Jean-Claude Sirard : vers un médicament d’origine bactérienne pour lutter contre les pneumonies

Les infections respiratoires sont la troisième cause de décès dans le monde et l’émergence de l’antibiorésistance complique ce tableau dans le contexte des pneumonies bactériennes. Jean-Claude Sirard travaille sur une piste thérapeutique innovante : administrer une protéine constitutive des bactéries pour renforcer l’immunité naturelle et l’efficacité de l’antibiothérapie au moment de l’infection. Le chercheur a identifié le candidat idéal : la flagelline. Grâce à un contrat européen décroché dans le cadre du programme Défi santé H2020, son objectif est d’évaluer cette approche chez l’Homme.

Jean-Claude Sirard
Jean-Claude Sirard

Microbiologiste de formation, Jean-Claude Sirard* a commencé à s’intéresser à la flagelline il y a près de 20 ans, lors de son post-doctorat : « Mes travaux étaient consacrés aux interactions hôte-pathogène. C’était un sujet novateur, qui s’inscrivait dans les suites des toutes récentes découvertes, couronnées par le prix Nobel en 2011, réalisées sur les récepteurs Toll (TLR) présents à la surface des cellules de l’hôte : activés par les pathogènes, ils jouent un rôle clé dans la mise en place de l’immunité innée et adaptative. »

Or la flagelline sur laquelle se penche le chercheur interagit avec un récepteur Toll : « Cette protéine compose les flagelles qui se trouvent à la surface de nombreuses espèces bactériennes, dont celles qui posent le plus de problèmes en termes de santé publique, comme Pseudomonas aeruginosa ou Klebsiella pneumoniae. Ces flagelles sont des filaments qui aident les bactéries à se mouvoir à la surface des muqueuses. Et lorsque la flagelline se fixe au récepteur TLR5 des cellules de l’épithélium muqueux, elle déclenche une réaction de l’immunité innée, forte et transitoire, qui va stimuler de multiples médiateurs des défenses anti-infectieuses et de l’immunité adaptative. »

Limiter l’antibiorésistance

C’est ainsi qu’a émergé l’idée d’une application thérapeutique : en administrant localement de la flagelline au moment de l’infection, serait-il possible de renforcer la réaction immunitaire de l’hôte et d’améliorer la réponse à l’antibiothérapie ? Pour explorer cette piste, le chercheur décroche d’abord un financement Atip-Avenir en 2004, puis un second de l’Europe (FP6) en 2006. « Grâce à ces soutiens, nous avons pu décrire précisément les mécanismes immunitaires impliqués dans l’interaction entre flagelline et hôte, explique le scientifique. Ils nous ont aussi permis d’apporter la preuve de concept de l’utilisation de la flagelline en tant que traitement adjuvant à l’antibiothérapie, sur des modèles cellulaires et animaux. » En effet, Jean-Claude Sirard et ses collaborateurs ont pu montrer qu’administrer la flagelline par voie respiratoire améliore l’efficacité de l’antibiothérapie chez des animaux qui développent une pneumonie bactérienne : ces derniers sont plus rapidement guéris, et avec une dose d’antibiotiques inférieure à celle administrée normalement. En réduisant les posologies d’antibiotiques à utiliser, cette approche a donc aussi l’avantage de réduire le risque d’émergence d’une antibiorésistance. 

En partenariat avec différents laboratoires de recherche français (Inserm, CEA, université de Lille et institut Pasteur de Lille) et européens (dans pas moins de sept pays), Jean-Claude Sirard travaille désormais à valoriser ce travail, avec la perspective d’une première évaluation clinique chez l’humain. C’est à ce titre que le consortium de recherche qu’il dirige a obtenu un financement européen de 10 millions d’euros pour le projet FAIR (Flagellin aerosol therapy as an immunomodulatory adjunct to the antibiotic treatment of drug-resistant bacterial pneumonia). Une nouvelle réjouissante car « même lorsqu’une preuve de concept est apportée, les projets traversent souvent une vallée de la mort qui les éloignent d’un développement thérapeutique, parce que les impératifs administratifs liés aux études chez l’Homme sont complexes et coûteux ».

Alloué sur 5 ans, ce financement va permettre de conduire les tests in vivo, des tests cellulaires, des tests de toxicologie réglementaire… le tout en vue d’une première investigation clinique. « Il va aussi permettre de finaliser la forme médicamenteuse du traitement : nous avons immédiatement axé les travaux sur un aérosol car il permet de traiter l’infection respiratoire localement, ce qui limite les effets secondaires associés à une administration dans tout l’organisme. Par ailleurs, la flagelline que nous avons mise au point pour ce projet est très peu immunogène, c’est-à-dire qu’elle ne favorise pas le développement d’anticorps dirigés contre elle, au contraire de la protéine originale, précise le chercheur. On peut donc l’administrer plusieurs fois, sans que l’approche perde son efficacité. « Parallèlement à ces développements, notre cap est fixé en direction du premier essai clinique : une étude de phase 1 est prévue en 2023. »

Note :
* unité 1019 Inserm/CNRS/Université de Lille/CHRU de Lille/Institut Pasteur de Lille, Centre d’infection et d’immunité de Lille, équipe Bactéries, antibiotiques et immunité