 se protègent lors d’un premier rapport avec un nouveau partenaire, dans un contexte où le taux d’infections sexuellement transmissibles augmente.

Au-delà de ces risques sanitaires, un volet sombre de la sexualité réside dans les violences associées dont les déclarations augmentent. Cela peut « traduire à la fois une augmentation de la capacité à qualifier les faits de violence et [celle] de la fréquence de tels évènements, mais aussi une plus grande facilité à les évoquer dans le cadre d’une recherche », relativise le rapport CSF-2023.

Les violences mieux cernées… et nombreuses

Elles existent néanmoins, y compris chez les adolescents. Pour preuve : l’enquête Vavisa. « C’est une étude pilote faite auprès de 115 jeunes âgés de 15 à 21 ans, souvent suivis par des structures comme l’Aide sociale à l’enfance et donc vulnérables. Malgré ce biais, certains de nos résultats sont cohérents, précise sa responsable Fabienne El Khoury, épidémiologiste et chercheuse Inserm à Paris. Un tiers des jeunes – dont quatre fois plus de filles que de garçons – ont déjà eu une expérience sexuelle sans en avoir envie, ce qui constitue une violence. Par ailleurs, 80 % des victimes de violences sexuelles connaissaient leur agresseur, 20 % n’en n’ont jamais parlé, et ceux qui l’ont fait se sont peu tournés vers des professionnels. »

Quant à la sexualité numérique (sites ou applications de rencontre, échange d’images intimes), très courante chez les jeunes de moins de 30 ans selon CSF-2023, elle a aussi ses travers. Un quart des participants à Vavisa a été victime de cyberviolences (insultes, plaisanteries à caractère sexuel…), de manière récurrente pour plus d’un tiers. En outre, « presque 70 % ont déjà regardé de la pornographie ; mais inversement, plus de la moitié a reçu des images à caractère sexuel sans le souhaiter, indique Fabienne El Khoury. Enfin, les victimes de violences ont un risque plus élevé de présenter une santé mentale dégradée. »

« Un risque accru observé aussi chez les adolescents attirés par les deux sexes », complète Emmanuelle Godeau. De plus, ceux attirés par les deux sexes ou le même ont une sexualité plus à risque et sont plus fréquemment victimes de harcèlement. « Or, nous avons observé que les programmes tels que celui qui va renforcer, à la rentrée prochaine, l’éducation à la vie affective et relationnelle dans les écoles, mais aussi à la sexualité dans les collèges et les lycées, sont efficaces pour limiter ces phénomènes, complète la chercheuse. Et plus largement, ils favorisent le respect, l’égalité, aident à trouver les bonnes informations, à acquérir un esprit critique à l’égard des divers discours reçus. » Un constat partagé par Fabienne El Khoury, qui souligne que « ce programme doit s’inscrire dans la durée car il faut du temps pour en voir les effets. »


Nathalie Bajos est sociologue et directrice de recherche Inserm à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (unité 997 Inserm/ CNRS/EHESS/ Université Sorbonne Paris Nord), à Paris.

Emmanuelle Godeau est enseignante chercheuse à l’École des hautes études en santé publique et au Centre d’épidémiologie et de recherche en santé des populations de Toulouse (unité 1295 Inserm/ Université Toulouse).

Fabienne El Khoury est épidémiologiste et chercheuse à l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (unité 1136 Inserm/ Sorbonne Université), à Paris.


Autrice : F. D. M.

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