Baptiste Charbonnier développe des biomatériaux innovants pour réparer nos mâchoires

À Nantes, Baptiste Charbonnier met au point des biomatériaux capables de traiter les pertes osseuses de la mâchoire et, ainsi, permettre la pose d’implants dentaires. Pour ce projet, le chercheur Inserm a obtenu un financement Atip-Avenir.

Baptiste Charbonnier, en blouse de laboratoire, est debout devant un poster scientifique qui présente ses travaux.
Baptiste Charbonnier dirige l’équipe Atip-Avenir Samba (Scaffolds for maxillo-facial bone augmentation) dans l’unité Médecine régénératrice et squelette (RMeS, unité 1229 Inserm/Nantes Université/Oniris), à Nantes.

Au niveau mondial, on estime que 23 % des personnes de plus de 60 ans ont au moins une dent manquante, et 7 % sont totalement édentées. Cela conduit à des difficultés de mastication et des troubles de la nutrition auxquels les prothèses dentaires amovibles tentent de remédier. Malheureusement, ces appareils sont généralement inconfortables et posent, entre autres, des problèmes d’inflammation et d’infection. Les implants dentaires fixes donnent de meilleurs résultats fonctionnels et sont mieux tolérés, mais encore faut-il pouvoir les mettre en place. Or l’absence de sollicitations mécaniques de l’os de la mâchoire au regard de la ou des dents manquantes conduit le tissu osseux à se résorber. Son volume devient insuffisant pour réussir l’implantation de la prothèse. Avec son équipe installée au sein de l’unité de recherche Médecine régénératrice et squelette (RMeS) à Nantes, Baptiste Charbonnier a obtenu un financement Atip-Avenir pour développer de nouveaux biomatériaux qui, placés sur l’os, vont favoriser un gain de volume osseux et permettre le remplacement dentaire.

Un travail en droite ligne avec la formation initiale d’ingénieur en chimie des matériaux du scientifique. « C’était un cursus généraliste, et rien ne me prédestinait à travailler dans le domaine des biomatériaux. Mais j’avais une appétence pour la santé. J’ai pu travailler dans ce domaine lors de différents stages à l’étranger, sur le développement d’approches pour stabiliser les fractures ou sur les phénomènes d’usure des prothèses de hanche. Et lorsque j’ai décidé de faire un doctorat, j’ai eu la chance de faire la bonne rencontre : David Marchat, membre du Centre ingénierie et santé de l’école des Mines de Saint-Étienne m’a accueilli et mis le pied à l’étrier dans le domaine de la régénération osseuse. »

Un implant souple qui se rigidifie une fois en place

Le remplacement du tissu osseux est bien plus complexe qu’on pourrait le penser, car l’os est une structure en remodelage permanent et en interaction constante avec le tissu en regard. Les céramiques qui sont aujourd’hui utilisées pour remédier aux pertes osseuses touchant de la mâchoire ne sont pas satisfaisantes : elles sont rigides et donc difficiles à ajuster à la zone à combler. Elles sont en outre fragiles et peuvent casser pendant ou après l’intervention. « Dans ce type d’application, il faut un matériau facile à mettre en place, qui constitue un échafaudage que les cellules osseuses peuvent progressivement coloniser. Il doit se maintenir pour aider à la formation osseuse et vasculaire, mais se résorber suffisamment pour laisser la place au nouveau tissu osseux. Et l’ensemble doit être capable de résister aux contraintes mécaniques de la mastication. »

