Camille Berthelot : « Comprendre l’origine des règles pourrait aider à soigner l’endométriose »

Les espèces animales concernées par les règles sont rares. Camille Berthelot, chargée de recherche Inserm à l’institut Pasteur, compare les génomes de différentes espèces pour identifier les gènes à l’origine des menstruations et, potentiellement, des dysfonctionnements qui conduisent à l’endométriose.

Portrait photo de Camille Berthelot
Camille Berthelot

Les menstruations sont le propre de rares mammifères : l’humain, quelques autres primates, certaines chauves-souris, et une ou deux espèces assez singulières comme la musaraigne-éléphant ou la souris épineuse. Quel est l’intérêt de ces menstruations sur le plan évolutif et par quels processus génétiques sont-elles régies ? Camille Berthelot souhaite apporter des réponses à ces questions. En 2019, elle a été lauréate d’un financement du Conseil européen de la recherche (ERC) pour un projet qui vise justement à étudier l’évolution de la menstruation chez les primates. Un sujet qui trouve sa genèse dans son histoire personnelle.

« Lorsque j’étais lycéenne, les découvertes sur l’ADN ancien faisaient l’actualité : le fait que l’on puisse remonter l’histoire des espèces sur le plan génétique m’a fasciné et a orienté les études de biologie que je souhaitais conduire. Après un master à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon, j’ai rejoint l’ENS Paris pour préparer un doctorat sur la façon dont la structure des génomes s’est réorganisée au cours de l’évolution », raconte la chercheuse. En 2016, elle intègre l’Inserm pour poursuivre des travaux de génomique comparative et, très vite, elle s’intéresse aux menstruations : « À l’époque, une amie venait de recevoir un diagnostic d’endométriose. » Cette maladie qui peut être très douloureuse découlerait de l’implantation en dehors de la cavité utérine de cellules utérines présentes dans le sang des règles. « J’ai souhaité explorer ce que l’on savait sur cette maladie. Mais je me suis aperçue qu’il existait très peu de données en dehors des aspects purement cliniques. Plus largement, il m’est apparu que les connaissances sur les fonctions biologiques qui régissent le système reproductif féminin sont rares, en comparaison avec ce que l’on sait sur celui des hommes. Par exemple, les règles répondent à des mécanismes dont on ne sait finalement que peu de choses. »

Camille Berthelot décide alors de monter un projet pour appliquer son expertise en génomique comparative à ce nouveau champ d’investigation. À quelques mois d’intervalle, ce projet baptisé Evomens est lauréat d’un financement de l’ERC, puis retenu par l’institut Pasteur dans le cadre d’un appel à recrutements. « Avec ce financement de 1,2 million d’euros sur 5 ans, les deux post-doctorantes que j’ai recrutées et moi-même disposons de moyens suffisants pour conduire la partie expérimentale du projet, particulièrement onéreuse, qui passe par le prélèvement de tissu utérin chez des primates. Il va nous permettre d’accélérer le rythme des résultats. »

Après avoir récupéré des échantillons biologiques chez différentes espèces de primates, la chercheuse et son équipe conduisent un travail de génomique comparative : par une analyse génétique et l’exploitation informatique des données ainsi obtenues, elles recherchent les différences que présentent le génome et l’expression de celui-ci entre les espèces qui menstruent et celles qui ne le font pas.

Perfectionnement du développement fœtal

« Les menstruations dépendent d’un mécanisme lié à la progestérone, l’hormone dite de la grossesse. Notre hypothèse est qu’une modification de la réponse tissulaire à la progestérone serait impliquée dans leur apparition. Reste à en comprendre les mécanismes cellulaires. Pour les identifier, nous allons nous pencher sur les gènes qui sont modulés par le récepteur à la progestérone dans les différentes espèces étudiées. » 

Mais quel est l’intérêt évolutif de cette modification et des saignements cycliques qu’elle induit ? « Historiquement, on pensait que les règles étaient un programme de nettoyage de l’utérus, ce qui est évidemment faux. Aujourd’hui, on pense plutôt qu’elles n’ont pas d’intérêt direct : elles seraient uniquement la conséquence de l’avance que prend l’utérus sur une potentielle fécondation. En effet, le fœtus d’une espèce comme la nôtre est très énergivore. Pour mieux contrôler son implantation, et l’investissement en énergie de la part de la mère, des cellules de la muqueuse utérine se différencieraient en cellules placentaires durant la première partie du cycle. » En l’absence de fécondation, ces cellules seraient éliminées – ce qui se traduirait par la survenue des règles. « Chez les espèces sans menstruation, le placenta est moins volumineux et les interactions entre la muqueuse utérine et le tissu placentaire sont soumises à beaucoup moins de contrôle de la part des tissus maternels. »

Parallèlement, ce travail pourrait avoir des implications sur le plan médical : l’expression génétique au sein des cellules utérines présentes dans le sang des règles permettra peut-être d’identifier des voies biologiques qui sont activées différemment en cas d’endométriose, et qui pourraient favoriser leur implantation hors de la cavité utérine. « C’est un sujet qui intéresse encore peu d’équipes à travers le monde », un constat surprenant, quand on sait qu’une femme sur dix est concernée par l’endométriose. « Mais les choses ont évolué ces dernières années, essentiellement sous l’impulsion de chercheuses ! »

Note :
* Groupe Génomique fonctionnelle comparative (UA12), Inserm/Institut Pasteur, Paris

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