AccueilActualitéReportages en laboMusée sur ordonnanceMusée sur ordonnance Publié le : 15/05/2025 Temps de lecture : 4 min Reportages en laboUne visite au musée pourrait-elle un jour être prescrite par les médecins pour soulager l’anxiété ? C’est à Caen que cette idée originale a émergé, impliquant deux laboratoires de l’Inserm et plusieurs partenaires dont l’université de Caen-Normandie et le CHU de Caen-Normandie. Une étude clinique est actuellement menée au musée des Beaux-Arts de la ville. Deux cents volontaires ont accepté de se prêter au jeu. Leur mission, déambuler dans l’édifice et admirer les peintures exposées, seuls ou en binôme. L’intérêt : déterminer si cette expérience pourrait bénéficier aux personnes qui souffrent d’anxiété, de dépression ou d’autres pathologies neurologiques, en améliorant le bien-être cérébral.Un reportage à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°64Le musée des Beaux-Arts de Caen a des allures de laboratoire scientifique, en ce matin de fin février. Un homme contemple la rencontre entre Abraham et Melchisédech, figée par le pinceau de l’artiste Rubens il y a quatre siècles. L’art peut-il émouvoir, et ces émotions peuvent-elles se transmettre ? C’est la question pour laquelle le volontaire a accepté cette visite pas comme les autres. Afin de mesurer l’effet de cette œuvre sur lui, les chercheurs l’ont équipé de trois instruments. Sur son poignet, un bracelet enregistre la fréquence cardiaque et la sudation, des indicateurs d’émotion, positive ou négative. Autour de ses yeux, des lunettes intelligentes détectent le mouvement de ses pupilles, afin de savoir le point précis du tableau qu’il observe. Sur sa tête, un bandeau électronique mesure le débit sanguin dans le cortex frontal médian, la zone du cerveau qui transpose le mieux la gestion des émotions. Plus le débit sanguin est important, plus la zone des émotions est activée. « Grâce à ces trois appareils synchronisés, on peut savoir précisément quel endroit du tableau est observé lorsqu’une émotion transparaît », explique Denis Vivien, l’un des chercheurs qui pilote l’étude. Ces paramètres physiologiques sont aussi couplés à un questionnaire neurospychologique auquel doivent répondre les volontaires avant et après la visite.Quand l’art et la science œuvrent pour la même causeLors de la première visite, les volontaires sont seuls. Pour certains tableaux en revanche, ils sont accompagnés d’un médiateur culturel qui leur parle des œuvres représentant des paysages, des portraits ou encore des scènes de vie. Lors de la seconde visite, des binômes sont constitués. Les deux volontaires sont appareillés, regardent les tableaux ensemble et peuvent communiquer. « Ce qu’on cherche à savoir, c’est si les volontaires partagent les mêmes émotions en regardant ensemble le même endroit du tableau », souligne Denis Vivien. Pour certaines peintures, celui qui a reçu les explications d’un médiateur culturel pourra aussi le restituer à son coéquipier. La question est double : est-ce qu’on garde les effets du bien-être de la médiation lors d’une autre visite dans le musée, et est-ce que ces émotions peuvent circuler au sein du binôme ?Une expérience inéditeToute la singularité du projet réside dans le fait que le laboratoire soit déplacé au musée. « Tout est réalisé dans des conditions réalistes de la visite d’un musée, avec de vrais tableaux. C’est l’une des originalités de cette étude », poursuit le chercheur. Si les bienfaits de l’art sur le mental ont déjà été démontrés, c’est la première fois que l’on regarde si ces effets positifs peuvent se transposer d’une personne à l’autre et avec autant de paramètres mesurés simultanément. Les données physiologiques seront croisées avec les réponses au questionnaire, et finement analysées par une mathématicienne et deux psychologues. Les premiers résultats devraient être connus d’ici quelques mois.Hervé Platel et Denis Vivien dirigent les deux laboratoires Inserm impliqués dans l’étude menée au musée des Beaux-Arts de Caen. © Inserm/François GuénetEn parallèle, l’équipe de recherche travaille sur l’élaboration d’une deuxième expérience. Il s’agira, cette fois, de faire passer une IRM à quelques volontaires tout en projetant des images de tableaux, connus ou non. Ils seront séparés en deux groupes : d’un côté, des experts de l’art pictural et artistes peintres, et de l’autre, des néophytes en la matière. « Cette fois, nous pourrons voir de manière plus fine ce qu’il se passe dans le cerveau grâce à l’IRM, précise Denis Vivien. Et surtout savoir si le fait d’être spécialiste de l’art ou soi-même artiste induit une gestion des émotions différentes par rapport aux novices. Notre hypothèse, c’est que les experts seront davantage touchés par les œuvres célèbres. » Cette deuxième phase de l’expérimentation devrait débuter en 2026.L’art comme médicamentDans un premier temps, tout l’enjeu de cette étude est d’offrir les données scientifiques plaidant en faveur de l’art pour soulager la santé mentale. « On pourrait très bien imaginer qu’un jour les médecins prescriront des visites au musée pour diminuer les symptômes d’anxiété et de dépression, à la place d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques », avance le chercheur. Un outil thérapeutique ludique pour accompagner, voire remplacer la prise de médicaments. Particulièrement appropriée dans un contexte de dégradation de la santé mentale des jeunes et des adultes, exacerbée par la Covid-19 et les confinements. Mais cette expérimentation intéresse aussi d’autres domaines médicaux. « Nous pourrions créer des binômes composés d’une personne malade ou handicapée et d’un accompagnant, le tout sur prescription médicale. » Ainsi, un duo constitué d’un enfant autiste et de son auxiliaire de vie scolaire, d’un senior atteint d’Alzheimer et de son aidant, ou encore d’un voyant avec un non-voyant pourrait être envisagé.Le projet, qui a reçu un financement de 800 000 euros, est l’un des rendez-vous du Millénaire de la ville de Caen 2025. Tout au long de l’année, 250 événements mettront en lumière le patrimoine, la culture artistique et scientifique de la ville. Une étude qui dépasse donc la science, pour s’inscrire dans l’art et l’histoire.Denis Vivien dirige le laboratoire Physiopathologie et imagerie des maladies neurologiques (unité 1237 Inserm/Université de Caen-Normandie). Hervé Platel dirige le laboratoire Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine (unité 1077 Inserm/EPHE/Université Caen-Normandie).Autrice : L. A.Photos : Inserm/François GuénetÀ lire aussi Troubles anxieux