Bio-impression : Vers des modèles créés de toutes pièces

Assembler des tissus vivants en trois dimensions, telle est la promesse de la bio-impression. Au-delà des applications cliniques, ce procédé de fabrication permet aussi le développement de modèles expérimentaux évolutifs pour mieux comprendre le fonctionnement de notre organisme et l’apparition de maladies, ou encore pour évaluer l’effet de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°59

Un cube d'hydrogel transparent
Structure tridimensionnelle bio-imprimée grâce à une nouvelle génération d’hydrogel imprimable © Pierre Tournier/Inserm U1229 

La bio-impression promet de révolutionner la médecine de demain. Fondés sur l’impression 3D, ces procédés de fabrication additive permettent d’assembler en laboratoire, couche par couche, des tissus biologiques. Ceux-ci peuvent être utilisés dans le cadre de la médecine dite « régénératrice » mais aussi pour développer des modèles expérimentaux innovants. Indispensables à la recherche pour élaborer et valider des hypothèses, de nombreux types de modèles sont aujourd’hui disponibles mais beaucoup reposent sur des expérimentations complexes sur des animaux. Pour limiter le recours à celles-ci, plusieurs techniques de culture cellulaire ont été mises au point depuis le milieu du 20e siècle. Elles ont permis de grandes avancées en médecine et en biologie, mais elles se heurtent à plusieurs écueils, notamment au fait que l’environnement tridimensionnel des cellules n’est pas reproduit dans ces cultures en 2D. Par ailleurs, les cellules n’interagissent pas seulement entre elles mais aussi avec la matrice extracellulaire, ce réseau de longues chaînes moléculaires qui organise les tissus. Pour pallier ces limites et mimer au mieux les conditions dans lesquelles évoluent les cellules dans les tissus, le recours à la bio-impression 3D est une stratégie très attrayante. « Ces technologies de mise en forme d’objets permettent d’organiser dans l’espace des cellules et une matrice extracellulaire synthétique afin de reproduire les fonctions biologiques de tissus naturels », déclare Vianney Delplace, chimiste et chercheur Inserm à Nantes.

Des hydrogels pour mimer les tissus biologiques

Encore faut-il disposer de matériaux imprimables compatibles avec la présence de cellules vivantes et qui présentent une composition et des propriétés physiques proches de celles des tissus. Pour relever ce défi technologique, une catégorie de matériaux suscitent beaucoup d’intérêt dans le monde biomédical : les hydrogels. « Constitués d’un réseau de chaînes de polymères hydratés, ces biomatériaux présentent une forte concentration en eau et des propriétés viscoélastiques qui miment l’environnement naturel des cellules », explique Vianney Delplace. Avec ses collègues, le chercheur a d’ailleurs réussi à créer un hydrogel à base d’acide hyaluronique, un polymère naturellement présent dans la matrice extracellulaire, qui conserve sa forme après écoulement. Cela leur a permis d’imprimer des objets de forme donnée en présence de cellules. Dans un second temps, le groupe de recherche est parvenu à ajuster les propriétés de ces objets après leur impression. « Nous avons ajouté à l’hydrogel de petites molécules qui réagissent avec d’autres molécules complémentaires préalablement immobilisées sur les polymères d’acide hyaluronique. Leurs réactions permettent de modifier la composition de l’hydrogel, d’augmenter sa rigidité ou encore d’améliorer l’adhésion des cellules à la matrice synthétique. » Ces modifications pourraient se faire à différents temps donnés et donc permettre de faire évoluer les paramètres de ces biomatériaux, appelés « bioencres dynamiques cliquables », dans la quatrième dimension. « C’est un premier pas vers la modélisation in vitro de maladies ou encore de processus de dégénérescence et de vieillissement », estime Vianney Delplace.

Cette illustration est en deux parties. Dans la première partie, on voit du dessus 4 cubes d'hydrogel verts, assemblés pour formé un plus gros cube. Une flèche qui symbolise une action du chercheur conduit à la seconde partie, dans laquelle 2 des 4 cubes verts sont devenus bleus.
La bio-impression juxtaposée d’hydrogels cliquables ou non permet d’immobiliser des molécules d’intérêt (ici de l’acide hyaluronique fluorescent) de manière contrôlée dans l’espace. © Pierre Tournier/Inserm U1229

Modéliser l’évolution de l’arthrose

Le jeune chercheur vient d’ailleurs de recevoir un financement de l’Agence nationale de la recherche pour développer un tel modèle expérimental de l’arthrose. Caractérisée par une dégradation marquée du cartilage, cette maladie articulaire, qui occasionne douleurs, raideurs et une perte de mobilité, ne dispose pas de traitement à l’heure actuelle. Modéliser l’articulation arthrosique en laboratoire permettrait donc de mieux comprendre les processus dégénératifs qui prennent place dans l’articulation et de tester des stratégies thérapeutiques mises au point dans le laboratoire. Pour ce projet baptisé DYNAM – OA, Vianney Delplace et ses collègues s’efforceront d’imprimer trois types de tissus différents dans un même modèle expérimental. En effet, « tous les tissus de l’articulation sont affectés dans l’arthrose, non seulement le cartilage mais aussi la membrane synoviale, qui produit un liquide permettant la bonne lubrification de l’articulation, et l’os souschondral, qui se situe entre le cartilage et l’os de l’articulation, précise le chercheur. Une fois ce modèle validé, nous déclencherons en condition de culture un processus dégénératif pour mimer l’arthrose in vitro afin d’examiner comment les différents tissus communiquent et interagissent au cours du temps. »

Bienvenue dans la quatrième dimension

Outre l’arthrose, de nombreuses pathologies pourraient ainsi être modélisées par bio-impression 4D. « Une fois au point, cette technologie permettra de réaliser des modèles simples, maîtrisés et modifiables dans le temps qui peuvent être suivis de manière répétée afin d’étudier le fonctionnement de tissus normaux ou pathologiques ainsi que les processus biologiques associés », confirme Baptiste Charbonnier, spécialiste des matériaux et chercheur Inserm dans le même laboratoire. Ce dernier travaille d’ailleurs à la mise au point de modèles imprimés multi-matériaux os-gencive pour mieux comprendre les maladies parodontales, qui représentent la première cause de perte de dents dans le monde. Au-delà d’une meilleure compréhension des mécanismes biologiques, ces modèles permettront aussi de tester des approches thérapeutiques tout en limitant les expérimentations animales. « Il y a aujourd’hui beaucoup d’intérêt à générer des tissus modèles en biologie et en recherche médicale pour des questions éthiques », insiste Baptiste Charbonnier. Les travaux des chercheurs nantais ouvrent donc de belles perspectives pour la recherche biomédicale, qui devrait rapidement se saisir de cet outil pour comprendre comment fonctionne et dysfonctionne notre organisme, et cela de manière plus éthique.


Vianney Delplace et Baptiste Charbonnier sont tous eux chargé de recherche Inserm dans l’unité Médecine régénératrice et squelette (RMeS, unité 1229 Inserm/Nantes Université/Oniris), à Nantes.


Source : P. Tournier et coll. Clickable Dynamic Bioinks Enable Post-Printing Modifications of Construct Composition and Mechanical Properties Controlled over Time and Space. Adv Sci (Weinh)., 15 septembre 2023 ; doi : 10.1002/advs.202300055

Auteur : S. P.

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