AccueilActualitéPortraitsBlaise Yvert : faire parler le cerveauBlaise Yvert : faire parler le cerveau Publié le : 05/06/2025 Temps de lecture : 5 min Actualité, PortraitsBlaise Yvert a un objectif : faire reparler les personnes paralysées qui ont perdu leurs facultés vocales. Avec son équipe de l’Institut des neurosciences de Grenoble, il développe un dispositif capable de décoder les signaux cérébraux associés à la parole, pour que celle-ci puisse être produite par un appareil externe. On parle d’interface cerveau-machine.Blaise Yvert, directeur de recherche Inserm, responsable de l’équipe Neurotechnologies et dynamiques des réseaux au Grenoble Institut des neurosciences (unité 1216 Inserm/Université Grenoble-Alpes), à Grenoble.Les travaux de Blaise Yvert rendront-ils la parole à ceux qui l’ont perdue ? C’est bien ce qu’espère ce directeur de recherche Inserm responsable de l’équipe Neurotechnologies et dynamiques des réseaux à l’Institut des neurosciences de Grenoble. Depuis une dizaine d’années, il travaille au développement d’une interface cerveau-machine pour décoder les signaux cérébraux de la parole et restituer les propos de personnes dans l’incapacité de les énoncer. Récemment, son projet a été sélectionné dans le cadre du programme Impact Santé, financé par France 2030 et porté par l’Inserm. Brain Implant, le consortium scientifique qu’il a rassemblé pour ce projet, bénéficie d’un montant de trois millions d’euros pour développer un nouvel implant cérébral qui permettra d’améliorer la précision de reconstruction de la parole à partir de l’activité cérébrale. D’ingénieur à chercheurCette volonté remonte à ses études d’ingénieur, conduites à l’École centrale de Lyon et à l’université américaine Cornell. « J’étais attiré par la recherche et je voulais développer des technologies pour la santé, en particulier au service des personnes handicapées. J’ai été en contact avec plusieurs d’entre elles dans ma jeunesse et je suis sensible à cette cause », explique Blaise Yvert. Dès l’obtention de son diplôme en 1993, le jeune ingénieur est accueilli dans un laboratoire d’électrophysiologie humaine de l’Inserm, à Lyon. « L’équipe cherchait à localiser mathématiquement les zones cérébrales responsables des signaux enregistrés à la surface de la tête. Cela m’a particulièrement intéressé. », se remémore-t-il. Au cours de deux postdoctorats, en Finlande et en Allemagne, le chercheur utilise ensuite cette démarche pour identifier les zones auditives. Mais il réalise que, même pour des sons très simples, le schéma d’activation du cortex est trop complexe pour être finement compris avec des enregistrements non invasifs. « Alors je me suis dit : développons des systèmes plus sophistiqués, pour aller voir plus précisément ce qui se passe dans les réseaux de neurones. »Vers une nouvelle technologieDans cet objectif et après avoir obtenu un poste de chargé de recherche à l’Inserm, Blaise Yvert rejoint en 2003 un laboratoire bordelais qui s’intéresse aux réseaux de neurones de la moelle épinière en développement. Il y initie un partenariat avec le CEA de Grenoble et l’école d’ingénieurs ESIEE à Paris qui dispose de laboratoires académiques, pour développer des réseaux de microélectrodes qui permettent d’explorer finement l’activité des tissus neuronaux in vitro. Un premier prototype est finalisé trois ans plus tard. Au travers de multiples collaborations, il ne cessera ensuite d’améliorer cette technologie avec notamment de nouveaux matériaux pour augmenter les performances des électrodes (platine, diamant et plus récemment graphène).Puis, le chercheur souhaite mettre ses travaux au service des patients. Avec ce projet en tête, il part un an à l’université de Brown aux États-Unis, dans un laboratoire précurseur en matière d’interfaces cerveau-machine implantables chez l’humain. De retour en France, il rejoint l’Institut des neurosciences de Grenoble et démarre son projet autour du décodage des signaux cérébraux de la parole. Il collabore notamment avec l’institut Clinatec créé par le CEA, « un environnement unique pour créer de nouvelles stratégies de réhabilitation pour des personnes paralysées », estime-t-il.L’interface à laquelle Blaise Yvert consacre son travail s’adresse notamment aux personnes atteintes de « locked-in syndrome » (LIS). Elles ne peuvent ni bouger ni parler en raison d’une paralysie complète, mais leurs facultés cognitives sont intactes. « Les activités corticales produites lorsqu’elles veulent dire quelque chose sont toujours présentes, donc si on arrive à les décoder avec nos implants, nous pourrons restituer ce qu’elles souhaitent dire », espère le chercheur. Un premier essai clinique devrait débuter en 2025, « si les étapes règlementaires se passent bien », prévient-il. Cette étude inclura des personnes LIS qui seront équipées d’un implant développé par Clinatec, positionné en surface du cerveau. « Ce dispositif fournit des signaux très stables à long terme, avec une transmission sans fil à travers la peau », précise-t-il.Poursuivre et accélérer le développementEn parallèle, le scientifique n’oublie pas l’aspect fondamental qui a toujours été source de motivation dans son travail. « Nous explorons par exemple l’activité cérébrale d’un nouveau modèle animal qui vocalise beaucoup, le cochon. Ce modèle nous permet de tester de nouveaux types d’implants, plus performants, en vue d’une éventuelle utilisation future chez l’humain. On pourra également voir s’il existe des similarités entre les données recueillies chez l’animal et chez l’humain ».Pour décoder finement l’activité cérébrale, il estime qu’il faudra encore améliorer les dispositifs : augmenter le nombre d’électrodes, innover dans les matériaux et l’électronique intégrée. C’est l’objet du projet Brain Implant. « Nous voulons créer une brique technologique qui servirait à la fois pour la recherche fondamentale et pour développer des interfaces cerveau-machine à usage clinique dans différentes indications : pour restaurer la parole ou d’autres fonctions motrices », explique-t-il. Ces développements et leurs enjeux pour l’humain et la société s’accompagnent immanquablement de questions éthiques autour desquelles Blaise Yvert a mis en place un travail de réflexions, conduit en collaboration avec des philosophes et des associations de patients. Et comme si tout cela ne suffisait pas, le chercheur dirige également, depuis début 2025, le Grenoble Initiative in Medical Devices (LabEx GIMeD), un partenariat de recherche sur les dispositifs médicaux. « Le but est de rassembler les laboratoires pluridisciplinaires qui développent des technologies de santé, incluant des équipes spécialisées dans les sciences humaines et sociales pour réfléchir aux implications de ces technologies. De cet écosystème, de nouveaux projets devraient émerger », dessine-t-il pour la suite.Avec du recul, Blaise Yvert constate que la prise de risque au cours de sa carrière lui a réussi. « Lorsque je suis passé de l’enregistrement cérébral non invasif chez l’humain au développement technologique de systèmes in vitro, je suis sorti de ma zone de confort. Mais finalement, ce saut a été indispensable pour ensuite préparer le développement d’une interface qui, je l’espère, pourra un jour rendre de vrais services aux patients », conclut-il.Blaise Yvert est directeur de recherche Inserm, responsable de l’équipe Neurotechnologies et dynamiques des réseaux au Grenoble Institut des neurosciences (unité 1216 Inserm/Université Grenoble-Alpes), à Grenoble.Autrice : A. R.À lire aussi Interface cerveau-machine (ICM) L’humain augmenté, un futur souhaitable ?Actualité, Science Transmission de pensée – C’est quoi une neuroprothèse ?C’est quoi