Ultrasons biomédicaux

Une révolution médicale en cours

Les ondes ultrasonores sont des ondes mécaniques qui engendrent des oscillations dans les milieux qu’elles traversent. Les signaux qui sont créés peuvent être exploités dans un objectif diagnostique (échographie, écho-Doppler, élastographie) ou thérapeutique (lithotripsie, pharmaco-émulsification…). Ils sont d’ores et déjà utilisés pour traiter certains cancers, les fibromes utérins ou encore le glaucome. En outre, les importants progrès technologiques accomplis depuis plusieurs années ouvrent de nombreuses perspectives pour le développement de nouveaux dispositifs puissants et précis, dans des domaines d’applications variés : cardiologie, neurologie, psychiatrie...

Mickaël Tanter, directeur de l’unité Physique des ondes pour la médecine (unité 979 Inserm/CNRS/ESPCI Paris/Paris Sciences et Lettres Université) et directeur de l’Accélérateur de recherche technologique Inserm Ultrasons biomédicaux, lauréat du Prix Opecst-Inserm 2014. 

Comprendre les ultrasons et leurs exploitations biomédicales

Comme les ondes sonores, les ondes ultrasonores sont des ondes mécaniques qui se matérialisent par la mise en vibration des molécules constituant la matière. Si la fréquence des ondes du champ des sons audibles est comprise entre 20 Hz pour la fréquence la plus grave et 20 000 Hz pour la plus aiguë, celle des ultrasons est supérieure, comprises entre 20 kHz et 10 THz. Au-delà débute le domaine des hypersons. 

Les ondes ultrasonores engendrent l’oscillation autour de leur point d’équilibre, des molécules du milieu qu’elles traversent. Cette oscillation se diffuse de proche en proche, dans une direction donnée à partir du point d’initiation. Selon la densité du milieu traversé, les ultrasons se propagent à une vitesse plus ou moins élevée : la résistance d’un matériau est qualifié par son impédance acoustique (notée Z et mesurée en Pascal seconde par mètre) qui influence cette vitesse. Par ailleurs, une onde ultrasonore traversant un milieu donné rebondit et revient en écho lorsqu’elle arrive à l’interface d’un nouveau milieu dont l’impédance acoustique est différente du premier. Ainsi, en analysant le signal rétrodiffusé, il est possible d’obtenir des informations sur le milieu analysé. 

Dans le domaine médical, les ultrasons présentent un certain nombre d’avantages :

  • Ce sont des ondes qui ne présentent pas de danger (pas de radiations ionisantes, notamment).
  • Elles peuvent être mises en œuvre grâce à un appareillage peu volumineux et peu onéreux.
  • Elles permettent l’obtention d’images observables et interprétables simultanément à l’examen.
La révolution ultrasonore – Entretien avec Mickaël Tanter, directeur de l’ART Ultrasons biomédicaux de l’Inserm, implanté à l’ESPCI Paris – 3 min 34 – 2016 

La France, berceau des techniques ultrasonores

Le domaine des ultrasons est un champ dans lequel la France a été à l’avant-garde : l’aventure a commencé avec Pierre Curie qui a théorisé la piezoélectricité permettant de créer des ultrasons à partir d’un courant électrique, en 1880. Une trentaine d’années après, son élève Paul Langevin a mis au point le premier dispositif émetteur et récepteur d’ultrasons, aboutissant à une première utilisation militaire durant la Seconde Guerre mondiale (sonar).

Le développement de l’usage des ultrasons dans le domaine médical a émergé ensuite, notamment à travers l’échographie développée par des britanniques. Dans le courant des années 1950, la première sonde échographique est mise en point, suivie de la première échographie 2D au début des années 1970, qui seront toutes deux utilisées en obstétrique. Le développement et l’utilisation de l’échographie Doppler dans l’évaluation du débit sanguin et de la résistance vasculaire ont, quant à eux, été menés par un chercheur pionnier, Léandre Pourcelot, directeur de l’unité Inserm 316 « Système nerveux du fœtus à l’enfant » à la faculté de médecine de Tours (de 1988 à 2003). 


Les techniques d’imagerie diagnostique

L’exploitation des ondes ultrasonores dans le domaine diagnostique repose sur la formation d’images à partir des signaux rétrodiffusés par les tissus (échographie), ou bien sur la mesure du flux sanguin (écho-Doppler).

L’échographie consiste à émettre des ultrasons en direction des tissus et organes à observer, puis à recueillir et analyser les échos des ultrasons selon la distance et l’impédance des milieux sur lesquels ils ont rebondi. 

