L’émergence de la science participative : rapprocher chercheurs et patients

Des citoyens qui coproduisent le savoir : l’idéal de la science participative a aujourd’hui le vent en poupe dans de nombreux domaines. Le partenariat institué entre l’Inserm et les associations de malades est unique en France. À travers le Groupe de réflexion avec les associations de malades (Gram) et la Mission associations, c’est un programme de recherche ouverte vers la société qui est construit jour après jour. Comment atteindre l’idéal de la science participative en santé ? Et comment évaluer les chercheurs qui y consacrent du temps ?

Article extrait du rapport d’activité 2018 de l’Institut

Le réseau des associations de personnes malades, de personnes en situation de handicap et de leurs familles en lien avec l’Inserm s’étoffe sans cesse : en 2018, 522 associations et 3 127 contacts ont été référencés dans la base Inserm associations. Fait marquant : ce nombre a plus que doublé au cours des cinq dernières années. Afin de faciliter des échanges en profondeur entre associations et chercheurs, la Mission associations a initié, dès 2004, des séminaires de formation pour les membres associatifs. Les thèmes abordés répondent à la demande des associations, souvent en avance sur les débats publics : vaccination, tests génétiques, déterminants environnementaux de santé, etc. 

« Lors de la création de la Mission associations de l’Inserm en 2003, les demandes des associations ont d’abord été d’avoir accès à une information fiable et mise à jour, explique Flavie Mathieu, responsable du Collège des relecteurs et du réseau ScienSAs de l’Inserm. Mais comme cela existe dans les domaines du sida et des maladies rares, le paradigme a désormais changé : les associations veulent participer à la recherche à part entière. » À la demande du Gram, François Faurisson, responsable des formations, mène une enquête décrivant les engagements de recherche des associations, en collaboration ou en synergie avec les chercheurs, et le bénéfice que ceux-ci en tirent. Au cours de l’année 2018, 133 associations ont répondu au questionnaire intitulé Les associations font de la recherche. Une série d’entretiens approfondis est en cours et les résultats paraîtront fin 2019. 

Quand les patients améliorent et accélèrent la recherche clinique

Le Collège des relecteurs de l’Inserm, lancé en 2007 en lien avec le pôle de recherche clinique et piloté par la Mission associations, est constitué de 71 membres associatifs, formés par l’Inserm, qui apportent les modifications nécessaires sur les notices d’information et les formulaires de consentement des protocoles de recherche afin d’en améliorer la lisibilité et de parfaire la prise en charge du patient dans le cadre du protocole. 

Avec le renouvellement du Collège en 2018, cette action monte en puissance, ses responsabilités et missions devenant plus étendues : proposition de modifications du protocole, relecture de protocoles européens en langue anglaise et des projets pilotes du plan France médecine génomique 2025. « Le Collège des relecteurs améliore la recherche clinique en levant des freins à la participation des candidats ou en identifiant des biais de recrutement ou de mesure du trait étudié. Ce sont parfois des choses simples mais non perçues par le clinicien, montrant l’importance de faire appel au savoir expérientiel des personnes malades. Cela permet d’alerter sur des contraintes difficilement acceptables par le participant en raison de sa pathologie et facilite l’obtention des autorisations pour démarrer le protocole, rappelle Flavie Mathieu. Sous cette forme, la participation des associations prend la forme d’une recherche-action, puisqu’elle permet d’améliorer les dispositifs existants pour résoudre des problèmes auxquels sont confrontés les chercheurs. »

Le groupe Inserm alcool, un modèle unique

Fondé en 2006, le groupe Inserm alcool est unique en son genre : 18 membres associatifs issus de 9 associations de malades et d’un chercheur addictologue, il identifie des sujets de recherche puis, en lien avec des chercheurs, organise les protocoles, participe à leur exécution, surveille leur bon déroulement et discute de leurs résultats. Les associations n’y assurent pas d’apport financier, mais une implication totale dans l’élaboration et la réalisation des projets de recherche, avec une responsabilité dans le recrutement des participants. 

En rupture avec plusieurs décennies de tabou, le groupe Inserm alcool vient d’axer sa recherche sur les troubles causés par l’alcoolisation fœtale, un domaine très sensible. La première étape de ce nouveau projet de recherche participatif a été, en 2018, le repérage des personnes souffrant de troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF) ou d’un syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF). En parallèle, le groupe Inserm alcool organise des actions de formation et information. En décembre 2018, la 9e rencontre Alcool et recherche a ainsi réuni 120 personnes sur les thèmes du binge drinking et du devenir des fonctions cognitives après l’arrêt de l’alcool.

L’implication et l’évaluation des chercheurs

Et du côté des chercheurs ? Comment mesurer leur engagement avec les associations de malades et comment intégrer cette dimension dans leur évaluation ? L’enquête Cairnet, menée par François Faurisson sur 600 chercheurs de l’Inserm en 2013, avait montré que si 81% des scientifiques sont en contact avec des associations, leur perception de ce rapport science-société permettait de définir quatre groupes : ceux qui travaillent tout le temps et de manière intégrée avec les associations ; ceux qui le font de manière plus épisodique en fonction des opportunités de recherche ; ceux qui limitent le rapport associatif à la collecte de financement sur projets et enfin ceux qui n’ont pas l’occasion de travailler avec des associations du fait de leur domaine de recherche très fondamental ou spécialisé. 

« Suite à l’enquête Cairnet, un item a été introduit dans le formulaire d’évaluation des chercheurs. À la demande du Gram, afin de permettre une meilleure valorisation de l’investissement des chercheurs auprès des associations, nous allons analyser la manière dont les scientifiques ont informé cette rubrique en 2017 et 2018 avec Philippe Coudol, du département de l’évaluation et du suivi des programmes (DESP). Le référentiel des collaborations associations / chercheurs attendu de l’enquête menée par François Faurisson devrait également y contribuer », explique Flavie Mathieu. Mais la question reste complexe et ne manquera pas de mobiliser la réflexion de l’Inserm en 2019.