Chikungunya / Maladie de « l’homme courbé »

Une maladie infectieuse qui gagne du terrain

Le chikungunya est une maladie infectieuse provoquée par un virus transmis à l’Homme par des moustiques du genre Aedes. D’origine africaine, le nom de la maladie signifie « celui qui marche courbé » : en effet, l’infection entraine non seulement une forte fièvre, mais aussi des douleurs articulaires et musculaires qui nécessitent le plus souvent d’interrompre ses activités pendant quelques jours. L’évolution est généralement favorable, mais des douleurs chroniques peuvent persister plusieurs mois.

Dossier réalisé en collaboration avec André Cabié, Centre d’investigation clinique Antilles Guyane, service des maladies infectieuses et tropicales, médecine polyvalente, CHU de Martinique – Université des Antilles et de la Guyane. 

Comprendre le chikungunya

Le virus responsable du chikungunya est un arbovirus transmis à l’Homme par les moustiques du genre Aedes : A. aegypti, A. albopictus (le fameux moustique tigre), A. luteocephalus, A. furcifer, A. taylori. Ces moustiques sont également les vecteurs des virus de la dengue et de la fièvre jaune. 

Les régions concernées par la maladie ne cessent de s’étendre en raison de la diffusion des moustiques vecteurs. Cette dernière est favorisée par l’importance des échanges internationaux et par les formidables capacités d’adaptation de ces insectes : l’espèce est extrêmement tenace et développe des résistances aux insecticides chimiques. De plus, logés dans une coque imperméable, les œufs résistent à la sécheresse et aux basses températures. 

Le virus du chikungunya déclenche des flambées épidémiques régulières, principalement en milieu rural. Originaire d’Afrique de l’Est, il s’est d’abord étendu à l’Océan Indien, l’Inde et l’Asie. En 2005–2006 une épidémie majeure a sévi dans l’Océan Indien sur les îles de la Réunion (38,2% de la population infectée), Maurice, Seychelles ou encore Mayotte, touchant plus de 300 000 personnes. En 2007, une autre grosse épidémie a eu lieu en Inde et un cas importé a provoqué une flambée en Italie, dans la région de Ravenne, avec deux cent personnes infectées en raison de la présence du moustique Aedes albopictus. 

Depuis, le virus a encore gagné du terrain et rejoint les caraïbes en 2013, déclenchant une épidémie dans les départements français d’Amérique. Environ 60% de la population de Guadeloupe et Martinique présentait des anticorps contre le virus à l’issue de cette épidémie, dont un certain nombre n’avait pas développé de symptômes. Toutes ces personnes sont désormais protégés d’une future infection. Cette épidémie a par ailleurs entraîné l’apparition de cas dans différents pays d’Amérique latine (Guyana, Salvador, Suriname, Costa Rica, Vénézuéla), des régions jusque-là indemnes de la maladie. 

Cette situation accroit le risque d’importation du virus aux Etats-Unis (via la Floride) et en France où le moustique A. albopictus est implanté dans une quarantaine de départements. Arrivé dans l’hexagone en 2004 par la Méditerranée, le moustique tigre ne cesse d’y gagner du terrain. 


Des cas autochtones en France métropolitaine 

Chaque année, Santé publique France recense les cas de chikungunya importés en métropole, c’est-à-dire survenant chez des personnes qui reviennent infectées d’un séjour à l’étranger. Leur nombre est très variables d’une année sur l’autre : près de 450 cas ont été rapporté en 2014, seulement 6 en 2018 et 56 en 2019. 

Des cas autochtones peuvent également survenir quand un moustique Aedes albopictus, présent en France, pique une personne infectée et transmet la maladie à un individu qui n’a pas quitté le territoire. Les deux premiers cas autochtones de chikungunya ont été décrits en France en septembre 2010, dans la commune de Fréjus. En 2014, au moins onze cas ont été recensés. Il n’y a pas eu d’autre cas depuis. Toutefois, leur nombre pourrait augmenter dans les années à venir, compte tenu de l’expansion géographique du virus dans le monde et de celle du moustique vecteur dans l’hexagone.

A savoir : le risque de transmission autochtone est limité à la période d’activité du vecteur, entre début mai et fin novembre.


Une transmission par le moustique 

La transmission du virus responsable du chikungunya s’effectue d’Homme à Homme par l’intermédiaire d’un moustique du genre Aedes. Ce dernier reçoit le virus via le sang d’une personne déjà infectée, à l’occasion d’une piqûre. Le virus se multiplie ensuite dans le moustique pendant une dizaine de jours environ. A l’issue de cette phase dite « extrinsèque », le moustique peut transmettre le virus à un nouvel individu en le piquant. 