Foetus de 14 semaines
Échographie d’un fœtus de 14 semaines. ©Mirmillon

Dans l’échographie classique, en deux dimensions (2D), un balayage (manuel, mécanique, électronique) permet d’émettre simultanément plusieurs lignes de tir, dans différentes directions. Un traitement informatique des échos recueillis permet de représenter les milieux traversés en fonction de leur impédance, pour recréer une image en deux dimensions représentant un plan de coupe de la zone analysée : 

  • les milieux de faible impédance (écho faible) sont représentés en noir : ils peuvent correspondre à des milieux liquides ou des tissus mous,
  • les milieux de forte impédance (fort écho) sont représentés en blanc.

Dans ce dispositif, les ondes mécaniques sont émises par des matériaux piézoélectriques : il s’agit de matériaux ayant la capacité de se déformer lorsqu’ils sont soumis à une contrainte électrique. Cette déformation se traduit par une onde mécanique qui est focalisée en direction des tissus à analyser. Une sonde permet ensuite de recueillir l’écho des ondes. 

Le gel classiquement utilisé lors de la réalisation d’une échographie externe permet d’éviter les interférences que l’air pourrait engendrer entre la sonde et la peau, puisqu’il possède une impédance comparable à celle de cette dernière. 

Plus récemment, l’échographie 3D a été développée et permet, comme son nom l’indique, d’obtenir une image tridimensionnelle. Dans ce cas, un balayage mécanique ou électronique permet d’accumuler les informations obtenues sur différents points d’échos depuis différents points d’émission. Leur traitement informatique permet de créer l’image 3D. 

L’amélioration des sondes piézoélectriques et des capacités de calcul et d’acquisition permettent d’envisager une imagerie 4D, c’est-à-dire une 3D au cours du temps. De telles méthodes sont déjà utilisées dans des laboratoires de recherche, et leur développement pourrait prochainement offrir une méthode d’acquisition ultrarapide, permettant d’observer les organes ou le fœtus avec une précision inégalée. 

L’échographie Doppler est quant à elle très utilisée dans l’examen non invasif des vaisseaux sanguins. Elle repose sur l’effet Doppler : lorsqu’une source d’onde (ou son observateur) est en mouvement, la fréquence de l’onde qu’elle émet varie selon le sens et la vitesse de direction. Un exemple emblématique de l’effet Doppler est le son de la sirène d’une voiture qui passe des aigus aux graves en s’approchant puis en dépassant un observateur fixe. Appliqué au flux sanguin, ce principe permet de mesurer la fréquence réfléchie et de la comparer à la fréquence émise, selon la vitesse de déplacement des globules rouges dans le vaisseau. 

Qu’est-ce que l’effet Doppler – animation pédagogique – 4 min 28 – © CEA 

Les ultrasons thérapeutiques

Par rapport à l’échographie à but diagnostique, les ultrasons thérapeutiques utilisent des ondes de plus haute intensité, qui sont délivrées en continu en un point précis du tissu. Elles engendrent un échauffement thermique et des modifications locales (création de bulles de gaz, nécrose, coagulation) qui vont participer à l’effet thérapeutique recherché. Les ultrasons sont ainsi utilisés pour détruire des lésions bénignes ou malignes (tumeurs, calcifications, calculs…). 

Utilisations thérapeutiques des ultrasons (HIFU), Lithotripsie, Pharmacoémulsification
Utilisations thérapeutiques des ultrasons

Les ultrasons focalisés de haute intensité (High Intensity Focused Ultrasound ou HIFU) permettent de répéter le traitement, sans risque de dose limite comme avec les traitements ionisants, et d’atteindre des organes même profonds sans nécessiter d’incision, contrairement aux traitements par radiofréquence ou par laser. Cependant, certains tissus sont moins accessibles que d’autres, selon la nature de ceux qui doivent être préalablement franchis (os notamment). Actuellement, les HIFU sont principalement utilisés dans le traitement de certains cancers (foie, prostate), des fibromes utérins, ou du glaucome. Ils sont couplés à un monitorage précis de la destruction tissulaire, en temps réel, grâce au suivi par IRM des modifications locales de température. 

La lithotripsie est une technique se fondant sur l’utilisation d’ultrasons pour briser des calculs rénaux ou biliaires : des ondes de chocs émises à intervalle réguliers créent localement des bulles de gaz qui s’agglomèrent pour imploser à la surface du calcul (phénomène de cavitation). Elles le désagrègent progressivement en fragments inframillimétriques, éliminés ensuite par les voies naturelles. 

Sur le même principe, la pharmaco-émulsification permet de détruire le cristallin opacifié lors du traitement de la cataracte. Les fragments sont ensuite évacués par un système d’irrigation-aspiration.


Quels sont les paramètres des ondes déterminant leur utilisation ?

