MICI : un bénéfice collatéral des traitements de l’inflammation intestinale

L’effet anti-inflammatoire des anti-TNFs, médicaments fréquemment utilisés dans la prise en charge des maladies inflammatoires chroniques des intestins (MICI), ne se cantonnerait pas à la seule sphère intestinale. Les complications artérielles parfois graves, favorisées par l’inflammation chronique liée à la maladie, seraient également réduites sous traitement…

Une inflammation généralisée chronique favorise le développement de l’athérosclérose, qui est elle-même associée à des complications parfois sévères : accident vasculaire cérébral (AVC), syndrome coronarien aigu (SCA), maladie artérielle périphérique (MAP)… Dans les rhumatismes inflammatoires chroniques (la polyarthrite rhumatoïde notamment), il est établi que l’inflammation chronique liée à la maladie augmente le risque cardiovasculaire, alors que les traitements anti-inflammatoires le réduisent. L’étude du risque cardiovasculaire et l’impact des traitements sur ce risque sont en revanche mal connus dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) : maladie de Crohn et rectocolite hémorragique. Le groupe de travail français BERENICE a souhaité combler ce manque en menant des travaux sur le sujet : après avoir rapporté que le risque d’accidents artériels aigus chez les patients atteints de MICI était supérieur à celui de la population générale, il vient de montrer dans une nouvelle étude que les anti-TNFs, un des principaux traitements des MICI, réduisent également la survenue des accidents artériels aigus. Selon Julien Kirchgesner* qui a conduit ces analyses, il est nécessaire d’intégrer ces données dans l’évaluation de la balance bénéfice/risque des anti-TNFs lors de leur prescription. 

Une étude exhaustive grâce aux données en population

Au sein de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique, Julien Kirchgesner mène des travaux de pharmaco-épidémiologie dans les maladies inflammatoires à médiation immunitaire. Il travaille à partir des bases de données médico-administrative françaises : « Nous avons utilisé le Système national de données de santé (SNDS), qui regroupe les données de délivrance des traitements en ambulatoire et données d’hospitalisation de plus de 98% de la population générale, et dont la taille permet d’étudier l’impact des traitement selon les différents sous-groupes de patients ». En 2018, une première exploitation du SNDS avait permis d‘identifier un surrisque d’évènements artériels aigus (AVC, SCA, MAP) chez les personnes atteintes de MICI, comparées au reste de la population. Ce risque apparaissait d’autant plus important que la maladie était sévère et que les patients étaient jeunes. « Il est donc apparu intéressant d’évaluer si l’effet anti-inflammatoire des traitements prescrits dans les MICI offraient aussi un moyen de réduire les complications liées à l’athérosclérose ».

Affiner la balance bénéfice-risque des anti-TNFs

Dans ce nouveau travail, tous les patients de plus de 18 ans présentant un diagnostic de MICI avant 2012 ont été identifiés. Les délivrances d’anti-TNFs ont été recherchées ainsi que celles des thiopurines, une autre classe de médicaments anti-inflammatoires plus anciens. Enfin, les évènements artériels aigus (AVC, SCA, MAP) survenus sur la période 2010–2014 ont été recensés. Au total, les données de 177 827 patients (dont 50,7% atteints de maladie de Crohn) ont été analysées et ont apporté plusieurs informations utiles pour la pratique clinique : « Nous avons d’abord pu observer l’incidence non négligeable des évènements artériels », avec 4 145 évènements recensés au cours du suivi, soit 5,4 évènements pour 1 000 personne-années. 

Par ailleurs, l’évaluation de l’impact des traitements chez les personnes traitées versus non traitées a montré que le traitement par anti-TNFs était associé à un risque d’évènement cardiovasculaire abaissé de 21%, alors que les thiopurines ne permettaient pas de réduction statistiquement significative : « Nous pensons que cette différence est due au degré de rémission potentiellement obtenue sous anti-TNFs, notamment à la régression des marqueurs biologiques de l’inflammation ». En effet, le degré de rémission peut varier selon le traitement, depuis la disparition des symptômes sans normalisation complète des médiateurs circulants de l’inflammation, jusqu’à la cicatrisation muqueuse avec normalisation des biopsies digestives. « Cela suggère que les objectifs de rémission de la maladie doivent être ambitieux : ne pas se limiter à la régression des symptômes mais être étendus au minimum à la rémission biologique ». Ceci apparaissait d’autant plus vrai parmi la population d’hommes atteints de maladie de Crohn sous anti-TNFs, pour lesquels une diminution de 40% du risque d’évènement était observé. 

« A l’ère de la médecine personnalisée, il est indispensable de prendre en compte l’ensemble des caractéristiques du patient afin de lui proposer le traitement avec la meilleure balance bénéfice/risque » explique le chercheur. Il semble ainsi nécessaire d’inclure l’effet protecteur des anti-TNFs vis-à-vis du risque d’accidents artériels aigus dans la balance bénéfice/risque de ces traitements qui, au-delà de leur bénéfice en termes de rémission de la maladie, sont associés à un risque d’infections et de certains cancers. « Nous allons prochainement compléter ces données par un travail sur les nouvelles classes d’anti-inflammatoires qui commencent à être indiquées dans les MICI et qui ont des mécanismes d’action différents : les anti-intégrines, les anticorps ciblant l’IL-12 et IL-23, les inhibiteurs des Janus kinases… Nous pourrons ainsi étoffer les connaissances sur la balance bénéfice/risque de l’ensemble des traitements des MICI et évaluer notamment si leurs avantages cardiovasculaires sont similaires ou différents de ceux des anti-TNFs. »

Note :
*unité 1136 Inserm/Sorbonne Université, équipe Pharmacoépidémiologie et évaluation des soins, Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique, Paris 

Source : Kirchgesner J et al. Risk of acute arterial events associated with treatment of inflammatory bowel diseases : nationwide French cohort study. Gut, édition en ligne du 24 août 2019. DOI : 10.1136/gutjnl-2019–318932