Andreas Frick : Comprendre les atteintes sensorielles des autistes

Presque tous les autistes voient tout ou partie de leurs sens montrer des aspects inhabituels. Par exemple, le contact avec certaines matières peut leur être insupportable. Andreas Frick, directeur de recherche Inserm au Neurocentre Magendie de Bordeaux, tente de comprendre les dysfonctionnements neuronaux à l’origine de cette perception atypique afin de proposer des traitements. Ses travaux ont reçu le soutien du prix Marcel- Dassault 2019 de la fondation Fondamental.

Un article à retrouver dans le n°47 du magazine de l’Inserm

Andreas Frick ©Inserm/François Guénet
Andreas Frick ©Inserm/François Guénet

Parmi les troubles du spectre de l’autisme (TSA), les atteintes de la cognition sociale, les comportements répétitifs et les intérêts restreints sont les plus connus. Mais une grande majorité des personnes avec autisme – 85 à 90% selon les études – ont aussi une perception atypique des stimuli sensoriels : vue, ouïe, toucher, goût, odorat. Ainsi, ces troubles ont été inclus dans les critères des TSA en 2013, ce qui permet de mieux les diagnostiquer et les prendre en charge. Une amélioration des connaissances à laquelle travaille Andreas Frick, au Neurocentre Magendie* de Bordeaux. En 2019, le chercheur a reçu le prix Marcel-Dassault de la fondation Fondamental, qui salue sa démarche : « Comprendre le fonctionnement des neurones pour aider à expliquer les atteintes cliniques observées dans les maladies psychiatriques », résume-t-il. 

Allier recherches fondamentales et appliquées est indéniablement le maître-mot du parcours du chercheur d’origine allemande depuis qu’il s’est engagé dans les neurosciences. Un choix qui ne s’est pourtant pas présenté à l’origine comme une évidence. « À l’issue du lycée, j’ai hésité entre des études d’art, d’architecture et de biologie, explique Andreas Frick. J’ai finalement choisi la biologie marine, puis les neurosciences. »

De la compréhension du fonctionnement fondamental des neurones…

Lors de son master, puis de sa thèse, tous deux effectués à l’institut de psychiatrie Max-Planck à Munich, il a « tout d’abord voulu comprendre le fonctionnement très fondamental des neurones et comment ils traitent les informations au niveau du néocortex, relate-t-il. Cette couche externe des hémisphères cérébraux, qui représente presque 70% du cerveau, est impliquée dans la mémoire, le contrôle moteur, le langage et le traitement des informations sensorielles. » Puis, dans la foulée, en 1999 pour son post-doctorat, il rejoint le Baylor College of Medicine à Houston aux États-Unis et intègre l’équipe de Daniel Johnston, spécialiste du traitement et du stockage de l’information dans les neurones. Il continue à y étudier une population particulière de neurones du cortex, les neurones pyramidaux, ainsi nommés en raison de leur corps cellulaire en forme de pyramide, et capables de s’adapter aux stimuli. Il s’intéresse alors plus particulièrement à la plasticité de leur excitabilité, qui peut entraver le traitement et le stockage de l’information. « Cette expérience a été très riche au niveau scientifique, mais aussi personnel car l’endroit était marqué par une vie artistique internationale intense. Par ailleurs, durant cette période, j’ai eu l’occasion d’aller au laboratoire de biologie marine de Woods Hole, où j’ai pu développer des collaborations, notamment avec Jeffrey Magee du centre de neuroscience de La Nouvelle-Orléans, se remémore le chercheur. Ces cinq années aux États-Unis ont été géniales, et j’ai eu l’opportunité d’y rester en tant que professeur assistant à l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill. Mais pour des raisons sociales et culturelles, j’ai préféré rentrer en Allemagne. Je restais très européen. »