Le biomatériau qu’il a développé répond à ces attentes. Flexible dans les mains du chirurgien, il se rigidifie une fois en place. Il est constitué d’un mélange entre une poudre d’un précurseur cimentaire phosphocalcique qui durcit au contact de l’eau une fois en place, et un hydrogel qui lui donne de la flexibilité et maintient la structure tridimensionnelle après la pose. Il se présente sous la forme d’une pâte qui est extrudée avec une imprimante 3D pour générer un implant adapté à chaque patient. Le financement Atip-Avenir a permis à l’équipe de construire une machine d’impression apte à lui donner une structure tridimensionnelle poreuse. « Le diamètre des pores doit être contrôlé et hétérogène, car chaque dimension a sa fonction, explique le chercheur : les pores de grande taille sont par exemple progressivement envahis par les cellules avoisinantes, tandis que les pores les plus petits accueillent des protéines qui vont faciliter l’adhésion et la différenciation des cellules osseuses. On peut même inclure dans certains d’entre eux des ions, comme le magnésium ou le silicium, pour favoriser certains processus biologiques lorsqu’ils sont relargués in situ. »

Du chiot à l’humain

Comme le plat signature d’un restaurant étoilé, la recette du matériau idéal demande du temps et une large expertise. Baptiste Charbonnier tire la sienne de plusieurs années de post-doctorat, où il a développé des biomatériaux et des techniques de fabrication additive, des routines automatiques d’analyse d’image par intelligence artificielle, et un goût pour le travail avec des animaux. Il a récemment mené un projet autour du soin de patients canins. « Je suis arrivé dans le laboratoire RMeS en tant que post-doctorant senior, sur le projet GI Jaw : il s’agissait de développer des formulations innovantes imprimables en 3D pour combler les fentes palatines, qu’on appelle aussi bec de lièvre. » Avec 1 à 4 % des chiots qui naissent spontanément avec un tel défaut maxillofacial, le chercheur avait là un modèle clinique intéressant pour développer le biomatériau idéal. Il a travaillé en collaboration avec l’école vétérinaire de Nantes : « Les vétérinaires identifiaient les chiots et les prenaient en charge jusqu’à leur 6e mois. Ensuite, nous réalisions l’implant conçu sur mesure. Dans cette situation, il faut un matériau qui sert d’échafaudage aux cellules, mais qui se résorbe entièrement parce que le chien continue à grandir : s’il reste en place tel quel, il crée des défauts lors de la croissance de la mâchoire. » Ce projet est maintenant terminé, avec succès. Les chercheurs doivent désormais obtenir la certification réglementaire du biomatériau qu’ils ont mis au point à partir d’un ciment osseux et d’acide hyaluronique. Une étape nécessaire pour envisager un développement clinique. Si tout se passe bien, son utilisation chez l’enfant pourrait démarrer d’ici 10 ans.

« Chaque application a ses spécificités et ses impératifs, et nécessite donc un matériau particulier. Dans cette dynamique, le financement Atip-Avenir a été d’un grand support : c’est un énorme tremplin, qui permet de pérenniser nos activités, de développer des collaborations et d’étoffer notre équipe. Il attire aussi le soutien d’autres financeurs. » Aujourd’hui, le chercheur travaille en lien constant avec des vétérinaires et des cliniciens autour de nouveaux projets, comme la prise en charge de la perte osseuse maxillaire liée à l’âge ou à la parodontite, ou encore la mise au point de substituts gingivaux. Les perspectives sont nombreuses.

« Être chercheur demande un travail acharné, mais offre aussi de belles rencontres. Je suis très satisfait de ce que je fais aujourd’hui. Lorsque j’étais étudiant, je n’imaginais pas arriver jusque-là. Je pensais plutôt me tourner vers l’enseignement. En tant que chercheur, je peux néanmoins donner des cours, et c’est un vrai plaisir d’échanger avec les futurs chercheurs. Dans le même état d’esprit, j’essaie de conserver du temps pour aider mon équipe, me rendre compte des efforts fournis et des difficultés rencontrées à la paillasse. Sans cela, les tâches administratives associées à ma fonction de chef d’équipe pourrait phagocyter tout mon temps dédié à la recherche et ma capacité à développer les projets que j’ai en tête. »

Baptiste Charbonnier dirige l’équipe Atip-Avenir Samba (Scaffolds for maxillo-facial bone augmentation) dans l’unité Médecine régénératrice et squelette (RMeS, unité 1229 Inserm/Nantes Université/Oniris), à Nantes.

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