Insomnie

Un trouble neurobiologique et psychologique

L’insomnie, fléau des sociétés occidentales, est une pathologie complexe qui associe une composante psychologique et une composante neurobiologique difficiles à dissocier. Heureusement, des traitements existent, au nombre desquelles les approches non médicamenteuses sont les plus efficaces.

Les enjeux de la recherche : En l’absence de modèle animal validé, l’identification des mécanismes physiopathologiques reste une gageure. Les données recueillies chez différentes espèces animales, en particulier chez le rongeur et la drosophile, ont toutefois permis de décrypter une partie de la physiopathologie de l’insomnie. Ces approches sont aujourd’hui complétées par l’utilisation de technologies plus récentes (imagerie fonctionnelle, « big data »…).

Dossier réalisé en collaboration avec Joëlle Adrien, directeur de recherche à l’Inserm, équipe VIFASOM (Université Paris-Descartes), et présidente de l’Institut national du sommeil et de la vigilance.

Comprendre l’insomnie

L’insomnie correspond à une insuffisance de sommeil en quantité ou qualité, alors que les conditions environnementales sont favorables au sommeil. En pratique, elle se caractérise par des difficultés d’endormissement, des éveils nocturnes et/ou un réveil trop précoce, avec la sensation de ne pas avoir récupéré suffisamment. Au quotidien, elle se traduit par une irritabilité, des difficultés de concentration, mais aussi de la fatigue ou une somnolence diurne qui ont des conséquences importantes à titre individuel et collectif (absence au travail, risque d’accident…).

De nombreuses études ont décrit l’impact négatif à long terme du manque de sommeil sur l’état de santé : au-delà d’une dégradation de la qualité de vie, l’insomnie aggraverait les symptômes de maladies somatiques ou psychiatriques associées (douleurs chroniques, hypertension, dépression…).

Les insomnies ponctuelles ou transitoires sont monnaie courante : elles sont généralement liées à un évènement ou un comportement perturbant (stress, déprime, repas copieux, douleur, consommation d’excitants…). Elles durent une ou quelques nuits et finissent par être résolues avec la disparition du facteur déclenchant. 

En revanche, lorsque les insomnies surviennent plus de trois fois par semaine depuis au moins trois mois, on parle d’insomnie chronique : dans ce cas, il peut être difficile de trouver des causes évidentes pouvant les expliquer, et les tentatives d’adaptation de l’environnement ou du comportement ne permettent pas de les faire disparaître. 

Schématiquement, on estime que l’insomnie chronique découle de trois facteurs : 

Un trouble existant à tout âge de la vie

L’insomnie est une maladie très développée dans nos pays occidentaux, mais les chiffres diffèrent selon les critères choisis pour la définir : ainsi, 37% des Français souffriraient régulièrement de troubles du sommeil ou de l’éveil. L’insomnie, elle, toucherait 15 à 20 % de la population selon les études, et 9 % souffriraient d’une forme sévère.

En pratique, sa fréquence serait supérieure chez les femmes et augmenterait avec l’âge. Être sans emploi, vivre seul ou souffrir d’une maladie chronique somatique (maladie cardiovasculaire, douleur...) sont décrits comme des facteurs de risque supplémentaires d’insomnie. Selon certaines données, les personnes souffrant d’anxiété ou de dépression auraient 7 à 10 fois plus de risque de souffrir d’insomnie chronique que les autres. Enfin, la gêne liée à certaines maladies chroniques (asthme, insuffisance cardiaque, douleurs chroniques…) ou la physiopathologie de certaines maladies neurologiques augmentent le risque d’insomnie. La maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson notamment, perturbent le rythme circadien et sont responsables de troubles du sommeil chez 30 % à 50 % des malades. 