Il intègre donc l’institut Max-Planck de recherche médicale à Heidelberg en 2004. Il y crée son propre groupe de recherche au sein du laboratoire de physiologie cellulaire dirigé par Bert Sakmann, Prix Nobel de médecine en 1991. « J’étais persuadé que les recherches fondamentales, en particulier celles sur le traitement sensoriel, pouvaient éclairer des maladies neurologiques et psychiatriques, souligne Andreas Frick. Or, grâce à Bert Sakmann, j’ai pu étudier les microcircuits néocorticaux impliqués dans le traitement de l’information sensorielle. Ça a été aussi l’occasion de débuter mon travail sur un modèle murin du syndrome de l’X fragile, qui est une cause fréquente d’autisme. Toutefois, au bout de trois ans, je ne voyais pas d’opportunités intéressantes en Allemagne. J’ai donc cherché d’autres options en Grande-Bretagne, en Suisse et en France. » C’est alors que Giovani Marsicano, qu’Andreas Frick avait connu à l’institut Max-Planck à Munich, lui parle du Neurocentre Magendie à Bordeaux qu’il venait de rejoindre. 

… à celle du traitement des informations sensorielles dans le contexte de l’autisme

Dès sa rencontre avec le directeur, Pier-Vincenzo Piazza (Grand Prix Inserm 2015), le chercheur allemand est convaincu qu’il pourra s’épanouir dans le centre de recherche bordelais. « J’ai trouvé que cet institut tout juste fondé [en 2007, ndlr.] était très attractif. Il regroupait des équipes internationales d’excellent niveau et était reconnu au niveau européen. De plus, l’Inserm possède une culture favorisant les applications cliniques. » Ainsi, en 2008, grâce à un financement Inserm Avenir, il y constitue sa propre équipe. L’année suivante, il réussit le concours de chargé de recherche Inserm. Et depuis 2016, il est directeur de recherche, responsable de l’équipe Mécanismes de la plasticité corticale dans les conditions normales et pathologiques. Les circuits neuronaux du néocortex sont donc restés au cœur de ses travaux, mais selon deux axes en lien avec la clinique. Il s’intéresse aux mécanismes de formation de la mémoire et au traitement des informations sensorielles dans le contexte de l’autisme. « En 2014, nous avons montré dans un modèle murin du syndrome de l’X fragile que l’hypersensibilité tactile est liée à un dysfonctionnement de canaux qui laissent passer des ions au niveau des neurones, précise le chercheur. Il s’avère que les systèmes sensoriels tactiles de la patte de la souris et de la main de l’Homme présentent 90 à 95% de similitudes. Le mécanisme découvert chez la souris pourrait donc être une cible thérapeutique potentiellement utile pour les autistes. »

Aujourd’hui, c’est cette proximité entre la souris et l’Homme qu’il souhaite exploiter plus largement. « Nous cherchons à définir des tâches comportementales comparables chez l’un et l’autre qui induisent des perceptions atypiques. Puis nous étudierons, grâce à divers outils comme par exemple l’imagerie ou l’électrophysiologie, ce qu’il se passe au niveau de la zone du néocortex qui traite ces informations sensorielles. L’objectif est d’obtenir des signatures caractéristiques d’un traitement atypique. Enfin, grâce aux souris, nous pourrons observer ce qu’il se passe au niveau cellulaire, définir ainsi des cibles thérapeutiques et tester des traitements pharmacologiques qui pourraient à terme soulager les autistes, décrit Andreas Frick. Or pour mener à bien ces travaux, le prix Marcel-Dassault est un soutien très important. Outre la reconnaissance de notre démarche, il nous permet d’embaucher un post-doctorant, de compléter nos équipements et surtout de faciliter les collaborations avec les médecins au travers de la fondation Fondamental. »

Pas de doute, douze ans après son arrivée à Bordeaux, le chercheur allemand ne regrette pas son choix. Sa femme, Melanie Ginger, qui travaille avec lui, et leurs deux filles de 11 et 14 ans, non plus. « Celles-ci sont très bien intégrées, et même si j’ai peu de temps, Bordeaux me permet de faire de l’escalade, du ski, de profiter de la mer, reconnaît-il. Il n’est donc pas question de bouger à nouveau ! »

Note :
*unité 1215 Inserm/Université de Bordeaux