Une personne infectée est « contaminante » pour les moustiques pendant la phase virémique de l’infection, c’est-à-dire au moment où le virus est présent dans son sang, environ 1 à 2 jours avant le début des symptômes et jusqu’à 7 jours après. 

Le virus peut aussi se transmettre par transfusion sanguine ou à la suite d’un accident d’exposition à du sang provenant d’un patient virémique (piqûre avec une aiguille, projection de sang…). 

Toute personne qui a déjà été infectée est à priori immunisée durablement contre le virus. 

Des cas de transmission de la mère à l’enfant 

Le virus du chikungunya peut être transmis directement de la mère à l’enfant pendant l’accouchement, si la mère est infectée et que le virus est présent dans son sang. La contamination se produit alors environ une fois sur deux. Les conséquences pour l’enfant peuvent être dramatiques. Il est donc nécessaire de renforcer les mesures anti-moustiques au cours des trois mois précédents l’accouchement, pour éviter toute contamination de la mère. 

La meilleure prévention contre le chikungunya est de se protéger des piqûres de moustique et de lutter collectivement contre les moustiques vecteurs (lutte anti-vectorielle) : 

  • Pour se protéger des piqûres, il faut utiliser des barrières mécaniques et chimiques comme les vêtements longs, les moustiquaires ou les répulsifs cutanés dont la liste est disponible dans le numéro spécial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France consacré aux conseils aux voyageurs. Les moustiques Aedes peuvent piquer toute la journée mais sont plus agressifs en milieu de matinée et d’après midi.
  • La lutte anti-vectorielle consiste à combattre les moustiques vecteurs par l’épandage d’insecticides et l’élimination des gîtes larvaires potentiels. Ces derniers sont des récipients d’eau stagnante propices à la dissémination des larves de moustiques : vases, soucoupes, pneus usagés, gouttières mal vidées, déchets divers contenant de l’eau stagnante, mais aussi creux d’arbres et plantes susceptibles de former une rétention d’eau (comme les bambous). 
Le moustique tigre – film d’animation pédagogique – 5 min 24 – IRD (2014)

Une surveillance étroite du virus en France

Un plan anti-dissémination du Chikungunya existe en France métropolitaine depuis 2006. Il inclut une surveillance entomologique (des moustiques) et une surveillance épidémiologique (des cas d’infections) assurée par Santé publique France. Cette surveillance repose sur : 

  • Une déclaration obligatoire des cas confirmés de Chikungunya auprès de l’Agence régionale de santé (ARS).
  • Un réseau de laboratoires volontaires réalisant les diagnostics du Chikungunya qui fournissent leurs résultats à Santé publique France.
  • Une surveillance renforcée dans les départements où le moustique vecteur est présent (pendant sa période d’activité, soit du 1er mai au 30 novembre), avec signalement immédiat à l’ARS des suspicions de cas importés (se déclarant chez des personnes de retour depuis moins de 15 jours d’une zone de circulation du virus), diagnostic accéléré pour ces cas et déclenchement de mesures spécifiques de lutte anti-vectorielle autour des cas importés. Le nombre de ces départements ne cesse d’augmenter. D’après Santé Publique France, 58 départements étaient concernés en 2021.

Dans les départements d’Outre-mer, les mesures équivalentes sont adoptées depuis 2006. La surveillance y est assurée par les Agences régionales de santé et les Cellules interrégionales d’épidémiologie (Cire).

Des symptômes violents et soudains

L’infection par le virus du chikungunya est asymptomatique dans 5 à 40% des cas selon les études. Plus généralement, une fièvre élevée apparaît brutalement après une période d’incubation de 1 à 12 jours après la piqûre (2 à 3 jours en moyenne). La fièvre est accompagnée de douleurs articulaires souvent sévères qui peuvent toucher toutes les articulations.Elles affectent néanmoins principalement les extrémités (poignets, chevilles, phalanges). 

Cet état s’accompagne souvent de maux de tête, de douleurs musculaires importantes et d’une éruption cutanée sur le tronc et les membres. 

L’évolution est habituellement rapide, avec disparition de la fièvre en 2 à 7 jours, des signes cutanés en 2 à 3 jours et des signes articulaires en quelques semaines.

Un diagnostic codifié

En cas de suspicion clinique, et en dehors d’un contexte épidémique, le diagnostic doit être confirmé par des analyses biologiques qui recherchent la présence du virus ou de son génome, ou celle d’anticorps spécifiques.