Un problème de régulation entre les mécanismes de veille et de sommeil

Des études épidémiologiques conduites dans des cohortes de familles, ont montré qu’il existait une agrégation familiale des cas d’insomnies. D’autres ont également décrit que la vulnérabilité aux troubles du sommeil liés au stress semblait en partie familiale. Si aucun gène précis n’a pu être identifié jusqu’à présent, cela n’écarte pas l’idée d’une certaine héritabilité de l’insomnie.

L’insomnie chronique serait liée à un problème de régulation entre les mécanismes de veille et de sommeil. Différents biomarqueurs permettent de penser que les sujets souffrant d’insomnie présentent un « hyper-éveil », caractérisé par une activité accrue du système nerveux central et de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, en charge de la réponse au stress. Cet hyper-éveil empêcherait le patient de basculer vers le sommeil. Lorsque celui-ci survient néanmoins, le sommeil lent reste essentiellement au stade léger, favorisant les éveils nocturnes. La fragmentation des nuits, associée à un temps court passé en sommeil profond, explique la fatigue diurne ressentie par les patients. Cette hypothèse est corroborée par les techniques d’imagerie fonctionnelle qui décrivent un métabolisme glucidique accru au niveau cérébral : il réduirait l’efficacité de la transition entre l’éveil et le sommeil. A l’inverse, l’activité cérébrale GABAergique serait diminuée au niveau du cortex et favoriserait le maintien de l’éveil.

Pour en savoir plus sur les mécanismes du sommeil

Une plainte subjective à objectiver

Le diagnostic de l’insomnie est essentiellement réalisé à partir des plaintes du patient et donc à partir d’un interrogatoire médical initial. Un agenda du sommeil tenu durant 2 à 4 semaines peut aussi aider à mieux cerner les conditions de survenue, la fréquence et la sévérité des épisodes, leurs conséquences physiques et sociales... 

Les examens spécifiques, comme la polysomnographie, ne sont en général pas utiles pour le diagnostic d’insomnie chronique. Cependant, ils peuvent aider à identifier d’autres causes de dégradation de la qualité du sommeil qui doivent faire l’objet d’un traitement spécifique(syndrome des jambes sans repos, apnée obstructive du sommeil…). 

L’examen clinique et d’autres examens complémentaires peuvent finalement aider à différencier : 

  • l’insomnie primaire : elle fait intervenir avec plus ou moins d’importance des facteurs liés au stress ou à un conditionnement progressif (angoisse du sommeil, activité mentale exacerbée au lit, …), ou peut correspondre à des troubles de la perception du sommeil ou des troubles installés depuis l’enfance.
  • les insomnies secondaires qui peuvent être liées à une pathologie psychiatrique primaire, à une pathologie médicale ou encore à la consommation de substances ou de drogues favorisant la fragmentation du sommeil.

Mettez-vous toutes les chances de votre côté

Nous ne sommes pas tous égaux face au risque d’insomnie, mais à risque égal, certains comportements réduisent la qualité du sommeil : un dîner trop copieux, la consommation de caféine, d’alcool ou de tabac dans les heures précédant le coucher, la pratique d’une activité sportive au-delà de 20 heures, une chambre surchauffée ou bruyante… 

Les soirées passées devant un écran (jeu vidéo, internet, smartphone…) sont, elles, délétères à deux titres : la lumière bleue des écrans plats perturbe la sécrétion normale de mélatonine et dérègle notre horloge biologique, elle-même impliquée dans la régulation du sommeil. Par ailleurs, la stimulation cérébrale liée aux activités sociales ou ludiques (notamment les jeux de guerre) favorise l’hyper-éveil et va donc à l’encontre du processus d’endormissement.

