Radio-élastographie : des ondes pour palper les vaisseaux du cœur

Fournir aux médecins des informations sur la souplesse de tissus ou d’organes non accessibles, comme si le praticien effectuait une palpation, c’est tout l’enjeu de l’élastographie. Déjà utilisée pour le diagnostic de maladies du foie ou de cancers, cette technique fait appel à l’échographie, ou encore à l’IRM. Mais aucune de ces approches ne permettait de bien observer les artères coronaires, des vaisseaux dont la rigidité est corrélée à la santé cardiovasculaire. C’est pourquoi, une équipe lyonnaise a développé la radio-élastographie : l’utilisation de la radiographie par rayons X pour l’élastographie.

L’élastographie consiste à mesurer l’élasticité de tissus et d’organes internes, inaccessibles à la palpation manuelle. Elle repose sur l’utilisation de méthodes d’imagerie calibrées pour détecter une onde dite élastique, induite ou naturelle, et pour en mesurer la vitesse de propagation. Cette vitesse est corrélée à la dureté du tissu étudié – plus elle est rapide et plus il est rigide – elle-même corrélée à l’état de santé du patient. La méthode a d’abord été développée en échographie, puis adaptée à d’autres méthodes d’imagerie comme l’IRM. Elle est désormais utilisée en routine pour le diagnostic de maladies hépatiques ou la caractérisation de tumeurs.

Mais l’élasticité des artères ne peut être captée par ces outils. Aussi, sachant que l’examen de première intention en cas d’infarctus du myocarde est la radiographie (on parle alors de « coronarographie »), l’équipe de Stefan Catheline, directeur de recherche Inserm, s’est lancée dans le développement de la radio-élastographie. Une approche qui offrirait l’avantage de pouvoir mesurer la rigidité des artères dans le cadre de ce même examen : « La coronarographie permet d’observer un rétrécissement ou un élargissement des coronaires. Disposer également d’informations sur la rigidité de ces artères aidera les cliniciens à poser leur diagnostic et à orienter la prise en charge des patients, espère le chercheur. On sait en effet que plus les artères sont rigides, plus le risque de maladie et d’accident cardiovasculaire est élevé », rappelle-t-il.

Deux freins levés

Jusqu’à récemment, ce développement n’était pas possible pour deux raisons. « La radiographie offre la projection d’un volume sur un plan, en deux dimensions : la perte d’information sur la profondeur du tissu était un premier obstacle à l’utilisation de cette méthode pour l’élastographie, explique Sibylle Grégoire, doctorante et première auteure de ce travail. De plus, pour éviter une surexposition aux rayons X qui serait dangereuse, la radiographie impose une faible cadence d’acquisition des images, à savoir 15 par seconde contre plus de 1 000 pour l’échographie. Il n’était donc pas possible de s’en servir pour capter l’onde de pouls, une onde élastique naturelle qui aurait pu constituer un marqueur de rigidité mais qui voyage le long des artères de façon très rapide (environ 2 mètres par seconde). » Mais ces deux freins ont pu être levés grâce à de récents travaux de cette même équipe : les chercheurs lyonnais ont en effet découvert l’existence d’une seconde onde de pouls appelée « onde de flexion ». Celle-ci est environ dix fois plus lente et sa trajectoire de propagation, perpendiculaire à l’artère elle-même, telles les ondulations d’un serpent, peut être observée dans un seul plan.

Grâce à cette découverte, l’équipe a pu mener son projet à bien. En pratique, un produit de contraste est utilisé pour opacifier les artères coronaires qui absorbent naturellement peu les rayons X. Ensuite, un film de radiographie d’une dizaine de secondes est réalisé. Il capte les déformations de la paroi des artères sous l’effet de l’onde de flexion. La vitesse de propagation de cette onde est enfin convertie en un score de rigidité grâce à un algorithme basé sur « la théorie élastique des tubes ». L’outil a été validé sur des vaisseaux sanguins artificiels dans le service de radiologie de l’hôpital Édouard Herriot de Lyon. Dans un second temps, il a été adapté sur des coronarographies de patients réalisées par d’autres équipes scientifiques. Pour chacune d’elles, un score de rigidité a pu être attribué aux patients.

Un essai à transformer

« À ce stade, il s’agit d’une preuve de concept, rappelle Stefan Catheline. La pertinence clinique de cet outil doit maintenant être validée par des études cliniques. À terme, nous espérons que les appareils de radiographie seront tous équipés de l’algorithme qui permet d’obtenir un score de rigidité des tissus simultanément à leur observation. Et si nous avons développé cet algorithme pour mesurer l’élasticité des artères coronaires, des applications pourraient concerner d’autres types de vaisseaux sanguins, et dans différents organes comme le cerveau ou le poumon par exemple », entrevoit-il.


Stefan Catheline est directeur de recherche Inserm au Laboratoire des applications thérapeutiques des ultrasons (unité 1032 Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/Centre Léon Bérard), à Lyon.


Source : S. Grégoire et coll. Towards quantitative X‑ray elastography of coronary arteries using flexural pulse waves. Proc Nalt Acad Sci, édition en ligne du 29 avril 2025 ; Doi : 10.1073/pnas.2419060122

Autrice : A. R.

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