Dans la semaine qui suit le début des signes cliniques, un diagnostic précoce peut être obtenu par amplification du génome viral (RT-PCR). Les immunoglobulines M spécifiques (IgM) peuvent être identifiées à partir du cinquième jour après l’apparition des signes cliniques et persistent en moyenne 2 à 3 mois. Les IgG apparaissent quelques jours après les IgM et persistent toute la vie. Ainsi, pour établir le diagnostic, il est recommandé de passer par : 

  • Jusqu’à 5 jours après le début des symptômes : une recherche du matériel génétique du virus par RT-PCR
  • Entre les 5e et 7e jours : une RT-PCR et une sérologie à la recherche des IgM
  • Après le 7e jour : une sérologie qui permettra de détecter les IgM et les IgG, avec un second prélèvement de confirmation au plus tôt 10 jours après le premier prélèvement

Des formes chroniques chez de nombreux patients

Si l’évolution de la maladie est souvent favorable et sans séquelle, l’infection peut néanmoins évoluer vers une phase chronique, marquée par des douleurs articulaires persistantes.

On parle de phase aiguë du chikungunya jusqu’au 21e jour après le début des symptômes, de phase post-aiguë jusqu’à 90 jours, puis phase chronique au-delà du troisième mois révolu. Les raisons de la persistance des symptômes qui caractérise cette dernière phase ne sont pas connues. Il pourrait s’agir de séquelles liées aux dégâts causés par le virus, ou encore de la persistance de substances virales, avec inflammation chronique dans les articulations. 

La chronicisation de la maladie s’observe en particulier chez les plus de 40 ans, chez ceux qui ont des antécédents de maladies articulaires ou encore ceux qui ont présenté une fièvre élevée pendant plus de sept jours. Une étude parue en 2020 précise que le risque de chronicisation est plus fréquent chez les femmes et qu’il est surtout accru en cas de déshydratation au cours de la phase aiguë. 

Deux études, l’une menée après l’épidémie de 2005–2006 et l’autre après celle de 2013 montrent que plus de la moitié des patients (55%) ne sont pas totalement guéris un à deux ans après le début de leur infection, et que leur qualité de vie est détériorée, notamment en raison de douleurs articulaires persistantes ou survenant par poussées. 

Cette situation nécessite une prise en charge pluridisciplinaire (kinésithérapie, traitements médicamenteux) et peut générer d’autres complications. Près de la moitié des personnes concernées par ces formes chroniques présentent des symptômes dépressifs et un tiers des difficultés de concentration. Plus de la moitié déclarent également une reprise plus lente de leurs activités quotidiennes et un tiers un retour à l’emploi plus tardif. 

Des traitements symptomatiques

La prise en charge médicale du chikungunya est purement symptomatique, reposant sur la prescription d’un antipyrétique/antalgique (paracétamol) au cours des premiers jours de fièvre, puis sur celle d’anti-inflammatoires pour lutter contre les inflammations articulaires et périarticulaires. Une corticothérapie peut être nécessaire dans les formes sévères, mais elle est déconseillée à la phase aiguë de la maladie. 

La médecine physique/réadaptation individualisée, adaptée à l’expression clinique du chikungunya subaigu ou chronique, ne peut que favoriser la récupération fonctionnelle. Elle pourrait potentialiser l’effet des anti-inflammatoires et limiter leur durée d’administration.

Il n’existe actuellement pas de vaccin, ni de traitement préventif contre l’infection par le virus du chikungunya. 

Des complications possibles surtout chez les nouveau-nés et les plus âgés

Des complications peuvent survenir au cours de la phase aiguë de la maladie. La transmission du virus de la mère à l’enfant au moment de l’accouchement est une des sources de complication. Elle entraine des pathologies cardiaques ou neurologiques graves chez la moitié des nourrissons. Des décès ont même été constatés au cours de l’épidémie survenue à la Réunion en 2006. 

Des complications peuvent également survenir chez des patients présentant des pathologies chroniques cardiaques, rénales ou respiratoires. La forte fièvre et/ou les douleurs associées au chikungunya risquent d’aggraver ces pathologies (décompensation). Une hospitalisation peut alors être nécessaire. De fait, les complications du chikungunya sont plus fréquentes chez les personnes âgées, avec une sévérité accrue chez les plus de 75 ans. La maladie accroit en outre le risque de chute chez les personnes âgées. 