Enfin, la qualité du sommeil des insomniaques, déjà médiocre, est encore perturbée par l’irrégularité des heures de coucher et surtout de lever, par le temps passé au lit ou même dans la chambre pour d’autres activités que le sommeil (lecture, télévision...), aux siestes qui entrecoupent la journée… 


Privilégier la prise en charge non médicamenteuse

La première étape de la prise en charge consiste à prendre en charge les maladies pouvant perturber le sommeil, corriger toutes les mauvaises habitudes et adopter un comportement adapté pour favoriser l’endormissement. Il est également important de mettre en place un « rituel » constant et régulier autour du coucher pour retrouver progressivement un sommeil normal. Toutes les approches douces (relaxation, phytothérapie, sophrologie …) que le patient perçoit comme efficaces sur sa capacité à pouvoir dormir sont aussi à privilégier. 

Tous ces changements doivent constituer le premier réflexe en cas d’insomnie occasionnelle ou transitoire. Ils forment aussi un prérequis pour améliorer la qualité de sommeil avant d’envisager une prise en charge médicale. 

Si une prise en charge médicale est nécessaire, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) doivent être privilégiées : le principe des TCC est de remplacer les comportements inadaptés et les croyances erronées sur le sommeil par d’autres plus appropriés. Dans le traitement de l’insomnie, elles visent à faire prendre conscience des facteurs et mécanismes dont dépend le rythme éveil/sommeil et donc des erreurs que l’on fait pour gérer ses difficultés de sommeil. Elles reposent sur une série de séances, au cours desquelles les notions d’hygiène du sommeil, d’appréhension de l’insomnie, du temps passé au lit sans dormir, les croyances erronées sur le sommeil sont abordées, éventuellement en y associant la relaxation. Les TCC ont été décrites comme plus efficaces que les traitements pharmacologiques dans le traitement de l’insomnie sur la durée, et peuvent favoriser le sevrage en somnifères des personnes qui y sont dépendantes. Cependant, elles sont encore sous-utilisées en France, notamment parce qu’elles ne sont pas prises en charge en l’assurance maladie. 

Parallèlement, des hypnotiques (ou somnifères) peuvent aussi être utilisés par périodes courtes et/ou discontinues (traitement de 2–3 semaines ou quelques jours dans la semaine): benzodiazépines et anxiolytiques, antihistaminiques, hypnotiques de nouvelle génération sont prescrits selon le patient et les spécificités de son insomnie. Ces traitements sont pourvus d’effets indésirables et ne sont pas efficaces chez tous les patients. Ils ne doivent pas être utilisés de manière chronique, afin d’éviter l’accoutumance psychologique ou la dépendance physiologique. Les hypnotiques sont donc utiles pour les insomnies transitoires, mais ne peuvent constituer le traitement de fond de l’insomnie, sans approche comportementale par ailleurs. 

Lorsque les troubles du sommeil dépendent d’une dérégulation du rythme circadien, la mélatonine peut être utilisée. Enfin, dans certains cas, les antidépresseurs sédatifs sont efficaces et ne produisent pas de dépendance. 

La compréhension des différents mécanismes liés à l’endormissement et au maintien du sommeil permet d’envisager de nouvelles approches thérapeutiques : la découverte du rôle de l’hypocrétine/orexine sur le maintien de l’éveil s’est traduit en de nouvelles molécules antagonistes (suvorexant, almorexant) qui ne sont pas commercialisées en France, pour l’heure. Chez les personnes aveugles, privées de la perception lumineuse et de son rôle dans les mécanismes d’endormissement et d’éveil, une molécule mimant les effets de la mélatonine (tasimelteon) a été récemment enregistrée par les autorités européennes. 

Les enjeux de la recherche

Mieux comprendre la physiopathologie de la maladie

Sur le plan moléculaire, aucun neurotransmetteur ou molécule endogène ne semble spécifiquement responsable de la physiopathologie de l’insomnie. Quelques résultats ont permis d’incriminer les systèmes GABAergique, sérotoninergique ou du cortisol, mais aucun ne semble précisément et isolément impliqué dans l’insomnie.

