AccueilActualitéScienceToxoplasmose : un tandem de biomarqueurs pour diagnostiquer les infections chroniquesToxoplasmose : un tandem de biomarqueurs pour diagnostiquer les infections chroniques Publié le : 11/09/2025 Temps de lecture : 5 min Actualité, ScienceUne équipe Inserm a identifié deux protéines du parasite responsable de la toxoplasmose dont le dosage combiné aiderait à identifier les infections chroniques dormantes. Ce test pourrait apporter des informations complémentaires aux tests sanguins conventionnels.Toxoplasma gondii est un parasite qui circule essentiellement entre les chats et les rongeurs, transmissible aux humains via leur alimentation ou par contact avec les selles d’un animal infecté (par exemple lors de la manipulation d’une litière ou de terre...). Il engendre alors une maladie bien connue : la toxoplasmose. Chez la majorité des personnes en bonne santé, sa forme aiguë engendre des symptômes modérés (fièvre, fatigue…) qui durent 10 à 15 jours, le temps que leur système immunitaire maîtrise l’infection et élimine la forme active du parasite. La maladie passe même parfois inaperçue. Il existe néanmoins deux groupes de personnes pour lesquelles l’infection peut être problématique. D’une part, les personnes immunodéprimées qui ne parviennent pas à contrôler le parasite : elles sont alors exposées à un risque de complications neurologiques, parfois mortelles. D’autre part, les femmes enceintes chez qui la toxoplasmose peut avoir des conséquences graves pour le fœtus si Toxoplasma gondii traverse le placenta : atteintes neurologiques ou oculaires, voire décès in utero.Mais la maladie peut aussi prendre une forme dite chronique. Le parasite a en effet la capacité d’échapper au système immunitaire en se nichant de manière définitive dans certains tissus comme l’œil, le cerveau ou les muscles (y compris le cœur), abrité dans des kystes microscopiques. Tant que les cellules immunitaires veillent, il y reste « silencieux ». Mais si les défenses de l’organisme deviennent moins efficaces – en lien avec le vieillissement, un cancer, une maladie comme le sida, un traitement immunosuppresseur… – Toxoplasma gondii peut se réactiver et provoquer des complications graves. Or, il n’existe actuellement aucune méthode diagnostique pour déterminer si une personne qui a été infectée par le parasite est porteuse de kystes ou non. Mais un nouveau test pourrait combler cet angle mort, grâce aux travaux menés par Marie Robert, doctorante au sein de l’équipe grenobloise Toxoplasmose et coévolution hôte-parasite dirigée par le chercheur Inserm Mohamed-Ali Hakimi.Un parasite transformistePour comprendre pourquoi les tests classiques ne reflètent pas l’infection chronique, il faut se pencher sur la capacité du parasite à adopter une conformation différente dans le sang et dans les tissus. « Durant l’infection aiguë, Toxoplasma gondii adopte une forme active, appelée tachyzoïte, contre laquelle l’immunité produit des anticorps. C’est cette forme qui est indirectement dosée lors des tests sanguins actuels. Un taux élevé d’anticorps IgM dirigés contre les tachyzoïtes indique une infection récente, et la présence en nombre d’anticorps IgG signale une infection ancienne », explique Mohamed-Ali Hakimi. Sur la base de ces dosages sérologiques, on estime que 30 à 40 % de la population est ou a été infectée. Mais toutes les personnes concernées ne sont pas porteuses de kystes. À l’intérieur de ces derniers, le parasite se terre sous forme de bradyzoïtes, non reconnus par les anticorps dirigés contre les tachyzoïtes. L’objectif de l’équipe grenobloise était donc de trouver des marqueurs spécifiques des bradyzoïdes, pour être en mesure d’identifier les individus porteurs de kystes.Après avoir mis en évidence la protéine BCLA (pour Bradyzoite Cyst Load-Associated antigen) en 2021, l’équipe de Mohamed-Ali Hakimi a identifié un second biomarqueur, BSM (pour Bradyzoite Serological Marker), complémentaire du premier : « Le dosage combiné de ces deux biomarqueurs permet de détecter plus efficacement la présence de kystes renfermant des bradyzoïdes que l’analyse isolée de l’une ou l’autre de ces protéines », précise le chercheur. Et même si les performances de ce dosage combiné sont moins élevées chez l’humain que chez la souris, elles donnent néanmoins, pour la première fois, un moyen de diagnostiquer une forme dormante de la toxoplasmose.Par ailleurs, le dosage de ces deux biomarqueurs pourrait permettre de dater plus précisément la formation et le développement des kystes. « Peu matures, les kystes sont associés à un taux élevé de BCLA et un faible taux de BSM, alors que plus tardivement, ils engendrent des taux sanguins élevés pour les deux biomarqueurs. En utilisant ces informations pour mieux dater l’infection, on peut adapter la prise en charge », poursuit Mohamed-Ali Hakimi. Le scientifique prévoit d’ailleurs de détailler l’évolution de la quantité de ces deux biomarqueurs au cours du temps afin d’offrir une chronologie précise de l’infection chronique.Des perspectives cliniques en psychiatrieUtilisé en routine clinique, ce tandem de biomarqueurs permettrait d’identifier les personnes immunodéprimées chez lesquelles il existe un risque de réactivation du parasite. « Chez les femmes, les antécédents d’infection sont systématiquement recherchés au début de la grossesse et celles qui ne présentent aucun anticorps contre le parasite font l’objet d’une surveillance sérologique mensuelle afin d’être traitées en cas d’infection. En y ajoutant ce nouveau test, on pourrait aussi suivre celles qui ont été infectées dans le passé et sont porteuses de formes latentes. » Ce test pourrait aussi aider à comprendre et mieux prendre en charge des formes de la maladie dans lesquelles le parasite s’est disséminé dans le cerveau sans avoir conduit à la formation d’anticorps classiques.Mais d’autres perspectives s’ouvrent, notamment en psychiatrie : des études observationnelles montrent une association statistique entre la présence intracérébrale du parasite et l’existence de certaines maladies comme la schizophrénie ou la maladie d’Alzheimer. « En partenariat avec des équipes de recherche clinique, nous allons conduire des études auprès de cohortes de patients afin de vérifier l’existence d’un lien entre la présence de parasites dormants dans leur organisme et la survenue de ces maladies. »Enfin, Mohamed-Ali Hakimi souligne l’importance du travail méthodologique que Christopher Swale, chercheur Inserm au sein de son équipe, a mené aux côtés de Marie Robert : « Pour conduire ces expérimentations, ils ont utilisé une technique de biologie moléculaire – la reprogrammation épigénétique de tachyzoïtes – qui a permis de produire de grandes quantités de bradyzoïtes in vitro, évitant le sacrifice de milliers de souris qu’auraient nécessité des méthodes expérimentales conventionnelles. C’est important pour une recherche scientifique plus éthique. »Mohamed-Ali Hakimi dirige l’équipe Toxoplasmose & Hôte-parasite coévolution à l’Institut pour l’avancée des biosciences (unité 1209 Inserm/CNRS/Université Grenoble Alpes), à Grenoble.Source : M. Robert et coll. Uncovering biomarkers for chronic toxoplasmosis detection highlights alternative pathways shaping parasite dormancy. EMBO Mol Med, mai 2025 ; doi : 10.1038/s44321-025–00252‑0Autrice : C. G.À lire aussi Chat alors ! C’est quoi la toxoplasmose ? 😼C’est quoi Toxoplasmose : Le parasite révèle ses secretsActualité, Science Un modèle in vitro pour mieux comprendre et combattre la toxoplasmoseActualité, Science