Une onde est caractérisée par plusieurs paramètres : son amplitude, la durée du tir (ou burst de signal) et le nombre de répétition de ces tirs. 

En imagerie, l’amplitude des ondes utilisées est de l’ordre du mégapascal, émis pendant une microseconde. En thérapeutique (HIFU), l’amplitude est la même mais le burst dure plusieurs secondes, créant une intensité et une énergie acoustique élevée. Enfin, dans la lithotripsie, l’amplitude doit être beaucoup plus élevée, afin d’offrir une puissance suffisante pour détruire une calcification de façon mécanique, mais très courte, afin qu’elle ne chauffe pas. 

Des bursts plus longs, mais d’amplitude limitée permettent de moduler l’activité des neurones. Et en utilisant des ultrasons émis sur une courte durée (100 microsecondes), on peut aussi créer une palpation à distance des tissus (élastographie).


système microvasculaire du cerveau d’un rat
Représentation du système microvasculaire du cerveau d’un rat à partir des vitesses des bulles qui le parcourent. L’échographie ultrarapide permet de réaliser de l’élastographie par ondes de cisaillement et de l’imagerie fonctionnelle du cerveau par ultrasons. ©ESPCO/Inserm/CNRS

Les enjeux de la recherche dans le domaine des ondes ultrasonores

Les progrès technologiques réalisés dans le domaine des ondes ultrasonores surviennent à une vitesse exponentielle. De nombreuses évolutions scientifiques et technologiques sont apportées aux méthodes conventionnelles, pour augmenter leurs performances. Elles permettent l’obtention d’images de plus en plus précises, plus quantitatives et plus fonctionnelles des tissus. À plus longue échéance, la miniaturisation des systèmes échographiques permettra même de proposer une neuromodulation par implantation de sondes. Parallèlement, le coût des appareillages devrait diminuer, permettant leur large diffusion. 

Vers de nouvelles applications diagnostiques

Dans un premier temps, les progrès se sont notamment concentrés sur la rapidité d’acquisition et de traitement de l’information. Grâce à un nouveau principe de transmission des ondes ultrasonores (l’holographie acoustique par ondes planes), les images sont acquises à un rythme bien plus rapide qu’auparavant (de 50 à 10 000 images par seconde) : l’imagerie ultrasonore ultrarapide offre non seulement les informations habituelles de l’échographie, mais elle en apporte également d’autres, telles que la dureté des tissus. 

Cette méthode, dite d’élastographie, permet d’ores et déjà d’améliorer le diagnostic ou l’évaluation de maladies du foie ou de la thyroïde de façon non invasive. De fait, la place des ultrasons dans l’imagerie ne cesse d’être redéfini grâce aux progrès techniques franchis régulièrement. Ainsi, ces méthodes sont évaluées dans de nouveaux domaines, comme l’évaluation de la dureté des tumeurs à visée pronostique. La dureté du tissu cardiaque constitue un autre champ d’investigation : la rigidité cardiaque est un paramètre jusqu’à présent inaccessible par d’autres techniques d’évaluation. Sa mesure permettrait pourtant de faciliter le diagnostic de l’insuffisance cardiaque chez près de la moitié des personnes touchées, pour lesquelles aucune mesure directe n’est possible. 

L’ultrafast Doppler améliore énormément la sensibilité de l’écho-Doppler classique, permettant d’étudier des vaisseaux de plus petit calibre. La cadence ultrarapide offre une meilleure sensibilité et permet d’observer les vaisseaux dans lesquels le flux sanguin n’est plus assez rapide pour être mesurable par le Doppler classique. Elle constitue ainsi une nouvelle méthode d’exploration in vivo de la dynamique du réseau vasculaire, depuis les plus gros vaisseaux jusqu’à ceux de plus petit calibre, au niveau desquels a lieu le couplage neurovasculaire (interface entre artérioles et neurones). Cet outil peut notamment offrir de nouvelles modalités d’exploration fonctionnelle et des mesures d’évaluation dans les pathologies neurovasculaires. La preuve de concept a d’ores et déjà été apportée et son utilisation clinique dans l’évaluation de la fonction cérébrale des nouveaux-nés devrait se développer dans les prochaines années. 