Ainsi, il semble de plus en plus évident que l’insomnie est multiforme et qu’il faudrait apprendre à en discriminer les différents types pour les étudier individuellement. Ainsi, l’insomnie des personnes dépressives pourrait par exemple constituer une entité particulière, et comprendre les mécanismes liant les deux pathologies pourrait apporter une meilleure connaissance fondamentale sur ces troubles. En outre, certaines insomnies seraient plus probablement liées à une diminution de la capacité à s’endormir qu’à un hyperéveil. Récemment, il a aussi été proposé que l’insomnie chronique soit une conséquence d’une disparition des fluctuations moléculaires responsables de l’alternance normale entre phases de veille et de sommeil. 

La physiopathologie de l’insomnie pourrait aussi être liée à des facteurs familiaux et notamment de facteurs génétiques multiples, relatifs à la régulation de l’éveil, de l’activité cérébrale ou de la transition entre veille et sommeil. Cependant, la disparité des symptômes de l’insomnie rend les recherches difficiles et aucun gène n’a pour l’heure été formellement identifié. 

L’autre difficulté réside dans l’absence d’un modèle animal qui permettait de décrypter les mécanismes de l’insomnie et d’identifier des cibles thérapeutiques qui seraient plus spécifiques, efficaces et mieux tolérées que les traitements actuels. L’étude du sommeil chez certaines espèces permet toutefois de repérer plus facilement d’éventuels mécanismes clés transposables à l’homme. Ainsi, la mouche drosophile fait l’objet d’une intense recherche dans ce domaine. Malgré son éloignement avec l’homme, elle présente de nombreuses similitudes avec les vertébrés tout en présentant un nombre de neurones et de gènes inférieurs à l’espèce humaine, et donc plus facile à étudier. Un gène codant pour une protéine régulatrice du sommeil a été récemment mis en évidence chez la drosophile : il semble que ce gène ait été conservé chez certains mammifères et pourrait constituer une voie d’avenir pour le développement thérapeutique. 

C’est quoi une drosophile – interview – 1 min 40 – vidéo extraite de la série C’est quoi ? (2012)

Proposer des traitements plus spécifiques

Face à la forte prévalence de l’insomnie, les recherches pharmacologiques se poursuivent afin de développer des molécules qui agiraient plus spécifiquement sur le sommeil, mais le taux d’échec est élevé, souvent pour des questions de tolérance. Cependant, de nombreux développements ciblant la voie de l’hypocrétine/orexine sont encore en cours, dont les résultats sont attendus sur les prochaines années. 

Dans le champ des approches non médicamenteuses, les thérapies cognitivo-comportementales ont prouvé leur efficacité. Mais le manque de disponibilités de thérapeutes formés et le temps nécessaire à ces traitements a motivé les chercheurs à développer des approches dans lesquelles certaines séances sont remplacées par des sessions d’éducation thérapeutique via internet, avec support téléphonique d’un thérapeute. Les premières évaluations sont encourageantes... L’objectif est aujourd’hui d’optimiser et de valider des protocoles qui permettraient de déterminer le bénéfice clinique de traitements cognitivo-comportementaux en y associant par exemple la méditation pleine conscience.... 

Parallèlement, le biofeedback ou neurofeedback constitue également une piste de recherche clinique. Cette approche utilise l’électroencéphalographie (EEG) comme un moyen pour le patient de suivre son activité cérébrale et d’apprendre progressivement à induire des ondes favorables à l’endormissement.

La stimulation magnétique transcranienne (TMS), qui permet d’étudier les fonctions de différentes régions cérébrales sur le sommeil du sujet sain ou insomniaque, présente par ailleurs un potentiel thérapeutique. Déjà utilisée dans certaines pathologies (douleurs chroniques, épilepsie...), la TMS induit des modifications transitoires de l’activité électrique qui pourraient moduler l’éveil et le sommeil en agissant sur l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Des premiers essais cliniques ont montré sa capacité à induire les ondes lentes spécifiques de la première phase du sommeil. Elle pourrait constituer une approche complémentaire pour les insomnies chroniques sévères. 

Pour aller plus loin