Fibromyalgie

Une douleur chronique et diffuse, enfin reconnue

La fibromyalgie est une forme de douleur chronique diffuse, associée à une hypersensibilité douloureuse et à différents troubles, notamment du sommeil et de l’humeur. Elle a un impact majeur sur la qualité de vie et les activités sociales et professionnelles. Depuis une vingtaine d’années, des études sont menées pour mieux comprendre la maladie, longtemps étiquetée comme féminine et catégorisée comme d’origine psychosomatique. Ces études ont conduit à la reconnaissance du syndrome en tant que pathologie chronique véritable, permettant l’ouverture d’un nouveau pan dans la recherche fondamentale et thérapeutique.

Dossier réalisé en collaboration avec Didier Bouhassira, unité Inserm 987 Physiopathologie et pharmacologie clinique de la douleur, Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt. 

Comprendre la fibromyalgie

La fibromyalgie est définie cliniquement comme « un syndrome constitué de symptômes chroniques d’intensité modérée à sévère incluant des douleurs chroniques diffuses sans cause apparente et une sensibilité à la pression, associées à de la fatigue, des troubles cognitifs et du sommeil et de nombreuses plaintes somatiques ». Elle a été reconnue comme entité médicale par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1992 et classée en tant que douleur chronique généralisée dans la dernière classification internationale des maladies (CIM).

Malgré cette reconnaissance institutionnelle, la maladie fait encore l’objet de polémiques. L’hétérogénéité de ses symptômes et l’absence de lésion ou de dysfonctionnement organique identifiable explique les doutes longtemps émis par une partie du corps médical sur le fondement rationnel de cette maladie. Il est possible que ces anomalies existent mais ne soient pas décelables par les techniques d’exploration actuelles. Aussi, la fibromyalgie n’est plus considérée comme une maladie psychosomatique, mais comme une douleur nociplastique causée par des altérations de la nociception, c’est-à-dire du système de détection et de contrôle de la douleur. 

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Une importante variabilité des symptômes

La fibromyalgie fait partie des syndromes de sensibilisation centrale, au même titre que certaines céphalées chroniques ou que le syndrome de l’intestin irritable. Elle regroupe typiquement : 

  • Des symptômes neurologiques : il s’agit de douleurs chroniques diffuses spontanées, principalement au niveau des muscles, des tendons ou des articulations. Certains patients se plaignent aussi d’une allodynie (douleur liée à un stimulus considéré comme normalement indolore) ou de crises aiguës de douleurs dont la localisation peut être différente de celle des douleurs chroniques. Enfin, des fourmillements, picotements ou une hypersensibilité à des stimulations sensorielles sont parfois associés.
  • Une fatigue chronique, qui concernerait 3 patients sur 4, sans que l’on soit capable de déterminer si elle découle des autres symptômes associés à la fibromyalgie ou si elle en constitue un symptôme propre.
  • Des troubles du sommeil, qui affectent une majorité des patients fibromyalgiques, comme dans d’autres maladies douloureuses chroniques.
  • Des troubles anxieux et dépressifs sont également souvent retrouvés, avec parfois un risque suicidaire accru.

Les relations entre douleur, sommeil et dépression sont étroites, chacun favorisant l’autre et entretenant le mécanisme physiopathologique. 

Parallèlement, beaucoup des personnes atteintes se plaignent de troubles cognitifs qui pourraient être liés, selon les hypothèses, soit à la distraction imposée par la douleur chronique dans les tâches d’apprentissage, soit à une façon différente d’allouer ses ressources attentionnelles à ces différentes tâches. 

Enfin, la condition physique des patients est le plus souvent dégradée, notamment par peur des douleurs lors des mouvements (kinésiophobie).

La fibromyalgie se caractérise par une importante variabilité de la nature et de l’intensité des symptômes, aussi bien d’un patient à l’autre que chez un même patient au cours du temps. Elle a également une évolution variable, depuis une amélioration jusqu’à une aggravation spontanée. Cette hétérogénéité est favorisée par l’existence de facteurs d’aggravation (stress, émotions, certaines postures…) et d’autres qui favorisent l’amélioration (relaxation, activité physique…). 

D’une manière générale, si la fibromyalgie n’altère pas l’espérance de vie, elle a un impact déterminant sur la qualité de vie et la vie professionnelle, le taux d’incapacité associé pouvant atteindre jusque 50% des malades dans certaines études. 

La fibromyalgie – animation pédagogique – 2 min 53 – 2020 

Les enfants peuvent-ils être touchés ?

A travers le monde, quelques équipes médicales spécialisées ont évoqué l’existence d’un syndrome de fibromyalgie juvénile, chez les enfants et les adolescents. Leurs signes cliniques seraient globalement comparables à ceux présentés par les adultes, avec un retentissement de la maladie sur leur vie quotidienne et scolaire aussi important. Cependant, la rareté de ces cas ne permet pas de déterminer la réalité d’un tel syndrome, ni de déterminer l’évolution et le devenir de ces manifestations à l’âge adulte. 