Utilisations diagnostiques des ultrasons - Echographie, élastographie, écho-Doppler, Ultrafast Doppler, microscopie ultrasonore
Utilisations diagnostiques des ultrasons

La super-résolution a également permis de développer une méthode de microscopie ultrasonore, qui offre le moyen d’évaluer le réseau des capillaires humains, dont le diamètre n’est que de quelques microns, à plusieurs centimètres de profondeur et de façon non invasive . Dans cette approche, les microbulles de gaz créées par les ultrasons permettent aux ondes d’être renvoyées dans toutes les directions. Couplée à une acquisition ultrarapide, cette approche permet de détecter la position de chaque bulle indépendante à chaque instant, pour offrir une cartographie des microvaisseaux jusqu’à une échelle microscopique depuis la surface du corps. Les perspectives sont nombreuses dans la recherche en neurosciences, en oncologie, dans le diabète (où l’atteinte des microvaisseaux est une préoccupation majeure) ou dans le domaine cardiovasculaire. L’intérêt de cette approche serait d’améliorer la compréhension des mécanismes physiopathologiques précoces qui ne sont actuellement identifiés qu’à un stade plus avancé de la maladie, au niveau des plus gros vaisseaux. 

Vers de nouvelles applications thérapeutiques

Plusieurs approches thérapeutiques innovantes, mettant en œuvre différents types d’ondes ultrasonores, sont en développement : 

Dans le domaine de la psychiatrie, des ondes dont la puissance est intermédiaire à celles utilisées en imagerie et en thérapie pourraient permettre une neuromodulation ultrasonore, en alternative à la stimulation magnétique transcrânienne (TMS) aujourd’hui utilisée dans le traitement de la dépression résistante aux médicaments. 

Par ailleurs, à l’image de ce qui se pratique déjà avec la lithotripsie des calculs rénaux, la combinaison des ultrasons diagnostiques et thérapeutiques à travers un même appareillage est une approche en cours de développement pour observer et traiter les pathologies des valves cardiaques et les sténoses aortiques liées à leur calcification : cette approche permet de localiser les zones calcifiées et d’appliquer simultanément des ondes de chocs permettant leur destruction. La preuve de concept a été apportée par des chercheurs de l’Institut Langevin et conduit à la création d’une start-up (Cardiawave). Cette méthode pourrait devenir une alternative non invasive simple à la chirurgie conventionnelle, délicate à mettre en œuvre chez les personnes âgées (qui constituent la majorité des patients concernés). Les premiers essais cliniques sont planifiés. Une approche similaire est également développée dans la prise en charge des thrombus veineux (phlébite).

Enfin, la délivrance d’un médicament au niveau de tissus cibles est une approche thérapeutique émergente utilisant indirectement les ultrasons : Des microgouttelettes transportant un médicament encapsulé sont administrées dans la circulation sanguine. Une fois le tissu cible atteint par le produit, le phénomène de cavitation lié à des bulles de gaz créées par les ultrasons est utilisé pour déclencher la libération du médicament. L’approche est particulièrement étudiée dans le domaine du traitement du cancer, où l’objectif est de limiter la toxicité associée au traitement sur les cellules saines, tout en optimisant l’activité thérapeutique au niveau de la tumeur. 

Cette approche est en outre intéressante pour rendre certains tissus plus accessibles aux médicaments, en particulier pour permettre le passage de la barrière hématoencéphalique (BHE). Cette structure, dont le rôle est de limiter le passage de toxiques depuis la circulation vers le tissu cérébral, rend le traitement des maladies du système nerveux central (notamment tumorales) difficile. Grâce aux oscillations mécaniques qu’elles provoquent, les ondes ultrasonores pourraient temporairement perméabiliser la BHE, autorisant le passage de médicaments. La délivrance localisée d’un traitement (biothérapie, thérapie génique) par ultrasons, associée à un contrôle visuel par IRM, fait actuellement l’objet de travaux chez l’animal. Elle permettrait de disposer d’une procédure non invasive pour traiter certaines pathologies cérébrales. 


L’accélérateur de recherche technologique (ART) : une structure Inserm inédite pour booster le passage de la recherche sur les ultrasons à leur application

l’Inserm a inauguré son premier accélérateur de recherche technologique (ART) en novembre 2016, dédié aux ultrasons biomédicaux. Cette nouvelle forme d’organisation vise à rapprocher physiciens, biologistes, cliniciens d’une équipe d’ingénieurs, afin d’accélérer le développement d’appareillages ou techniques prototypes et leur utilisation par des laboratoires de recherche et des centres hospitaliers partenaires. 

Installé au sein de l’ESPCI Paris, l’ART a jusqu’à présent développé une quinzaine de prototypes uniques au monde, dont l’utilisation vise le domaine des maladies cardiovasculaires, des neurosciences et du cancer. Certains sont d’ores et déjà déployés en recherche clinique, comme l’élastographie ultrasonore ou la neuroimagerie fonctionnelle. 

Cette structure permet d’accélérer le développement et la dissémination de technologies de pointe auprès des laboratoires et des services hospitaliers partenaires, leur offrant une avance importante sur le plan international. 

En savoir plus sur l’ART Ultrasons biomédicaux


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