Des cas rares d’encéphalites ont également été observés chez des jeunes enfants, ainsi que des cas de myocardites directement provoqués par le virus. Des problèmes neurologiques ont également été constatés avec des cas de syndrome de Guillain–Barré. Les données de l’épidémie de 2013 dans les Caraïbes indiquent que l’infection multiplierait par huit le risque de développer ce syndrome caractérisé par une inflammation aiguë et une paralysie musculaire, qui affecte parfois des muscles respiratoires et nécessite alors la mise en œuvre d’une assistance respiratoire. 

Virus du Chikungunya à la surface d'une cellule
Virus du Chikungunya à la surface d’une cellule © Inserm / Thérèse Couderc

Les enjeux de la recherche

Il n’existe pas encore de traitement spécifique du chikungunya, ni de vaccin, mais la connaissance du virus progresse. L’épidémie qui avait frappé la Réunion en 2006 puis celle qui a sévi aux Antilles en 2014 ont déclenché la mise en œuvre de plusieurs projets de recherche et des études épidémiologiques et cliniques qui ont d’ores et déjà permis de mieux comprendre le cours de la maladie, son retentissement à long terme chez certains patients ou encore les risques de transmission de la mère à l’enfant.

L’apport des cohortes de patients

Un programme soutenu par Aviesan a consisté à collecter des échantillons biologiques (sang et urine) auprès de personnes infectées en Martinique, Guadeloupe et Guyane pour constituer une cohorte (DAG2). Des nouveau-nés, des enfants et des adultes ont été inclus pour décrire les facteurs démographiques, cliniques, biologiques, virologiques, immunologiques et génétiques associés à, ou prédictifs de la survenue d’une évolution sévère de l’infection (état de choc, hémorragie interne, méningo-encéphalites, épidermolyse bulleuse, défaillance viscérale, décès). La cohorte est bien caractérisée et s’est élargie à d’autres arboviroses, notamment le Zika et la Dengue, changeant de nom par la même occasion, de DAG2 à CARBO. Parmi les participants, les chercheurs ont sélectionné une vingtaine d’adultes qui acceptaient des prélèvements supplémentaires réguliers pendant toute la phase aiguë de la maladie (sang veineux et capillaire, urines, selles, larmes, secrétions pharyngées et liquide articulaire), puis de manière plus espacée pendant trois ans (étude CHIKHITA). Néanmoins, l’absence de cas de chikungunya au cours des dernières années dans les territoires français n’a pas permis de compléter ce travail. 

L’identification de cibles thérapeutiques

L’ensemble des données collectées à travers ces cohortes ont permis d’obtenir des résultats sur les effets chroniques de l’infection au virus du chikungunya et sur les mécanismes de l’infection. Une étude récente a notamment mis en lumière le rôle clé d’une protéine de l’hôte nécessaire à l’infection. Il s’agit de la protéine FHL1, indispensable pour l’entrée du virus dans les cellules de la souris et de l’humain. Cette protéine membranaire, présente à la surface des cellules cibles du virus, notamment les cellules musculaires, interagit avec une protéine virale nsP3. Supprimer FHL1 ou inhiber son activité revient à bloquer l’infection par différentes souches virales de chikungunya : cela en fait une nouvelle cible thérapeutique de choix pour le développement d’antiviraux spécifiques. 

Le développement d’un vaccin

La piste vaccinale se poursuit par ailleurs. Le candidat vaccin le plus avancé, CHIKV VLP, est développé par l’institut national de la santé américain (NIH). Il est composé d’une pseudo particule virale (VLP pour Virus-like particle) qui comprend des peptides viraux (fragments de protéines) capables d’induire la production d’anticorps neutralisants chez l’hôte, mais qui est dénuée de matériel génétique pour prévenir sa réplication et sa pathogénicité. Ce vaccin a franchi la phase 2 des essais cliniques et présente un profil de tolérance et d’immunogénicité (capacité à induire la production d’anticorps neutralisants) satisfaisants. Toutefois, son efficacité réelle sur le terrain en période épidémique n’a pas encore été évaluée : cette étape se heurte à la faible circulation du virus ces dernières années. En outre, la durée d’immunogénicité n’est pas encore connue. Si ce vaccin est commercialisé, se posera ensuite la question de savoir qui vacciner. 

Poursuivre la lutte anti-vectorielle

Un autre pan de la recherche consiste à étudier les moustiques vecteurs, leur écologie, leur comportement, leurs résistances à des antimoustiques chimiques, pour tenter de limiter leur prolifération et la transmission du virus. 

Chikungunya – Interview – 4 min – vidéo extraite de la série Ils font avancer la recherche, Institut Pasteur/Sup’Biotech (2013)

Pour aller plus loin