Un diagnostic délicat

A ce jour, il n’existe pas de lésion organique ou de biomarqueur biologique qui permette d’objectiver un diagnostic de fibromyalgie. Les critères utilisés sont donc fondés sur les symptômes. Les médecins prennent en compte un score de douleurs diffuses, qui s’appuie sur leur localisation et leur intensité, ainsi qu’un score de sévérité des symptômes associés (fatigue, troubles cognitifs…). Il existe aussi un auto-questionnaire qui permet aux patients d’évaluer simplement et rapidement s’ils peuvent être concernés par la maladie. Baptisé FiRST (PDF, 680 Ko), repose sur 6 questions explorant l’existence de douleur diffuses et leur nature.

L’association fréquente de la fibromyalgie à d’autres maladies – comme des troubles de la thyroïde, des maladies rhumatismales (auto-immunes ou non), ou encore avec la prise de certains médicaments (statines, anti-aromatases) – complique le diagnostic. Le médecin doit dresser un tableau clinique et biologique (par prise de sang) précis, pour être en mesure de différencier les signes liés à la fibromyalgie de ceux liés à d’autres maladies. Ce travail permet d’établir un diagnostic différentiel ou d’établir l’existence simultanée de deux pathologies. 

En pratique, l’hétérogénéité de la maladie et l’absence de formation ou de sensibilisation d’une partie du corps médical rend le parcours des patients compliqué avant que le diagnostic ne soit établi. Il nécessite souvent l’expertise d’un spécialiste. 

Diagnostiquer la fibromyalgie – interview de Didier Bouhassira – 2 min 56 – 2020 

Des facteurs psychologiques et sociaux fréquemment en cause

La fibromyalgie serait d’origine multifactorielle, liée à des facteurs à la fois biologiques, psychologiques et sociaux. 

Sur le plan biologique, deux mécanismes sont avancés pour expliquer ces douleurs nociplastiques : la première serait centrale, avec des seuils de perception de la douleur plus bas et une hyperexcitabilité des mécanismes de détection. La seconde serait à l’inverse d’origine périphérique, liée à l’altération spécifique de certaines fibres nerveuses. Il n’est pas exclu que les deux mécanismes existent simultanément. Par ailleurs, des études suggèrent des regroupements familiaux de cas. Aussi, de nombreuses études sont menées en génétique ou en épigénétique, à la recherche d’une susceptibilité à la douleur. 

Les facteurs psychologiques sont importants à considérer dans les mécanismes de la douleur d’une manière générale, et dans les mécanismes de la fibromyalgie en particulier. Il semble que des traits de personnalité spécifiques, comme le sentiment d’isolement social, le catastrophisme ou les difficultés d’ajustement du comportement face aux évènements douloureux, favorisent sa survenue. Les études menées auprès de groupes de patients décrivent également des antécédents fréquents de traumatismes psychologiques ou physiques (accidents, deuil, violence, chirurgie…). 

Concernant les facteurs sociaux, certaines études ont suggéré que les personnes issues de catégories socio-économiques modestes ou de professions manuelles sont plus volontiers touchées, mais en réalité, la fibromyalgie peut toucher toutes les catégories de la population adulte. 

Fibromyalgie et travail – interview de Yves Roquelaure – 4 min – 2020 

Une maladie dont la fréquence est incertaine

Etant donné les difficultés et le facteur culturel associé aux démarches diagnostiques, à la fois du côté des patients et de celui des médecins, les données sur la prévalence de la fibromyalgie sont imprécises : 1,5 à 2% de la population adulte pourrait être concernée, selon les critères utilisés et l’origine géographique des données, soit près d’1,5 millions de personnes en France. Cette prévalence augmenterait avec l’âge pour être maximale entre 40 et 50 ans. Elle pourrait aussi être plus élevée chez les femmes, même si toutes les études ne sont pas concluantes sur ce point. 


Une prise en charge pluridisciplinaire, en premier lieu non médicamenteuse

La prise en charge de la fibromyalgie repose sur une expertise multidisciplinaire. La relation de confiance établie entre le soignant et le soigné constitue un premier élément pour apaiser l’inquiétude au moment du diagnostic, chez des patients qui ont le plus souvent connu une longue errance médicale. 

Le traitement de première intention de la fibromyalgie repose sur des approches non pharmacologiques : la première consiste en une remise en activité, essentiellement à travers une activité physique adaptée (APA) encadrée par un professionnel. Grâce à l’imagerie médicale, il a en effet été décrit que l’activité physique agit sur le contrôle de la douleur au niveau cérébral. Les exercices doivent être personnalisés, afin que leur nature et leur fréquence soient adaptées aux douleurs et au rythme de vie du patient. Le yoga, le qi gong ou le tai chi peuvent aussi être envisagés. 

L’approche psychosociale est également importante. Loin d’être proposée par défaut, elle vise à favoriser l’amélioration de la modulation de la douleur, qui est altéré dans la fibromyalgie. Elle peut notamment reposer sur : 

  • Une psychothérapie par thérapie cognitivo-comportementale (TCC), qui permet d’améliorer la qualité de vie, de promouvoir l’estime de soi, le sentiment d’auto-efficacité, de réduire le stress et d’encourager le patient à s’engager dans des stratégies d’ajustement. L’hypnothérapie peut aussi aider à la remise en mouvement.
  • L’éducation thérapeutique du patient (ETP), qui l’aide à mieux comprendre et gérer sa maladie au quotidien, à s’investir dans sa prise en charge et à améliorer sa qualité de vie. Ce type de programme consiste en plusieurs sessions, collectives et/ou individuelles, d’information, de formation et d’échange.

Des associations de patients proposent en outre écoute, partage et entraide aux personnes malades. 

Dans un second temps, des traitements pharmacologiques peuvent être prescrits : des médicaments (antalgiques, antiépileptiques, antidépresseurs) peuvent être utilisés pour soulager la douleur, mais leur usage doit rester ponctuel. L’efficacité de ces traitements n’est pas observée chez tous les patients, et elle est le plus souvent partielle. 

La neurostimulation non invasive (stimulation magnétique transcrânienne) est aussi développée dans certains centres de traitement de la douleur. Si les études publiées montrent une disparité en termes d’efficacité, d’autres, de plus grande ampleur, seraient utiles pour mieux évaluer l’apport de cette approche. 

Fibromyalgie, quelles prises en charge ?– interview de Gisèle Pickering – 3 min 13 – 2020 

Les enjeux de la recherche

L’évolution des connaissances cliniques et neuroscientifiques a permis de mieux appréhender la réalité de la fibromyalgie. Cependant, beaucoup reste à faire pour comprendre parfaitement les mécanismes impliqués dans cette maladie et parvenir à la prendre en charge. Hélas, l’absence d’un modèle animal qui mimerait parfaitement la maladie rend la démarche plus difficile. 

La recherche doit aussi approfondir la question des enfants et des adolescents qui présentent un syndrome douloureux chronique évocateur. 

Une ou des fibromyalgies ?

L’hétérogénéité de la fibromyalgie suggère que plusieurs maladies seraient regroupées sous cette seule étiquette. Des travaux sont donc conduits afin de constituer des sous-groupes de patients avec des profils homogènes, à partir desquels il serait plus facile de conduire des études fondamentales, des travaux sur l’évolution de la maladie ou encore des recherches thérapeutiques. 

Ce travail peut être facilité par l’identification de biomarqueurs : si aucun n’a pu être identifié pour l’heure, les études se poursuivent. Des profils génétiques, épigénétiques et métabolomiques commencent à émerger dans l’étude de ces sous-groupes. 

Des mécanismes à mieux élucider

Les mécanismes neurobiologiques impliqués dans l’apparition puis le maintien de la douleur diffuse restent eux aussi à approfondir. Ils devront permettre de confirmer ou d’infirmer les hypothèses d’une origine centrale et/ou périphérique de la maladie. 

Un axe important de recherche consiste aussi à comprendre comment le stress physique, psychologique ou émotionnel peut entraîner des perturbations de la perception de la douleur. Ils influenceraient notamment le système sympathique autonome, activé lors d’un stress, et l’axe hypothalamo-hypophysaire, qui joue un rôle majeur dans les différents systèmes hormonaux. 

L’imagerie cérébrale pourrait apporter des éléments d’information : elle a récemment permis de décrire l’existence d’une matrice de la douleur qui impliquent différentes structures corticales ou subcorticales. Aussi, des travaux cherchent à évaluer la façon donc ce réseau neuronal complexe pourrait intervenir ou être perturbé dans la fibromyalgie. Le mode de fonctionnement « par défaut » du cerveau, qui implique un ensemble de régions cérébrales activées de façon synchrone lorsqu’on laisse libre cours à ses pensées, pourrait également dysfonctionner. 

Sur un plan plus clinique, la neuro-imagerie pourrait aussi mettre en lumière certaines spécificités fonctionnelles propres à différents sous-groupes de patients, et ainsi offrir des biomarqueurs pertinents pour former des groupes homogènes de patients. 

Améliorer la prise en charge

Parce qu’elle relève d’abord d’approches non médicamenteuses, la prise en charge de la fibromyalgie n’est pas parfaitement codifiée : des études rigoureuses, visant à optimiser les protocoles d’activités physiques, définir les interventions psychothérapeutiques les plus pertinentes ou les modalités précises de l’ETP, permettraient d’améliorer la prise en charge. Ainsi, de nombreux travaux évaluent l’efficacité d’approches telles que la sophrologie, la méditation pleine conscience… L’idée serait in fine de pouvoir personnaliser les traitements proposés, selon les spécificités des patients. 

Par ailleurs, le développement de la modulation magnétique transcrânienne se poursuit, avec pour objectif de disposer d’essais cliniques plus robustes afin de mieux décrire l’efficacité de cette technique sur les systèmes neuronaux dysfonctionnels. 

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